Présidentielle: l'ombre de Charles Taylor?
L’ombre de Charles Taylor, l’ancien seigneur de la guerre et ex-président plane toujours sur le Liberia, à la veille des élections générales du 11 octobre.
Charles Taylor, 63 ans, est en prison à La Haye, où il attend pour la fin de l’année le verdict de son long procès, commencé le 4 juin 2007 et achevé en mars 2011. Il n’a pas été jugé par la Cour pénale internationale (CPI), bien que les audiences aient eu lieu dans les locaux de cette juridiction, mais par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Une instance qui a préféré juger Taylor loin de l’Afrique de l’Ouest, pour des raisons de sécurité.
A l’heure où les Libériens s’apprêtent à aller aux urnes, l’ombre de l’ancien seigneur de guerre plane toujours sur leur pays, en principe pacifié et reconcilié. Quelques 9000 Casques bleus restent déployés, par craintes de violences. Dans la première République indépendante d’Afrique, fondée en 1847 par d’anciens esclaves de retour des Etats-Unis, la société reste très clivée, entre une élite fermée de 20.000 descendants d’Américains aux noms anglophones, comme… Charles Taylor, Ellen Johnson Sirleaf et son principal rival du jour, Winston Tubman, ayant la haute main sur des «indigènes» aux noms africains. Et l’on se regarde toujours en chien de faïence, entre ex-membres des différentes factions qui se sont entretuées pendant les 14 ans qu’aura duré la guerre civile libérienne (1989-2003), laissant derrière elle 300.000 morts, pour une population de 3,3 millions d’habitants. Une guerre qui s’est propagée au Sierra Leone voisin (1991-2002), faisant encore 200.000 morts et des milliers de mutilés.
Les jurés d’Oslo auraient peut-être bien fait de se poser des questions sur l’histoire récente et la situation politique du Liberia, avant de décerner le prix Nobel de la paix à Ellen Johnson Sirleaf, 72 ans. Car celle qui est depuis 2005 la première femme présidente d’Afrique a aussi apporté un soutien financier à Charles Taylor – premier chef d’Etat africain à devoir répondre devant la justice internationale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La Commission vérité et réconciliation instaurée au Liberia a même envisagé d’interdire à Ellen Johnson Sirleaf toute activité politique pendant trente ans, en raison de cet épisode qu’elle a elle-même qualifié «d’erreur».
Un prix Nobel de la paix décrié
Décrié par l’opposition libérienne, le prix Nobel décerné à la présidente du Liberia frappe par sa maladresse. Il est tombé quatre jours avant une élection où se joue un second mandat pour sa récipiendaire, et moins de deux semaines après la mort de la militante écologiste kényanne Wangari Maathai, première Africaine à avoir reçu le Prix Nobel de la paix. Comme s’il fallait absolument avoir des femmes noires au palmarès.
Ellen Johnson Sirleaf affiche un parcours irréprochable, certes, ayant d’abord été grande argentière de l’Etat, aux postes de secrétaire d’Etat au Finances puis de ministre des Finances de 1972 à 1980, sous le régime de William Richard Tolbert. Après le putsch mené en 1980 par le sergent Samuel Doe, tous les ministres sont exécutés en public sur une plage. Sauf elle, parce qu’elle est une femme. Elle s’exile à Nairobi puis Washington pour y poursuivre une carrière de banquière, puis de haute fonctionnaire internationale, en tant que directrice du bureau Afrique du Programme des Nations unies pour le développement (1992-1997). Seul problème: de retour au Liberia en 1997, à la faveur d’accords de paix qui doivent être suivis d’une élection présidentielle, elle fonde son Parti de l’unité et soutient Charles Taylor.
