TENTATIVE D’ASSASSINAT DE ALPHA CONDE:Les médias, victimes collatérales

La Guinée inquiète. Elle inquiète par les actions de son premier président démocratiquement élu, mais pas toujours bien compris par ses compatriotes. Ce pays, longtemps immobile pendant près de quatre décennies, a du mal à rompre avec les vieux démons des Etats d’exception. La tentative d’assassinat sur la personne du président de la République en est une illustration parfaite. Cette tentative d’assassinat dont on attend de connaître les tenants et les aboutissants est révélatrice du fait que les vieux réflexes de l’ancien régime sont omniprésents et n’attendent que la bonne occasion pour se manifester. Ces vieux réflexes sont au cœur du système actuel en voie de démocratisation. Une seule élection, réussie difficilement d’ailleurs, ne permet pas aujourd’hui de dire que la Guinée est un pays démocratique. C’est un pays en transition et qui peut basculer à tout moment, si l’on n’y prend garde.

Parmi ces signaux inquiétants qu’émet la Guinée, dernière décision du Conseil national de la communication (CNC), l’interdiction faite aux médias de ne plus parler de la tentative d’assassinat en ces termes : « la suspension temporaire de toute émission, ou de tout article relatif à l’attentat contre la vie du chef de l’Etat, ainsi que toute émission interactive à caractère politique en français et dans toutes les langues nationales sur toute l’étendue du territoire". Il est vrai que les arrestations dans les milieux militaire et politique risquent de prendre des allures de chasse aux sorcières dans un contexte où les clivages ethniques sont exacerbés, et conduire à des dérapages. Ce sont des risques qu’il ne faut pas exclure. Mais de là à museler les médias, c’est un pas que le CNC devait se garder de franchir. De fait, l’organe s’érige en censeur plutôt qu’en régulateur. Sa mission n’est pas de dicter les sujets à traiter. Son rôle est d’en appeler au professionnalisme de ces médias, au respect de l’éthique et de la déontologie du métier, et de sanctionner, le cas échéant, les manquements qui viendraient à se produire. Ce faisant, le CNC qui doit veiller à la liberté d’expression la viole au lieu de la protéger. Cette mesure ne sert pas la démocratie et ternit l’image de l’Autorité de régulation qui fait ainsi la preuve de son incapacité à réguler.

Au-delà de l’Autorité de régulation guinéenne, c’est une mauvaise publicité faite à Alpha Condé à qui l’organe pense ainsi faire plaisir. Le CNC a tout faux. Au demeurant, que vaut un cheval harnaché aux couleurs de la démocratie quand il laisse derrière lui les crottes insoutenables de la caporalisation ?

Le CNC n’a pas confiance aux médias guinéens et préfère leur ôter ce sujet qui fait la une de tous les journaux. Pour ne pas arranger les choses, cette décision intervient à la veille du départ d’Alpha Condé pour les États-Unis, au pays de l’Oncle Sam qui reçoit ces jours-ci, les chefs d’Etat démocratiquement vertueux. Faut-il en rire ou en pleurer ? Le CNC a donc voulu un silence radio sur le sujet pour des raisons qui lui sont propres. Mais a priori, l’on peut dire qu’il sert les intérêts de Condé qui ne veut pas que les journaux en fassent leurs choux gras. Les associations professionnelles de médias et de journalistes ont dénoncé cette fatwa et ont demandé la levée immédiate de l’interdiction, prise sans aucune concertation. C’est un précédent dangereux pour la liberté d’expression dans ce pays et un sérieux coup porté à la démocratie.

Abdoulaye TAO
Le Pays (Burkina Faso)





Commentaires