Rencontre-débat sur le football guinéen, organisée par le Club DLG (Demain La Guinée) et l'ASPROGUE

Rencontre-débat sur le football guinéen, organisée par le Club DLG (Demain La Guinée) et l'ASPROGUE (Association pour le soutien et la promotion des sportifs guinéens à l'étranger)
Samedi 25 février 2012 à la Mairie du 20ème arrondissement
6, Place Gambetta, 75020 PARIS

Contribution de Nabbie Soumah : Le football, un enjeu national

INTRODUCTION :
« Le football, aussi bien que le rugby, le cricket et les autres sports collectifs, a le pouvoir de guérir les blessures » disait le Prix Nobel de la paix Nelson Mandela.
L'historien et pédagogue français Pierre de Coubertin (1863-1937), le père des Jeux olympiques modernes, estimait « qu'un seul sport n'a connu ni arrêts, ni reculs : le football. A quoi cela peut-il tenir sinon à la valeur intrinsèque du jeu lui-même aux émotions qu'il procure, à l'intérêt qu'il représente ? ».
Pour le fan inconditionnel de football Albert Camus (1913-1960) « il n'y a pas d'endroit où l'homme est plus heureux que dans un stade ». Cet écrivain est plus connu pour ses ouvrages « La peste », « L'étranger » ou « La chute ».
Le sport, en général (cf. les athlètes d'Afrique de l'Est), et le football, en particulier qui est le sport roi sur notre continent, sont devenus pour la jeunesse un levier par excellence de promotion sportive, sociale et professionnelle. En somme, un moyen pour le sportif de manger à sa faim et subvenir aux besoins des siens.
Compte-tenu de sa popularité et de son impact social, le football a, depuis belle lurette, fait l'objet d'une instrumentalisation politique et reste encore un « domaine réservé» des chefs d'Etat pour leur aura personnelle et la survie de leur régime.
Il est devenu ainsi un enjeu national et le demeure au détriment du développement d'autres secteurs nationaux vitaux comme l'enseignement et la santé.
La 28ème édition de la Coupe d'Afrique des Nations qui s'est déroulée au Gabon et en Guinée équatoriale et fut remportée le 12 février 2012 à Libreville par les « Chipolopolo » de Zambie face à la Côte d’Ivoire en a été l'occasion et un répit pour des régimes autocratiques, séniles, fossilisants et corrompus.
Par ailleurs, lors de cette CAN, l'équipe nationale de Guinée ou « Syli National » fut un trait d'union national, une bouffée d'oxygène après une élection présidentielle en 2011 qui a fortement altéré l'unité nationale, la cohésion sociale.
Pour les footballeurs, les principaux concernés ici, et la jeunesse, en général, la formation « sport-étude » est le plus sûr vecteur de promotion sociale ; malgré certaines tares comme le racisme et le déficit d'équipements structurants (stades, centres de formation).

1°) L'instrumentalisation politique du football

a) Un étendard du pouvoir politique en Afrique
Au même titre que la défense nationale et la diplomatie par exemple, la gestion de l'équipe nationale de football est devenue un domaine réservé des chefs d'Etat.
Sous la première République en Guinée, il y eut une politique sportive et culturelle dynamique. C'est ainsi que, de 1972 à 1978, le Hafia FC jouera cinq finales de la coupe des clubs champions, en gagnera trois en 1972, 1975 et 1977.
La gestion du Hafia Football Club et Syli National fut une affaire d'Etat exclusivement aux mains du « Chef suprême de la Révolution ».
Sollicité notamment par le Sénégal pour succéder à Amara Traoré et le club saoudien d'Ittihad Djeddah, le sélectionneur de la Zambie Hervé Renard se voit proposer une prolongation de contrat assortie d'une revalorisation substantielle de ses émoluments. Le président de la Zambie, Michael Sata, de la Fédération zambienne (FAZ), Kalusha Bwalya, et le ministre des sports Chishimba Kambwili se sont saisis de ce dossier brulant.
Eric Gerets, le sélectionneur belge de l'équipe nationale de football dite les « Lions de l'Atlas », a affirmé dans un entretien accordé à un journal belge que « sans le roi Mohammed VI il aurait quitté le Maroc dès le lendemain de la CAN au Gabon et que son sort n'est pas lié au président de la Fédération (...) Les vrais décideurs me concernant sont des personnes qui jouent un rôle de premier plan au Maroc ».
Grâce au roi qui l'a reçu et en a fait une affaire personnelle, il a été confirmé dans ses fonctions de sélectionneur.
L'épopée des « Lions indomptables » du Cameroun a contribué à la paix sociale et la pérennité du pouvoir (depuis le 6 novembre 1982) de Paul Biya qui « gére » personnellement l'équipe nationale qui est une vitrine de son régime.