Torture de l'ex-président Samuel Doe
Ce warlord libérien n’est pas seulement le tombeur, en 1989, de Samuel Doe. Un dictateur qui a eu l’oreille et les doigts coupés, avant d’être exécuté, sous le regard impassible de Prince Johnson, un ancien lieutenant de Charles Taylor, aujourd’hui candidat contre Ellen Johnson Sirleaf. L’affreux spectacle de la torture de Doe a été dupliqué sur des millers de cassettes vidéos, toujours en vente sur les marchés d’Afrique de l’Ouest.
Au Liberia, Charles Taylor aura aussi réussi l’exploit de faire de la politique la poursuite de la guerre par d’autres moyens, inversant les termes de la fameuse proposition du général Carl von Clausewitz («La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens»). Il a semé la terreur, fait de l’esclavage sexuel une arme de guerre et enrôlé au sein de son Front national patriotique du Liberia (NFFL) des centaines d’enfants soldats, contraints de commettre des atrocités.
En 1997, sûr de son fait sur le terrain militaire, il fait campagne pour une présidentielle qu’il n’envisage pas de perdre. Son slogan: «J’ai tué ton père, j’ai tué ta mère, tu votes pour moi». Guère étonnant, dans ces conditions, qu’il recueille 75% des voix. Après son avènement à la présidence, la guerre reprend progressivement, à la fois au Liberia et en Sierra Leone voisin, où Taylor arme et finance les rebelles du Front révolutionnaire unifié (RUF), en échange de diamants. C’est finalement le déploiement massif de Casques bleus, le siège donné à Monrovia par une faction rivale et un embargo sur les exportations de bois et de diamants qui le contraignent à partir, en août 2003. Inculpé la même année pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité par le TSSL (Tribunal special pour la Sierra Leone) un mandat d’arrêt international est délivré contre lui en 2005. Il est cueilli en 2006 dans son exil au Nigeria, et transféré à La Haye.
Des actes de cannibalisme
Certains des témoignages des inside men (d’anciens collaborateurs de Taylor) pendant son procès ont donné un apercu de ses pratiques de terreur. Des actes de cannibalisme ont notamment été ordonnés à ses combattants, qui ont mangé plusieurs soldats ouest-africains de l’Ecomog (Economic community of west african states cease fire monitoring group), selon un ancien opérateur radio. Des intestins de victimes ont été déroulés sur les routes comme des trophées de guerre. Des récalcitrants ont été décapités, lors de séances d’entraînement imposés à des civils capturés dans les villages par les rebelles du Front révolutionnaire unifié (RUF, un mouvement sierra-léonais armé et financé par Charles Taylor). Mais Taylor a tout nié en bloc, restant de marbre tout au long de son procès, le regard impassible derrière des lunettes cerclées d’or.
Charles Taylor, formé à la fois dans les universités américaines et dans les camps d’entraînement libyens sous le règne de Mouammar Kadhafi, a contribué à déstabiliser toute la sous-région. Et ce, avec l’aide de son ami Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, chez qui il a longtemps eu une villa et droit de cité. Le bilan reste très lourd. Pas de quoi se vanter, pour Ellen Johnson Sirleaf, en tant qu’ancienne alliée —même temporaire— et Prix Nobel de la paix. Les mercenaires libériens, des spécialistes de la violence particulièrement redoutés, ont été recrutés par le régime de Laurent Gbagbo, en Côte d’Ivoire, pour massacrer des civils pendant la récente crise post-électorale.
L’extrême violence de la guerre civile libérienne n’en finit pas de faire des ricochets. D’anciens officiers ayant servi dans la force d’interposition de l’Ecomog, déployée au Liberia par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), sont retournés chez eux commettre des coups d’Etat, comme Yayah Jammeh en Gambie. Ils ont parfois importé dans leur pays des niveaux de violence inconnus auparavant, comme en Guinée, où plus de 150 manifestants de l’opposition ont été massacrés par l’armée, le 28 septembre 2009, dans un stade de Conakry, la capitale, et une centaine de femmes violées.
Sabine Cessou
( SlateAfrique )
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