Liberté censurée

"Je suis à l'opposé de vos idées, mais je me battrai jusqu'au bout pour que
vous puissiez les exprimer" clamait François Marie Arouet appelé communément
Voltaire (1694-1778), l'écrivain, le philosophe, l’intellectuel français engagé au service
de la vérité, de la justice et de la liberté de penser.
L’unanimisme politique est, par essence, hostile à tout progrès social et économique :
"c’est de la contradiction que nait la vérité", car la contradiction génère le progrès,
l’éclosion des idées et des compétences, en somme l’excellence.
L’unanimisme politique et la pensée unique favorisent l’inertie, le monolithisme politique
partisan, l'autocratie, la transhumance, l’entrisme, le recyclage et le nomadisme
politiques.
Par contre, l'esprit de contradiction suppose l'acceptation de l'autre, de ses convictions,
en somme la tolérance. Dans son sens le plus général, la tolérance, du latin "tolerare"
(supporter), désigne la capacité à accepter ce que l'on désapprouve, c'est-à-dire ce que
l'on devrait normalement refuser.
"Si je ne pense pas comme vous, alors je suis contre Dieu" prétendent certains
obscurantistes qui estiment même que le Chef (Méngué en langue soussou) étant le
choix de Dieu, le contester équivaudrait à une hérésie, à un sacrilège, à une opposition
à Dieu. D'où la néfaste sacralisation de la fonction de Chef d'Etat et de son pouvoir.
A contrario, j'estime que toute liberté ou tout droit implique nécessairement, pour
s'exercer complètement, un devoir de tolérance et l'esprit de contradiction.
Autant j'avais condamné la semaine dernière l'attentat du19 juillet qui avait visé le
président Condé, autant je suis préoccupé aujourd'hui par la censure de la liberté des
médias, d'expression en Guinée; en somme pour toutes les libertés individuelles et
collectives garanties par notre constitution et les lois organiques.
Rien ne doit justifier la restriction de nos libertés fondamentales, telle l'interdiction faite
par le Conseil national de la communication (CNC), aux médias d'évoquer l'attentat
contre le chef de l'Etat ou d'organiser des émissions interactives à caractère politique.
Sa décision concerne les émissions " en français et dans toutes les langues nationales
sur toute l'étendue du territoire". " Sont concernés tous les organes d'information publics
et privés (radios, télévisions publiques et privées, presse écrite et presse en ligne)
", précise le texte du CNC qui ajoute que " tout manquement à cette décision sera
sanctionné conformément à la loi ".
Par cette interdiction, le régime tente de museler la presse qui est un pilier essentiel
de la démocratie, un contre-pouvoir par excellence comme le stipule l'article 7 de la
constitution du 7 mai 2010 : "Chacun est libre de croire, de penser et de professer
sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques (...) Il est libre d'exprimer,
de manifester, de diffuser ses idées et ses opinions par la parole, l'écrit et l'image (...)
La liberté de presse est garantie et protégée. La création d'un organe de presse ou de
média pour l'information politique, économique, sociale, culturelle, sportive, récréative
ou scientifique est libre (...) Le droit d'accès à l'information publique est garanti au
citoyen.
Selon l'article 125 du titre 10 de la constitution du 7 mai 2010 "la Haute Autorité
de la communication (HAC) a pour mission de garantir et d'assurer la liberté et la
protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans

le respect de la loi",.
L'anachronisme juridique et les violations de l'Etat de droit sont décidément très
tenaces en Guinée. Pour exemples : les nominations par décret présidentiel de la
directrice de communication du RPG, Martine Condé, à la tête de la Haute Autorité
de la Communication (HAC) et du général Facinet Touré au poste de Médiateur de la
République le vendredi 07 janvier 2011.
Bâillonner le liberté d'expression et celle de la presse est une autre forme de violence
politique qu'il faut condamner au même titre que les crimes humains et les crimes
économiques.
La présomption d'innocence, le secret de l'instruction, la présence d'avocats dès la
garde à vue, la protection et la garantie de l'intégrité physique doivent être assurés à
toutes les personnes appréhendées pour l'attentat présumé du19 juillet dernier.
Le président américain Barack Obama recevra demain, le 29 juillet , les quatre
présidents ivoirien, nigérien, béninois et guinéen.
Quatre comme les mousquetaires du roman de l'écrivain français Alexandre Dumas
(1802-1870) : d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis s'étaient opposés au premier
ministre le cardinal Richelieu (1585-1642) et ses agents pour sauver l'honneur de la
reine de France Anne d'Autriche (1601-1666).
Il incombe donc aux "mousquetaires" Boni Yayi, Alassane Dramane Ouattara,
Mahamadou Issoufou et Alpha Condé de sauver l'honneur de l'Afrique en y procédant
à l'élargissement de l'espace des libertés individuelles et collectives.
Obama ne leur octroie pas de prime à la démocratisation mais une obligation, un devoir
de résultat lié à la promotion et la garantie de la bonne gouvernance, l'état de droit et la
cohésion sociale.
La priorité, en Guinée, est de construire un Etat autour d’une nation. Cela ne se fait pas
par l’exclusion et la censure des libertés fondamentales.
Il n'y a de déception que lorsqu'existe une grande espérance : l'élection de M. Condé
était un message d'espoir pour toute la Guinée et l'Afrique, malgré des irrégularités
criantes, flagrantes. Mais l'espoir semble vite retombé comme un soufflet avec l'eau
courante qui est devenue une denrée rare, l'électricité intermittente, les tensions
intercommunautaires et la liberté d'expression censurée.
Que Dieu préserve la Guinée !
Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 28 juillet 201

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