Discours indigne, pétards mouillés et illégalités chroniques

Le discours scandaleux du PRG au Palais du peuple

Y a-t-il un lien de cause à effet entre les révélations du Sunday Times du 3 juin (j'y reviendrai ultérieurement dans un troisième texte) et le discours scandaleux à plus d'un titre, au Palais du Peuple le 2 juin ?

Ceux qui voudraient signaler que l'un précède l'autre, doivent se renseigner sur les usages journalistiques dans les vraies démocraties s'entend, qui veulent qu'un mis en cause soit prévenu préalablement à la diffusion de révélations de ce genre. Ne comparons donc pas la presse internationale, aux pratiques parfois éhontées, d'une partie de la presse guinéenne.

Il a été dit précédemment qu'Alpha Condé n'avait toujours pas revêtu (y arrivera-t-il un jour ?) sa veste de président de tous les Guinéens. Comment un chef d'État peut-il menacer ses compatriotes et les traiter de « rats », de « mafia », dire qu'il va « les balayer » ou « leur couper la tête » ? On croit rêver. Il ose même dire que les cadres guinéens donnent une mauvaise image de la Guinée, en oubliant qu'il est lui même le premier à le faire, et que ce genre de discours, tout en nous faisant honte, va à l'encontre de ce qu'il promeut... pour les autres.

Lorsque Dadis Camara ou Lansana Conté s'exprimaient, leur langage naturel s'accommodait de ce genre d'invectives. Mais quelqu'un qui signe effrontément « Professeur », et qui s'exprime vulgairement comme n'importe quel charretier, n'a pas de leçon à donner sur l'image de la Guinée.

Concrètement quelles ont été les conséquences de ce discours indigne d'un président ?


Des décisions impersonnelles : les délires d'Alpha Condé

Pour mettre son discours en conformité avec ses actes, Alpha Condé a utilisé sa mitraillette pour agir (les fameux décrets présidentiels dont il use et abuse, sans savoir s'en servir), mais non seulement la montagne a accouché d'une souris, mais en outre cela a débouché sur beaucoup de confusion, d'incompréhension et d'incompétence. Comme toujours, devrions-nous dire.

La confusion commence avec le décret, pris on ne sait pour quelle raison, pour révoquer tous les cadres de la Lonagui (la loterie nationale guinéenne), et tous les responsables de la direction du Centre de perfectionnement de la fonction publique. L'incompréhension est également de mise, car on est incapable de déterminer ce qu'est un cadre pour Alpha Condé. Dans un autre décret contemporain, Alpha Condé a licencié deux plantons, par exemple, ce qui semble justifier l'importance de la fonction de planton, qui compte pourtant très peu – croyait-on – de cadres. Un militant du RPG a été nommé – c'est désormais le critère de sélection –, en lieu et place de tous ces cadres. Enfin l'incompétence, car les décisions de nomination, ou de révocation sont obligatoirement individuelles et donc nominatives, et ne peuvent revêtir l'expression impersonnelle suivante : « tous les cadres » ou « tous les responsables » sont limogés.

On a du mal à comprendre tellement c'est confus, entre relever de fonction, radiation, révocation. Ce qui est clair, c'est que, quelle que soit la qualification retenue pour révoquer un fonctionnaire, il y a accumulation de violations des textes (voir ci-après).

Une chose est claire : on reproche beaucoup de choses à Alpha Condé et notamment de ne rien faire... pour soulager les conditions de vie des Guinéens. On comprend mieux maintenant qu'il est débordé par ses activités, celles-ci s'étendant jusqu'à la nomination des plantons de chaque ministère et édifice public. Quand on connaît l'importance stratégique de la fonction de planton (eu égard au temps pris par le PRG pour les choisir), on comprend mieux comment il occupe ses journées.


Les signes de l'incompétence

Alpha Condé a donc limogé par décret, deux plantons, quelques fonctionnaires de base, un TPG dont la rumeur souligne pourtant la probité et … sauf erreur de ma part (ou plutôt des nombreux sites qui en relatent les péripéties), le directeur d'une société privée ??? (qu'on ne peut évidemment pas révoquer de ses fonctions).

