Grands dossiers - Alpha Condé face à son destin : La classe politique a-t-elle peur d’aller aux élections ?

Depuis plusieurs mois, la République de Guinée traverse une série de crises politiques. La classe politique guinéenne est divisée. Cette division est consécutive à la restructuration de la CENI (commission électorale nationale indépendante), mise en place pendant la période d’exception (gestion du pouvoir par le conseil national pour la démocratie et le développement) pour organiser les élections présidentielles et législatives. Mais la dissension au sein de la CENI semble désormais être résolue. Car le pouvoir a accepté 10 représentants de l’opposition au sein de l’institution chargée d’organiser les futures élections législatives le 12 mai prochain. Maintenant, le seul vrai problème reste et demeure le vote des Guinéens de l’étranger et le remplacement de l’opérateur Waymack chargé de la gestion du fichier électoral, qui a obtenu le contrat dans des conditions obscures. Celui-ci est rejeté par l’opposition à cause da sa non fiabilité.

La nouvelle CENI semble être prête à organiser les élections législatives du 12 mai prochain. Elle tente de rassurer les acteurs politiques que désormais « aucune élection ne sera truquée en Guinée». À cet effet, elle a confectionné des manuels de procédures suivis de la formation de ses chefs de département et elle en train d’installer ses démembrements à l’intérieur du pays.

La classe politique guinéenne est-elle réellement prête à aller aux élections ?

Pendant que la mouvance présidentielle et l’opposition s’accusent mutuellement, la question est de savoir si les partis politiques (mouvance et opposition) sont véritablement prêts à aller aux élections législatives.

Du côté du parti au pouvoir, l’établissement de la liste nationale des candidats à la députation ne se fera pas sans difficultés. En effet, les camarades et compagnons de lutte du président Alpha Condé non encore récompensés par un décret présidentiel attendent cette occasion pour avoir un point de chute. Et comme si cela ne suffisait pas, le parti au pouvoir est devenu tentaculaire en absorbant plusieurs autres petits partis satellites, qui veulent également figurer sur la liste nationale des députés du RPG-arc-en-ciel. Or, ces partis satellites ne peuvent même pas remplir téléphonique. Ainsi, le parti présidentiel est-il prêt à affronter cette épreuve ?

Du côté de l’opposition, des difficultés existent également. D’abord au sein du plus grand parti de l’opposition, l’UFDG est minée par un conflit interne entre l’aile dure autour de Bah Oury et les modérés autour de Cellou Dalein Diallo. L’établissement de la liste commune des députés et qui doit satisfaire les deux courants au sein de ce parti d’opposition ne se fera pas sans couacs.

L’UFR de Sidya Touré est dans l’incertitude. Ses consignes de vote n’ayant pas été massivement respectées au second tour de l’élection présidentielle signifient-elles qu’il a totalement perdu son électorat ? Les élections législatives seront forcément une épreuve de vérité.

Quant au PEDN de Lansana Kouyaté, son électorat est presque le même que celui d’Alpha Condé en haute Guinée. Dans son conflit avec Alpha Condé, l’électorat commun aux deux leaders donne globalement raison à Lansana Kouyaté, mais lui reproche également son impatience face à la cause mandingue. Les élections législatives seront une jauge de popularité pour le parti de l’ancien premier ministre guinéen. Rendez-vous le 12 mai 2013 !

La NGR d’Abe Sylla, le GPT de Kassory Fofana, la GéCi de Fodé Mohamed Soumah, l’AFAG de Baidy Aribot ainsi que d’autres petits partis politiques tentent d’occuper la Basse Côte. Mais parmi tous ceux-ci, le déçu de l’arc-en-ciel, Kassory Fofana qui hésite entre sa position de centriste et son ralliement avec l’opposition radicale, reste un gros morceau en Guinée Maritime de nos jours. Battu dans sa propre préfecture natale, Forecariah lors du premier tour de la dernière élection présidentielle, pourra-t-il récupérer Moriah, quand on sait que le porte flambeau du RPG-arc-en-ciel, le premier ministre Mohamed Said Fofana, reste encore populaire dans la localité ? En tout cas la dernière sortie du premier ministre dans cette région laisse croire que Mohamed Saïd Fofana y reste encore populaire.

En Forêt, l’UPG de Jean Marie, RDIG de Jean Marck Teliano et d’autres petits partis émergeant se disputent eux-aussi l’électorat de la Guinée Forestière. Contrairement au premier tour de la dernière élection présidentielle, en allant en rang dispersé aux prochaines élections législatives, tout porte à croire la région du Sud sera partagée entre les différents protagonistes. Pour l’instant, la Guinée Forestière a des dents contre le président Condé pour le non respect de son engagement relatif au retour du capitaine Dadis en Guinée. Cependant, les travaux de rénovation des routes de la Forêt et la réalisation de certaines infrastructures sociales pour les jeunes dans la zone pourrait jouer en faveur du parti au pouvoir.

Les obstacles dressés aujourd’hui au parachèvement de la transition du processus démocratique depuis l’élection du président Alpha Condé surprend plus d’un. Outre l’opposition politique, sévèrement réprimée le 27 août passé dans sa tentative de mobilisation de ses partisans en faveur de relance du processus démocratique, la communauté internationale, inquiète de l’enlisement de la situation politique a lancé un appel « solennel » au président Alpha Condé pour qu’il organise des élections législatives crédibles et transparentes. Ce dernier a lié cet acte à la parole, car après le PTTE, comme on le sait, l’obtention du 10ème FED en décembre 2012, était tributaire de la fixation d’un chronogramme précis sur l’organisation des élections législatives. Le nouveau président de la CENI Bakary Fofana, n’a pas hésité de présenter ce chronogramme non consensuel à l’Union Européenne. Sinon, la Guinée aurait perdu le 10ème FED.

