1976: Année noire du Hafia

Je devais plutôt dire année noire du football guinéen.

Les faits:
 
1.  Le Syli national (ossature Hafia), se qualifia pour la coupe d’Afrique des Nations en Ethiopie ; au sommet de leur art, l’équipe arrive en finale au grand bonheur du public guinéen et des amateurs du beau football. Un élément très important rentre en ligne de compte ; la CAF (Confédération Africaine de football), a mis en place un système de championnat ; en finale donc, la Guinée est opposée au Maroc. C’est le système de championnat, donc au nombre de points; le Maroc avait battu le Nigéria et la Guinée, avait fait un match nul avec ce même Nigéria
Donc la Guinée doit battre le Maroc pour gagner la coupe alors qu’un match nul suffit aux marocains; les guinéens marquent les premiers et dans les dernières minutes, les marocains égalisent et remportent la coupe.

Petit Sory dit « nous n’avons perdu aucun match mais nous n’avons pas gagné la coupe ; c’est après cela que la FIFA (Fédération Internationale de Football Amateur), a annulée ce système ; on jouait une coupe, il fallait nous laisser aller à la prolongation, voire aux tirs aux buts.

2. Ensuite, en fin d’année, le Hafia arrive en finale de la coupe des clubs champions contre le Mouloudia d’Alger ; à Conakry, les guinéens l’emportent trois buts à zéro. Pour tous les pronostiqueurs, la messe est dite ; trois buts du Hafia ?

Et pourtant, c’est l’impensable qui arriva, le Mouloudia remonte son handicap et remporte le match aux tirs au but. Incroyable mais vrai.

Petit Sory dit « le Hafia peut remonter les gens mais personne ne pouvait penser remonter trois buts du Hafia et c’est ce qui nous est arrivé ; en une seule année, nous avons perdu deux coupes ; l’on ne peut pas oublier cette année là ».

Que s’est il passé en fait ; donnons la parole à Chérif Souleymane « nous sommes arrivés à Alger, ils nous ont présenté cinq joueurs qui n’avaient pas de licences mais des passeports ; alors on a dit qu’on ne jouait pas ; vous savez le guinéen est sensible à l’injustice ; le règlement de la CAF est clair ; seuls les licenciés du club avant les compétitions, qui doivent jouer pour le club ; il y a eu une chaude discussion avec les dirigeants ; il y a ceux qui ont eu le courage de dire qu’il faut jouer et ceux qui se sont
cachés derrière des raisons non sportifs »
Les deux camps sont alors tranchés et ils ont tous en idée la réaction du régime donc de la révolution guinéenne et toujours Chérif Souleymane « connaissant la rigueur des dirigeants de l’époque et l’engagement de notre pays dans l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) ; il était difficile, je ne dis pas en Europe mais ici en Afrique, de ne pas jouer »

Le retour en Guinée sera très difficile ; voici le témoignage de Abdoulaye Bernard Sylla « au retour, ça tourné au vinaigre ; on nous a arrêté N’jo Léa et moi ; nous avons passé quinze jours au camp Boiro et après ils ont compris, ils nous ont relâché en nous mettant en demeure de ramener la coupe l’année suivante ».

Certains dirigeants sont allés au Camp Boiro dixit Souleymane Chérif et Djibril Diarra enchaine « on a parlé de complot, de sabotage ; le Ministre Toumani est sorti du gouvernement ; j’étais à une réunion politique quand il y a eu un coup de fil demandant qui a raté le deuxième pénalty ; j’ai dit que c’est moi et comme deux autres joueurs étaient arrêtés, rentré à la maison, j’ai dit maman, cette nuit, ils vont m’arrêter aussi ; c’est une époque douloureuse pour moi.»
 


Mon Analyse : j’ai tenu de raconter cette page noire de notre histoire pour montrer que le Hafia n’a pas eu que de la gloire ; il y a bien eu des moments pénibles ; malgré toutes ces années, Djibril Diarra a demandé de passer sur autre chose car le fait de la raconter, devenait pénible.

D’ailleurs je trouve sa conclusion magnifique « le football bien que parfois politisé, reste avant tout un jeu ; quand il y a victoire, on applaudi et quand il y a défaite, on tire sereinement des enseignements »

C’est l’une des raisons qui ont fait qu’en 1977, en finale, au match aller au Ghana, Bernard Sylla dit « j’avais eu une fracture (en prenant son poignet droit), aux préparatifs mais la tension fut telle qu’on m’obligeât à garder ; nous avons gagné, j’ai arrêté un pénalty mais j’ai mal terminé la rencontre ».

Cela ne pouvait être autrement pour un portier avec une fracture au poignet ; vous imaginez le sacrifice ?
Dieu était avec nous, nous avons remporté la coupe et j’ai écris un livre, mission accomplie dixit Bernard Sylla.

Ces joueurs ont été exploités par le système car ils jouaient pour la patrie et la gloire et surtout, ils n’avaient pas le droit d’aller monnayer leurs talents ailleurs.

Quand Jean Pierre Babara Sylla, par exemple, quitta la Guinée pour le Gabon, son père fut convoqué à plusieurs reprises pour explications.

Ils avaient peur pour eux et pour leurs familles donc nous pouvons dire qu’ils sont aussi des victimes de la révolution.

Nous n’allons pas refaire l’histoire mais je crois que nous devons au moins, un droit de mémoire et un droit de reconnaissance envers eux.
Quels sont ceux qui se souviendront des Kandja Diallo, Pierre Bangoura, Sékou Condé le bondissant, Arsène Campell et autres, dans vingt ou trente ans ?

C’est pour cela que nous avons l’idée de demander au gouvernement, un vieux bâtiment ou une place dans Conakry pour y mettre, un musée du football guinéen quitte à former une ONG pour la collecte des fonds et le suivi des travaux. C’est une autre affaire.
Nous avons besoin de connaître l’histoire de notre football et ceux qui ont honoré nos couleurs.

Comme je le dit depuis le début, je ne veux tirer aucune gloire dans cette opération ; c’est le gamin de 14 ans qu’ils prenaient dans leur bus, qui, devenu adulte, veut leur rendre une petite parcelle du bonheur reçu en leur compagnie.

Le documentaire sera prêt le samedi 17 Mars ; mon vol est confirmé et j’espère que nous seront nombreux à les honorer.

Alors rendez-vous le 14 Avril, au centre culturel français à Conakry.

Paul Théa



NB : J’aimerais avoir d’autres photos du Hafia ou des joueurs pour plus d’illustrations ; je n’ai pas une bonne photo de Mory Koné, de Kolev ; aucune de Koita Niamey, d’Arsène Campell etc. Merci d’avance.

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