a) Le revers de la médaille
Cette immixtion de la politique dans le sport en Guinée se fera au détriment à la fois de la carrière des sportifs et de l'aura, la promotion de l'Etat sur le plan international.
Chérif Souleymane, le ballon d'or africain, Petit Sory et Maxime Camara avaient remporté trois fois le trophée continental avec le Hafia FC. Ils firent partie de la première sélection africaine qui s'était regroupée au Sénégal avant de participer à la « Minicopa » de 1972 pour célébrer le 150ème anniversaire de l'indépendance du Brésil vis-à-vis du Portugal. Cette sélection participera à un autre tournoi en 1973 à Guadalajara (Mexique).
Ces célèbres footballeurs, parmi tant d'autres, n'ont pas pu sortir de la Guinée afin d'enrichir leur palmarès, leurs comptes en banque et jouer dans de grands clubs européens, à l'instar :
- du malien Salif Keita de l'AS Réal de Bamako, puis l'AS Saint-Etienne en 1967 avec qui il remporte 3 titres de champion et 2 Coupe de France, ensuite Marseille ; il réussira sa reconversion dans l'immobilier et sera même promu ministre des sports. En 1994, il créera le premier centre de formation de football professionnel du Mali ;
- de l'ivoirien Laurent Pokou d'ASEC d'Abidjan, meilleur buteur de la CAN en 1968 et 1970 qui ira au Stade rennais en 1973 puis à l'AS Nancy-Lorraine en 1977.
- du camerounais Roger Milla le Ballon d'or africain de 1976 et 1990 qui jouera à Valenciennes FC, l'AS Monaco, l'AS Saint-Étienne et au Montpellier HSC. Il est le premier joueur africain à avoir disputé trois phases finales de Coupe du monde, le double meilleur buteur et vainqueur de la CAN entre 1984 et 1988.Il a actuellement des fonctions d'ambassadeur itinérant.
D'autres joueurs ont contribué à la renommée, à la promotion internationale de leurs pays, à l'instar de l'ivoirien Didier Drogba et Samuel Etoo Fils. Ils sont devenus des modèles de réussite pour la jeunesse, d'éminents ambassadeurs de l'Afrique et du football et des icones mondiales.
Par contre à cause de la « fermeture » du pays, par exemple Naby Laye « Papa » Camara du Hafia n'a pas eu l'opportunité d'aller jouer en France, notamment après sa brillante prestation lors d'un match amical contre l'AS Saint-Etienne à Abidjan. Malgré l'insistance du président de ce club Roger rocher (1920-1997) qui tenait beaucoup à cette « perle du football africain ».
D'anciennes gloires du football guinéen sont malheureusement tombés dans un dénuement total. Par exemple, Maxime Camara est devenu un paraplégique reclus au Maroc ; Youssouf « Jansky » Camara n'a pu être opéré de la cataracte que grâce à l'aide de « bienfaiteurs » après une campagne médiatique de sensibilisation.
Après la défaite à Alger contre le Mouloudja en 1976, le président Ahmet Sékou Touré (1922-1984) convoqua les joueurs du Hafia pour leur donner des leçons de foot, les sermonner et les sanctionner : le gardien de but Bernard Sylla et le buteur Mamadou Aliou « Njo léa » Kéita en furent victimes et suspendus.
Plus tard, Pascal Feindouno, Aboubacar « Titi » Camara et Fodé Mansaré redoreront le blason du football guinéen sur le plan international.

2°) Le Syli National de Guinée, un trait d'union national

Lors de la dernière CAN, le Syli National fut un exemple de creuset, d'osmose, de concorde, de point de rencontre de Guinéens d'origines sociale, ethnique, régionale, confessionnelle, politique diverses et différentes.
En effet, on remarqua et se réjouit d'un engouement extraordinaire des Guinéens pour soutenir le Syli aussi bien au sein de la diaspora qu'au pays où des footeux manifestèrent violemment à Kindia, Dixinn et Dabondi contre les intempestives coupures d'électricité afin de voir les matchs du Syli et de la CAN.
Le Syli apporta ainsi une bouffée d'oxygène et d'espoir après l'élection présidentielle de 2011 qui a fortement altéré l'unité nationale, la cohésion sociale.
Ce fut un regain, un sursaut de citoyenneté au détriment du repli partisan et identitaire. C'est un exemple à suivre par tous les protagonistes politiques à la veille d'une joute électorale majeure à hauts risques pour la future assemblée nationale.

