Cahier d'un retour au pays colonial. Par Solo Niaré

L'Afrique les appelle « Patron » ces Toubabs qui s'y plaisent.

Hélé « Mundélé » (le blanc en Lingala), assis à l’arrière d’une grosse berline allemande à air conditionné, Jean-Pierre, ignorant tout de la chaleur suffocante sur le trajet de son travail, n’entend rien de la petite euphorie que ses passages réguliers provoquent sur l’artère principale de Matongué, quartier populaire et hyper animé de la ville de Kinshasa. Le jeune diplômé en BTS de gestion adopte désormais un costume cravate comme code vestimentaire du Directeur des risques qu’il est devenu aussi étonnamment vite dans la succursale africaine d’une grande banque qui a pignon sur rue. Son look fait forte impression chez les locaux qui sont adeptes d’une tendance qui place « le vêtir au bon goût » au centre d’une nouvelle culture en vogue. Jean-Pierre est un de ces expatriés devant lesquels toute volonté s’efface pour faire place à une obéissance démesurée due aux avantages que son statut lui confère. En être conscient et s’en réjouir, c’est peu dire. A force, Jean-Pierre, avec le personnel directement affecté à sa charge privée : chauffeur, cuisinier, domestique, jardinier et vigile, a franchi les limites de l’accommodation. Il en a développé un instinct de « maître » qui rappelle tristement celui tant décrié des petits seigneurs des temps coloniaux.

Interpelé « Foté » (le blanc en Sousou) dans les rues de Conakry, Nicolas se fraie un chemin au bord de son pick-up 4X4 dans l’embouteillage qui part du quartier Dixinn au centre-ville de Kaloum. Il dépasse le célèbre hôpital Donka avec une indifférence qui contraste avec le motif de sa présence dans cette ville. On est loin de cette année où, fraîchement débarqué en mission pour une célèbre ONG, Nicolas était prêt à tous les sacrifices pour « faire de l’humanitaire » sa seule raison d’être. Les années ont passé, et avec, le samaritain des premiers jours, prêt à se vider de tout son sang et à donner jusqu’à sa moelle épinière pour sauver ce petit môme aux yeux globuleux dans l’attente d’une greffe. Son entreprise de sécurité privée a prospéré au prix d’une adaptation sans précédent à toutes ces recettes dénoncées par les militants pour la moralisation de l’administration et des droits de l’homme. Craint et réputé sulfureux, l’ex humanitaire oppresse son personnel et bénéficie d’une complaisance sans pareil à chaque dérive.

La «Toubab mousso» (femme blanche en bambara) lancée par la petite vendeuse, onze ans environ, s’adressent à Nathalie et son escorte de domestiques, entre les allées du grand marché Dibida de Bamako. Croulant sous le poids de son plateau de fruits et légumes, la gamine joue des coudes contre d’autres marchandes, trois fois son âge, pour saisir l’opportunité de vente qui se présente à elle.

- Mes papayes et mes goyaves sont les meilleures, madame et à bon prix, lui lance-t-elle en lui obstruant le passage.

L’esquive de Nathalie, actuelle promotrice d’une école maternelle à Quizambougou, est celle d’une longue accoutumance à une scène qui se renouvelle au fil de ses emplettes hebdomadaires. Elle joue sur cette concurrence pour alléger son budget. Celle qui fut naguère la tonitruante activiste pour la cause des enfants, qui découvrait la rive gauche du fleuve Niger et tombait amoureuse du Mali manque curieusement de réaction face à cette anomalie. Nathalie vit comme une reine mère et sa cour dans la deuxième commune de la ville où elle disait venir « sauver les enfants, car ceux-ci n’attendaient qu’elle ». Sa métamorphose interpelle et inquiète.

Toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels détectées dans ces trois anecdotes ne saurait être ni fortuite ni involontaire. Elle annonce l’avènement d’une « Toubaboisie », un comportement qui semble jaillir des méandres des temps coloniaux. Sans vouloir ressasser les vieilles rancœurs, les causes sont multiples et peuvent être situées chez les uns comme chez les autres.

L’Afrique n’a que des «Oui, Monsieur » ou « Patron » comme appellation pour ce microcosme d’expatriés qui se remémore le bon goût du casque colonial comme couvre chef. Elle les entretient à coup d’emplois rêvés sur des plateaux d’or, de domestiques et de nounous là où l’Europe leur réserve toute sorte de redevance et de taxe accompagnée du stress invivable du métro-boulot-dodo. Toutes les contrées africaines deviennent subséquemment des destinations qui assurent un bon niveau de vie pour toute expatriation.

L’inexistence d’un cadre relationnel d’égal à égal entre Africain et Européen est forcément une des causes non négligeable de ce fléau qui prend de l’ampleur. S’il a fallu un terreau fertile à cette plaie, c’est l’africain lui-même qui s’est attribué le rôle infâme d’humus sur lequel les restes infects d’un colonialisme d’antan ont repris du souffle.

Sur la place de l’indépendance à Bamako, le « Merci Papa Hollande » sur les banderoles en reconnaissance à l’action de l’armée française au Nord du Mali est symbolique de cet état d’infantilisation. Prompt à se mettre en posture d’infériorité et à implorer un regard paternaliste de l’occident, l’Afrique se réduit en un lieu où presque tout semble être permis pour certains Toubabs. Les exemples s’égrainent et suscitent à tout point de vue des réactions d’écœurement : une justice françafricaine à géométrie variable qui se montre clémente envers un blanc qui ôte la vie d’un Africain supposé bandit, il semblerait ne pas y avoir mort d’homme (Affaire Mahé) ; un rapt maquillé de la centaine de gosses tchadiens par l’ONG «Arche de Zoé» ; des charters de sexagénaires venant périodiquement de Scandinavie pour les délices d’un tourisme sexuel qui ne dit pas son nom sur les plages gambiennes…

« Si tu te comportes en crabe, on va te manger avec beaucoup de bruit », ce proverbe africain n’est pas loin d’illustrer la « toubaboisie » qui se fait lancinante et s’affiche comme un fléau qui prétend à de brillants beaux jours. Par le simple fait d’éveiller l’instinct de prédateur d’un fauve en adoptant un réflexe de proie potentielle, l’Afrique, aujourd’hui, se condamne à une relation de soumission avec ses « partenaires » occidentaux qui s’institutionnalisera et ne fera qu’accroître les abus et tromperies dont on connaît déjà les principales victimes. Le plus faible étant celui qui s’en tirera logiquement avec la note la plus salée… ou figurer dans le menu du glouton.

Solo Niaré

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