Entretien avec Aboubacar Kaba, Directeur Général du LAE : "En Guinée, le secteur industriel est le plus polluant"

En Guinée, l’environnement subit une pression croissante due aux activités humaines, notamment l’exploitation minière. Trois milieux récepteurs sont particulièrement touchés par la pollution : l’eau, l’air et le sol. L’extraction des ressources naturelles telles que l’or, la bauxite, le fer, le diamant, le sable et le granite accentue cette dégradation.

Pour Aboubacar Kaba, Directeur Général du Laboratoire d’Analyses Environnementales (LAE) du ministère de l’Environnement et du Développement Durable, le secteur minier industriel demeure le plus polluant.

"Si je prends la pollution de l'air, par exemple, c'est le secteur industriel qui pollue le plus. Les routes minières, longues parfois de 30, 50, voire 90 km, sont empruntées par un nombre incalculable de véhicules émettant des particules de poussière et des gaz à effet de serre. En termes de nuisances sonores, ces mêmes véhicules produisent un bruit constant, notamment par l’usage répété du klaxon, perturbant ainsi la vie des communautés traversées."

Le Laboratoire d’Analyses Environnementales, dirigé par M. Kaba, est rattaché au ministère de l’Environnement et du développement durable. Sa mission principale est d’assurer la caractérisation qualitative des milieux récepteurs et des sources d’impact.

"Chez nous, lorsqu’un impact est généré, nous l’évaluons à la source pour en déterminer le seuil et comprendre la sensibilité des communautés concernées. C’est ça notre rôle principal. C'est pourquoi, notre départements est subdivisé en trois services, nous avons Contrôle de la qualité des milieux récepteurs; Microbiologie et investigations, qui analyse l’évolution des épidémies et pandémies dans les aires protégées; et Assurance qualité, chargé de superviser les bonnes pratiques d’analyse, de collecte et de transport des échantillons, ainsi que des mesures de nuisances vibratoires et auditives".

Selon notre interlocuteur, le secteur minier artisanal a également des effets dévastateurs sur l’environnement, notamment par l’usage de produits chimiques toxiques tels que le mercure et le cyanure.

"Prenons l’exemple de la région de Siguiri : il n’y a plus de cours d’eau en état de fournir une eau potable. Même en pleine saison des pluies, tous les cours d’eau sont teintés de rouge en raison des activités minières. Les exploitants artisanaux y lavent le minerai avec des produits chimiques, contaminant ainsi les eaux de surface. Actuellement, les orpailleurs guinéens adoptent des méthodes utilisées par les Burkinabés, Maliens, Soudanais et Tchadiens, impliquant le recours massif à des substances toxiques. Cela aggrave considérablement la pollution de l’eau."

Pour M. Kaba, bien que le niveau d’émission de CO₂ en Guinée soit relativement faible, le pays doit néanmoins s’engager activement dans la lutte contre les émissions excessives de gaz à effet de serre.

"Si l’on prend l’Afrique dans son ensemble, ces émissions restent modérées. Cependant, la ruée des multinationales vers le secteur minier guinéen, combinée à l’importation massive de véhicules, contribue à l’aggravation de la situation."

Interrogé sur les solutions envisageables pour réduire les effets négatifs du secteur minier, M. Kaba insiste sur la nécessité d’une approche multisectorielle.

"Le ministère de l’Environnement et le ministère des Mines doivent collaborer étroitement, en s’appuyant sur le ministère de l’Administration du Territoire, pour contraindre les compagnies minières à respecter leur plan de gestion environnementale et sociale. C’est la seule manière d’atténuer leurs impacts. Lorsque l’évitement d’un impact n’est pas possible, il faut au minimum le réduire à un niveau acceptable pour l’environnement et la santé humaine. Par ailleurs, les politiques doivent accompagner le ministère de l’Environnement dans la mise en œuvre des mesures contenues dans ces plans de gestion, qui représentent les engagements des entreprises vis-à-vis de l’État guinéen."

En plus des impacts environnementaux, les exploitations artisanales favorisent la dépravation des mœurs au sein des communautés locales. Face à la situation, le Directeur Général de LAE apporte son analyse.

"Les mines artisanales sont des lieux de dépravation par excellence. Les valeurs traditionnelles s’effacent au profit de pratiques telles que les viols, les grossesses non désirées et les mariages précoces. Il n’est pas rare de voir une femme mariée à Kissidougou s’installer dans une mine à Siguiri et épouser un exploitant artisanal plus fortuné. J’ai même vu des étudiantes de Kankan venir dans ces mines et se marier avec des orpailleurs. Ces unions sont souvent marquées par des pratiques occultes. Une fois que les mineurs perdent leur richesse, ces femmes sont contraintes de repartir."

Sylla Youn
Tel:624 36 64 35

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