3°) La formation sport et études : vecteur de promotion

La structure de formation de type sport et études a été expérimentée en Afrique et permis la promotion sportive, sociale et professionnelle de jeunes sportifs issus, le plus souvent, de milieux défavorisés.
- L'« Académie Mimosifcom » fut créée en 1994 par l'ancien international français Jean-Marc Guillou au sein du complexe sportif Sol Béni, le centre d'entraînement de l'ASEC Mimosas dans un domaine de 10 hectares.
C'est un ensemble d'infrastructures sportives avec 2 terrains gazonnés de football, une salle de musculation, 3 terrains de tennis-ballon, 2 internats comprenant 12 chambres climatisées, un espace pour travaux athlétiques, un hôtel haut de gamme et trois salles de classe.
En sont sortis Baky Koné, Gervais « Gervinho » Kouassi, Didier « Maestro » Zokora, Romaric Koffi, Aruna Dindane, Kolo Touré et Salomon Kalou.
- Le « Centre Salif Keita » (CSK) est devenu un club professionnel qui a formé des cadres de l'équipe nationale du mali, notamment Mahamadou Diarra de l’Olympique lyonnais et du Real de Madrid, Seydou Keita de l'OM et du FC Barcelone de Léo Messi et Cheikh Diabaté des Girondins de Bordeaux.
- L’« Institut Diambars » au Sénégal est une structure de sports études avec ses 87 pensionnaires. Il est né de l’idée de trois amis Patrick Vieira, Jimmy Adjovi Boco et Bernard Lama ; il est situé à Saly Portudal à 80 kms au sud de Dakar, est construit sur un terrain de 15 ha et a pour unique vocation d’insérer les jeunes dans la vie active par le sport. Ils les aident à briller dans les études afin qu’ils deviennent des hommes aguerris et productifs économiquement.
Le recrutement s’effectue sur l’ensemble du territoire national sur la base de critères purement sportifs pour les jeunes âgés de 13 à 18 ans.
Plus de 60 employés assurent les services d’hébergement, de restauration, de scolarité et d’administration. Le président de cet institut confie : « On travaille sur un mode basé sur le triptyque : jeunesse, études et sport ».
Les villes et équipes guinéennes devraient signer des accords de partenariat pour des stages avec ces structures de formation de type sport et études.

CONCLUSION :
Selon le passionné de sports et écrivain Jean Giraudoux (1882-1944) « le sport est l'espéranto des races ». Espéranto est une langue artificielle créée par le médecin polonais Louis Lazare Zamenhof (1859-1917).
Mais le football reste gangréné par le racisme et les discriminations à l'encontre des joueurs de couleurs toujours hués dans les stades avec des cris de singe.
Après John Terry et Luis Suarez accusés d’injures envers Anton Ferdinand et Patrice Evra, ce sont des propos déplacés d'un supporter de Liverpool à l’encontre de Tom Adeyemi qui évolue à Oldham, un modeste club de 3ème division.
La campagne contre le racisme dans le sport du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) s'articule autour de la promotion de charte de bonne conduite sportive et citoyenne.
La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) considère « le sport comme un vecteur de mixité sociale, d’émancipation et d’égalité des chances, un véritable facteur de fête, d’intégration et de conciliation. Il ne doit pas se transformer en vecteur d’exclusion ».
La LICRA défend également les victimes de racisme sur le plan pénal et sportif. Elle a participé activement à l’évolution de l’arsenal législatif.
D'autres problèmes subsistent, tels le statut des agents de joueurs, la question des binationaux, le déficit d'équipements structurants (stades, centres de formation), la régularité des championnats nationaux (1ère et seconde divisions), le sponsoring.
Malgré ces vicissitudes, le sport et le football demeurent pour la jeunesse un levier par excellence de promotion sportive, sociale et professionnelle.

Que Dieu préserve la Guinée et sa jeunesse !
Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 25 février 2012

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