Compaoré lâché par sa garde rapprochée

Une mutinerie a éclaté les 14 et 15 avril dans l'enceinte même du palais présidentiel à Ouagadougou. Revendications et coups d'éclat se multiplient au Burkina.
Qui a peur du grand méchant Blaise? Plus son peuple manifestement. Dans la nuit du 14 au 15 avril, aux alentours de 21 heures, des détonations se font entendre dans l’enceinte du palais de Kossyam, la flambant neuve présidence du Burkina Faso à Ouagadougou. Le souffle de mutinerie se répand de caserne en caserne, à commencer par le camp qui jouxte l’échangeur du Sud. Les militaires investissent les rues. Les armes lourdes relaient les armes légères. Les habitants de zones à forte densité «kaki» se réfugient sous leur lit.

En urgence, le président Blaise Compaoré quitte Ouagadougou pour sa ville natale de Ziniaré, à une quarantaine de kilomètres de la capitale. Tout au long de la nuit, et au cours de la journée du vendredi 15, les armes continuent de crépiter ici ou là, essentiellement en direction du ciel. Des militaires désinhibés pillent quelques showrooms, confisquent la 605 du maire avec laquelle ils «farotent» (font le malin, selon une expression locale) avant de crever les pneus du véhicule au bord de la symbolique place de la Nation, là où le monument de la flamme révolutionnaire fait face au siège de la banque centrale, symbole de cet argent qu’ils disent leur faire défaut. Quelques menaces militaires plus tard, en milieu de journée, les rues sont vides, alors qu’elles sont habituellement bondées de musulmans prosternés, en ce jour de prière du vendredi. Ouaga ville morte…

Une contestation au cœur du pouvoir
Ce ne sont pas les premières bisbilles que connaît cette ville habituée aux coups d’Etat militaires (cinq en cinquante ans). Ce n’est que le 3 avril dernier qu’a été levé le dernier couvre-feu; auparavant, le maire de Ouaga avait été molesté, le ministre de la Défense traqué ou le domicile du chef d’état-major général des armées incendié. Mais cette fois, c’est le RSP, le Régiment de sécurité présidentiel, qui entre dans la danse des contestations; le premier cercle militaire du capitaine Blaise Compaoré; le cœur du système à qui on accordait tout à la fois des missions délicates et des pouvoirs exorbitants. Sous le Front populaire –régime transitoire qui suivit l’assassinat de Thomas Sankara en 1987–, le responsable de la Garde présidentielle, l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, avait la réputation de mettre à genou des ministres. Il aurait aussi assumé des besognes déterminantes pour Compaoré.

Lorsque le journaliste Norbert Zongo est assassiné en décembre 1998, c’est encore six membres de ce régiment que la Commission d’enquête indépendante, sous l’impulsion du secrétaire général de Reporters sans frontières Robert Ménard, désigne comme suspects sérieux. Seul le dénommé Marcel Kafando sera inculpé. Un non-lieu sera prononcé. Dans ce régiment, il est un officier qui incarne la poigne de fer dans un gant de… fer: Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier de la présidence, le bras armé de Compaoré, fidèle parmi les fidèles, craint parmi les craints. Dans la nuit du 14 au 15 avril, pourtant, la villa de ce cacique intimidant a été saccagée par ses propres subalternes.

Du mutisme à la mutinerie
Qui a encore peur du grand méchant Blaise? Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, est un homme fort. Il fallait l’être pour occuper le fauteuil du charismatique Thomas Sankara. Il fallait l’être pour s’insinuer, de son petit pays, dans des crises comme celle du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, voire de la Mauritanie. Il le fallait pour se muer ensuite en pompier de conflits sous-régionaux. Justement, la fierté des Burkinabè d’avoir fourni un facilitateur à Abidjan ou un médiateur à Lomé a son revers. Compaoré n’est-il aujourd’hui qu’un super ministre des Affaires étrangères loin des réalités de son peuple?

En sus des interventions télévisées soporifiques de fin d’année, Blaise Compaoré ne s’est adressé que deux fois à son peuple en treize ans. Il y a plus qu’un pas entre le mutisme des uns et la mutinerie des autres, mais le peuple, surtout abondamment sinistré par des inondations en septembre 2009, s’impatiente de voir réagir son leader avec célérité. Il ne tarde pourtant jamais à afficher le portrait présidentiel dans sa boutique ou à s’habiller d’un pagne à l’effigie du «beau Blaise». Ces dernières semaines, Blaise Compaoré, peut-être trop concentré sur la chute de Laurent Gbagbo, n’a-t-il pas vu se tisser le drap de revendications sociales multiples qui l’étrangle aujourd’hui?

Certes, les membres du RSP exigent des indemnités de logement promises. Certes, les cavaliers se plaignent que les chevaux ont des défraiements qui excèdent ceux des humains. Mais les élèves, aussi, demandent justice pour Justin Zongo décédé à Koudougou fin février, après des maltraitances policières. Les universitaires qui commencent à peine leur année académique 2010-2011 exigent de meilleures conditions de travail. Les magistrats, en grève début avril, demandent le respect des condamnations de militaires dont les collègues demandent l’annulation. Les syndicats battaient le pavé, vendredi 8 avril, pour se plaindre du renchérissement des biens de première nécessité.

Le tout sur fond de dossiers de corruption mal gérés et de délestages électriques qui, en cette période de canicule et selon les programmations officielles de la société d’électricité, atteignent douze heures par jour. Blaise Compaoré peut toujours se cacher derrière ses deux petits doigts. Primo, il vient d’être réélu, fin novembre, avec plus de 80% des suffrages. Secundo, les agissements des militaires, pris indépendamment des autres revendications sociales, ne sont pas défendables. Piller en même temps qu’on revendique, c’est au mieux un enfantillage. Mais s’arrêter sur ces arguments serait oublier que le score soviétique à la présidentielle est le fruit de l’analphabétisme, du clientélisme ou de l’anesthésie d’une opposition régulièrement débauchée. Ce serait omettre que le manque de civisme des forces de l’ordre est le résultat d’une culture d’Etat d’exception cultivée par le chef des armées depuis vingt-quatre ans, lui-même issu des corps habillés.

Purge pour purge
Problème de civisme mais aussi de simple organisation logistique. Comment est-il possible que de jeunes soldats se servent sans vergogne dans l’armurerie d’un camp militaire? Si l’insondable Blaise Compaoré a deux arguments, il a aussi deux cartes déjà épuisées. Il a usé, le 30 mars, de l’allocution solennelle. Il a multiplié, depuis, les concertations avec tous les corps de métiers sous les lambris d’une République si peu républicaine. Les cartouches du président du Faso semblent épuisées avant celles des mutins. Il ne lui reste plus qu’à tenter une purge cosmétique, pour convaincre que Yako n’est pas la seule ville à pouvoir fournir des dirigeants à l’armée, comme le chef d’état-major à la présidence Diendéré Gilbert et le chef d’état-major général des Armées Djiendéré Dominique.

Mais peut-être le Président risquerait-il de laisser penser, purge pour purge, qu’il n’est pas écrit que le premier magistrat du pays doit toujours s’appeler Compaoré. Cet énième coup de sang militaire n’est apparemment pas une tentative de putsch. Mais peut-être révèle-t-il l’usure du pouvoir. Blaise Compaoré vient d’entamer le dernier mandat que l’article 37 de la Constitution autorise. Mais son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, et les associations qui cultivent son culte (réunies dans la FEDAP-BC: Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré) ont déjà ouvert le débat d’une modification constitutionnelle. Comme le fit le parti de l’ex-président Ben Ali.

Damien Glez
Source: SlateAfrique



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