La crise de confiance perdure entre le pouvoir et l’opposition

La crise de confiance qui s’est instaurée entre le pouvoir et l’opposition a désormais atteint son niveau critique et tout indique qu’elle conduira à la recomposition du paysage politique. Car, l’alliance politique qui a porté le président Condé au pouvoir s’est aujourd’hui effritée. Le Professeur Alpha Condé fait également face à la montée en puissance du mécontentement populaire et de l’exacerbation des tensions interethniques sur de nombreux dossiers. Depuis son élection à la magistrature suprême, à part Boké et Kindia, le président de la République n’a fait aucune tournée à l’intérieur du pays pour porter le manteau d’un président de tous les Guinéens).

A titre d’illustration, il y a la répression dans le sang de quelques habitants de Zogota en Guinée Forestière pour la simple raison que ceux-ci ont réclamé le respect de leurs droits par la société Vale opérant dans leur localité ; l’incapacité du gouvernement de trouver une solution économique viable pour sauver la société Rusal-Friguia, fleuron de l’industrie guinéenne ; enfin, les tendances affairistes de quelques proches président Condé dans des opérations secrètes de prêts d’argents devant être assumés par des contribuables guinéens, aujourd’hui, aux prises avec des difficultés financières sans précédent.

Les mouvements de soutien moribonds refont surface

Les analystes politiques se demandent si ce ne sont pas finalement ces « patates chaudes » dans les mains du président Condé qui le découragent à s’engager dans l’organisation des élections législatives crédibles ou le risque pour lui de perdre la face est de moins en moins hypothétique. Dans ce cas, il n’aura d’autres choix que de gagner du temps dans l’objectif de rétablir sa côte de popularité auprès des populations, désormais impatientes de goûter aux fruits de sa présidence.

Ainsi, les méthodes d’instrumentalisation de la population par le pouvoir, dénoncées au temps du général Conté et du capitaine Dadis Camara, refont encore surface en vue de porter secours à un gouvernement qui a du mal à imposer son leadership. Les spécialistes de la propagande politique, simples opportunistes, ceux-là même qui déambulaient au tour du président Conté et du capitaine Dadis se rendent indispensables à la présidence et infiltrent aussi le réseau de la société civile dans le but de mieux endormir les populations. Dans cette basse manœuvre, les postes de régies (l’ARPT, le port autonome, le fonds miniers sont est mis à contribution pour amuser la galerie (nos enquêtes sont en cours sur les malversations de ces postes de régies qui se disent ravitailler la présidence à travers des sorties d’argent injustifiées. Au moment opportun les résultats documentés seront mis sur la place publique). Cependant, l’histoire récente de la politique guinéenne montre les limites d’un tel stratagème, car son déploiement n'a pas empêché la grande majorité de la population de lâcher le régime du général Conté et d’être rassurée par la mise à l’écart du capitaine Dadis Camara.

Face à l’enlisement de la situation politique du pays, les observateurs s’accordent à dire que le président Alpha Condé est véritablement face à son destin ; mais en même temps, il a celui du peuple de Guinée en mains. Pour y arriver, le chef de l’État doit organiser des élections crédibles et transparentes. Autrement, au vu de ce qui se profile à l’horizon (manifestations de l’opposition, amertume des syndicats qu’il a magistralement anéantis, du moins pour l’instant, le conflit interethnique, etc.), le président risquerait dangereusement d’exposer son pouvoir aux insurrections populaires dont les conséquences pourraient lui être fatales avant même la fin son mandat.

Parallèlement, s’il réussi la réconciliation nationale avec une gestion inclusive des affaires de l’État en tenant compte de toutes les compétences que la Guinée regorge ; et qu’il réussisse la réalisation des grands projets (électricité, eau, infrastructures routières, agriculture, bas prix des denrées de premières nécessités sur les marchés, etc…) annoncés par le gouvernement au bénéfice des populations, rien n’empêcherait le Professeur Alpha Condé de régner sur la Guinée en monarque ; et ce jusqu’à la fin de ses jours puisqu’en ce moment, il aura réussi le vrai pari du développement tant attendu par les Guinéens.

En revanche, la revendication de l’opposition face au changement de l’opérateur Waymack ne doit plus être inscrite à l’ordre du jour. D’autant plus que si l’on voudrait aller aux élections législatives à la date du 12 mai 2013, lancer un nouvel appel d’offre pour recruter un nouvel opérateur nous ferait perdre du temps. Donc, au lieu de continuer à pleurnicher sur tous les toits pour la non tenue des législatives, il y a lieu, pour être réaliste, d’améliorer les insuffisances de Waymack, puisque c’est faisable et aller aux élections. À moins que l’opposition ne veuille faire du bluff en faisant semblant de vouloir aller aux élections alors qu’en réalité, elle-même n’est pas prête pour des raisons citées plus haut, sinon, le chemin reste désormais balisée, car elle est massivement représentée au sein de la CENI et ses démembrements. D’ailleurs, elle semble désormais comprendre l’enjeu et le désarroi des Guinéens devant un pouvoir sans contre pouvoir. Puisque, dans sa déclaration du 14 janvier 2013, elle a invité toutes ses structures de Conakry et de l’intérieur du pays, à participer à la composition et à l’installation des démembrements de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et ce, après l'annonce du boycott.

Est-ce un signe de conciliation de la part de l’opposition pour enfin aller aux élections législatives ? L’avenir nous le dira…

Youssouf Boundou Sylla
Gatineau, Canada

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