Il n'est même pas vraiment besoin d'épiloguer sur l'existence d'un décret présidentiel, pour révoquer des plantons, ce qui signifierait qu'ils ont été nommés de la même façon. Chaque Guinéen de base est en mesure de comprendre la portée de cet « événement ».

Bien sûr on pourra rétorquer, que ce sont ceux qui préparent les décrets pour le PRG, qui devraient veiller au fait qu'ils soient conformes aux principes juridiques du pays. Mais d'une part, tout juriste sait qu'il faut toujours relire ce que l'on signe, et d'autre part, c'est Alpha Condé qui a choisi (et qui nomme) ses collaborateurs. Il en est donc responsable.


Un peu de droit « simplifié » pour le faux professeur de droit

La radiation des cadres (à ne pas confondre avec la radiation du tableau d'avancement) doit être précédée d'une mise en demeure du fonctionnaire, de rejoindre son poste ou un lieu de travail, qui lui a été assigné dans un délai fixé par l'administration (cette procédure est donc utilisée dans le cas d'abandon de poste). Elle doit être notifiée à l'agent par écrit, en indiquant qu'à défaut d'obtempérer, il encourt une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable (donc sans garantie aucune de se faire entendre et défendre).

La révocation est la sanction disciplinaire la plus lourde. Elle concerne des fautes qui, compte tenu de leur gravité, rendent manifestement impossible le maintien du fonctionnaire qui s’en est rendu coupable, au sein de la fonction publique. Le juge exerce un contrôle strict sur ce type de sanctions, car il n’existe pas – normalement – dans le droit disciplinaire de la fonction publique, une liste légale des fautes justifiant une sanction disciplinaire.

Il appartient donc à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire (le chef hiérarchique), d’apprécier si un fait, imputable à un fonctionnaire, constitue une faute de nature à justifier la mise en œuvre de l’action disciplinaire. Cette appréciation donne éventuellement lieu à un contrôle du juge administratif, si les faits reprochés à l’agent existent, et s’ils fondent légalement la sanction prise à son encontre.

Le contrôle exercé par le juge, n'intervient qu’après les différentes phases de la procédure disciplinaire, qui ne se confond pas avec l’action pénale. Ainsi, une faute pénale, peu grave, peut n’entraîner aucune poursuite disciplinaire. Cependant, dans certains cas, les tribunaux répressifs peuvent avoir été saisis (ici il s'agirait de vols et/ou de détournements), et les constatations faites par le juge pénal s’imposeront à l’administration et/ou au juge administratif. S'il n'y a pas de délit ou de crime prouvé, il n'y a pas de révocation possible.

Voilà pourquoi on ne peut faire confiance à Alpha Condé - qui manie les décrets comme les lettres de cachet de l'Ancien régime en France -, car il veut faire renaitre un passé mythifié, tout en étant juge et procureur à la fois.


Rappel du statut général des fonctionnaires

La loi L 2001 028 AN portant statut général des fonctionnaires, comprend dans son Titre VII, intitulé « du régime des sanctions », les articles 74 à 87, ce qui nous permet de comprendre, que le respect des textes que le gouvernement exige de ses opposants, il ne les respecte pas lui-même, comme d'habitude. Nous sommes dans une république bananière, digne de celle d'Amin Dada ou de l'empereur Bokassa.

L'article 83 par exemple, rappelle que : « la révocation est une mesure disciplinaire qui entraîne soit la perte de la fonction exercée, soit la perte de la qualité de fonctionnaire, ce qui provoque la radiation des effectifs de la fonction publique ». C'est donc une décision gravissime qui ne peut être prise à la légère, et ne peut en aucun cas dépendre d'un seul homme.

L'article 84 indique que : « le pouvoir de révocation entraînant la perte de la fonction exercée appartient à l'autorité ayant le pouvoir de nomination » et l'article 85 précise que : « le pouvoir de révocation entraînant la perte de la qualité de fonctionnaire et la radiation des effectifs de la fonction publique appartiennent au ministre chargé de la fonction publique sauf pour le fonctionnaire nommé par décret ».

C'est l'article 76 qui évoque ce dernier cas de figure, stipulant que : « … les sanctions disciplinaires des deuxième et troisième degrés [révocation] sont prononcées, sur propositions motivées du Conseil de discipline, par arrêté du ministre chargé de la Fonction publique, exception faite de la révocation du fonctionnaire nommé par décret. Dans ce cas, après avoir pris connaissance des propositions motivées issues des délibérations du conseil de discipline, le ministre chargé de la Fonction publique soumet le projet de décret de révocation à la signature du PRG ».

Enfin l'article 86 énonce que : « la révocation ne peut être prononcée qu'au terme de la procédure disciplinaire prévue au Titre VII du présent statut ».

Il est clair à la lecture de ces textes, que dans la fonction publique, des garanties existent pour permettre au fonctionnaire de se justifier (et éviter ainsi, l'arbitraire), avant toute décision définitive. Lorsque celle-ci arrive néanmoins, le fonctionnaire dispose encore de moyens de contester la décision.


Les recours juridictionnels

Les fonctionnaires mis en cause peuvent évidemment contester (le feront-ils ?) la régularité juridique du décret présidentiel, à partir des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir.

L'article 87 dispose en effet que : « la procédure disciplinaire, les conséquences administratives et financières des sanctions sont déterminées par voie réglementaire. En cas d'abus de l'autorité, le fonctionnaire, peut recourir au tribunal administratif ».

Le juge contrôle notamment :

si l'auteur de la sanction était compétent : on a du mal à imaginer (mais avec Alpha Condé il faut s'attendre à tout – n'a t-il pas nommé par décret, son médecin personnel ? –) qu'il ait nommé par décret, les plantons du ministère des Finances. Dès lors qu'il ne les a pas nommés, la révocation est illégale, parce qu’elle n’émane pas d'une autorité (le PRG) qui possède la compétence pour le faire.

les vices de forme : est-ce que la sanction était motivée ? A-t-on précisé les causes de la révocation, autrement dit les motifs de droit et de fait sur lesquels repose la décision ?

les vices de procédure : toute sanction administrative doit impérativement – sous peine d'annulation de la sanction – faire l'objet d'un examen devant certains organismes consultatifs (il en existe quatre). L'article 76 précité, impose la saisie préalable du Conseil de discipline de la fonction publique par exemple, pour ce genre d'affaire.


Que fait le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) ?

Concernant la révocation gravissime des deux juges à la Cour suprême, l'article 12 de la loi organique n°91/008/CTRN du 23 décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême de la République de Guinée précise « qu'il ne peut être mis fin à titre temporaire ou définitif aux fonctions de membres de la Cour suprême que dans les formes prévues pour leur nomination et, en outre, sur l’avis conforme du bureau de la Cour pour les magistrats du siège et pour les magistrats du Ministère public... Dans tous les cas, l’intéressé est entendu par le bureau et reçoit communication de son dossier ».

La nouvelle constitution de mai 2010 réitère l'inamovibilité des juges dans son article 109 et rappelle la saisie obligatoire du CSM pour tout problème disciplinaire. L'article 112 rappelle que « lorsqu'il siège en formation disciplinaire, le Conseil supérieur de la Magistrature est présidé par le Premier Président de la Cour suprême ».

Cela signifie qu'Alpha Condé n'est pas habilité à révoquer ces magistrats après un simple coup de fil au Président de ladite Cour (lequel n'a donc rien fait pour le décourager de s'engager sur cette voie). Gageons que ces professionnels du droit révoqués auront eux, la capacité de contester cette décision illégale. S'ils ne le faisaient pas, ils feraient honte à leur fonction et ne mériteraient pas qu'on s'inquiète de leur sort personnel, en dehors du respect des principes, sur lequel les démocrates doivent désormais s'engager plus activement.

Alpha Condé déclarait dans son discours récent, que « beaucoup de juges sont corrompus ». En a t-il la preuve ? Il ajoute que « tous les juges qui sont dans les combines, qui ont rendu des mauvais jugements, ils seront tous radiés ».

C'est quoi un mauvais jugement ?

Ceux que les deux juges de la Cour suprême auraient pris (récemment ?), sans que l'on ne sache de quoi il s'agit d'ailleurs, ou celui de la juge qui a condamné les militants de l'opposition, ayant défilé le 10 mai dernier ? Ces derniers ont été emprisonnés près d'un mois, alors que la procédure de flagrant délit ouverte contre eux, exige qu’ils soient jugés le jour de leur arrestation ou à défaut le lendemain, voire dans le pire des cas, dans un délai maximal de 15 jours, le législateur n’ayant prévu aucune exception. Malgré cette violation de la loi, qui rendait caduque la procédure, cela n'a pas empêché la juge de prononcer des condamnations.

La réponse à la question précédente est donc qu'il ne faut pas violer LA loi d'Alpha Condé (et non celle de la Guinée), celle qu'il établit chaque jour, et qui se traduit par des lettres de cachet.


Que faut-il en conclure ? Que faut-il faire ?

Comme je le disais précédemment, nous sommes à une période charnière du mandat d'Alpha Condé, et il ne s'agit de ne rien minimiser, et notamment les violations de plus en plus nombreuses d'un vieil acariâtre.

Dans son discours au Palais du peuple, Alpha Condé dit qu'il ne craint pas la communauté internationale. Chacun sait, qu'il n'est pas besoin d'évoquer l'évidence, alors pourquoi cette affirmation ?

Parce que contrairement à ce qu'il dit, Alpha Condé travaille sérieusement, consciencieusement et discrètement son image à l'extérieur. Il fait un lobbying permanent, via des personnes qui ne font d'ailleurs pas partie d'un quelconque organigramme, et auxquels on peut reconnaître quelques talents, puisqu'on pourrait dire schématiquement que la communauté internationale au sens large, a une opinion contrastée (alternant le bon et le moins bon) sur le régime d'Alpha Condé, et ce, parce qu'elle ne connaît pas la réalité de son pouvoir.

C'est la raison pour laquelle les démocrates doivent relayer cette réalité, faite de violations continues des libertés publiques. N'oublions pas deux expressions pleines de bons sens : « les peuples n'ont que les dirigeants qu'ils méritent » et « qui ne dit mot consent ». Ne pas réagir vaut acceptation de ces pratiques. En janvier 2011, j'avais déjà indiqué ces dérives, elles n'ont fait que se renforcer, avec des morts en plus.

Dès lors, vous pouvez (devez) relayer ces informations, y compris en dupliquant des textes les relatant, et les faire parvenir aux dirigeants des pays étrangers, afin de montrer la réalité de son pouvoir, qui est à l'opposé de l'image qu'il veut donner à l'extérieur.

Pour le moment, il ne s'agit que d'éviter qu'Alpha Condé n'instaure un régime dictatorial. On commence par limoger une personne inamovible (rappelez-vous le médiateur), puis un autre (un juge de la Cour suprême avait déjà été nommé sans que l’on en connaisse la raison), puis d'autres encore (pourquoi pas le président de la Cour suprême, celui-là même qui l'avait condamné en 2000 ?), puis les commissaires de la CENI (ce n'est pas possible hors fin de mandat ou de consensus, malgré la demande du CNOSC), puis pourquoi pas les membres du CNT (aucun intérêt maintenant vu leur flagornerie ou docilité vile), voire les députés...

De la même façon, on décrète l'annulation d'un contrat de bail (ferme avicole), puis celle d'un contrat de concession international (affaires Getma et Santullo)... sans passer par la justice.

Bizarrement ceux qui se plaignent de justice expéditive en juillet 85 (et ils ont parfaitement raison), ne se manifestent pas pour déplorer les nombreuses atteintes aux libertés publiques de cette période. Est-ce parce qu'ils ne se sentent pas concernés ?

La démocratie à construire n'a pourtant aucune couleur... et elle passe par le strict respect de l'État de droit, cependant que le changement, c'est la mise en mouvement de TOUTES les forces de la société.

Gandhi
Citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

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