Interview Exclusive Afriquinfos : Alpha Condé: « J’ai commis deux erreurs graves depuis mon élection ».
CONAKRY - Il faut montrer patte blanche, laisser son téléphone cellulaire au vestiaire et se soumettre à une minutieuse fouille corporelle avant d’entrer au Palais, où le président guinéen, Alpha Condé, s’est finalement installé peu après l’attaque perpétrée contre sa résidence privée, le 19 juillet dernier. (Propos recueillis à Conakry par Francis Kpatindé)
C’est un homme affable et souriant qui nous accueille pour un entretien fréquemment interrompu, comme naguère lorsqu’il était opposant, par la sonnerie de ses multiples téléphones portables. Extraits.
Afriquinfos : Vous avez été élu à la tête de la Guinée il y a exactement un an. Qu’avez-vous fait depuis ?
Alpha Condé : J’ai hérité d’une situation extrêmement difficile. Pas d’infrastructures, pas d’électricité, pas de services efficaces de ramassage des ordures, pas de transport en commun urbain digne de ce nom. Ajoutez à cela une armée pléthorique…
Tout reste à faire en Guinée. Des véhicules de ramassage d’ordures, commandés en Chine, devraient nous être livrés sous peu. Ils permettront à une société de la place d’entamer l’assainissement de la capitale, Conakry, qui est notre première vitrine lorsque des étrangers débarquent chez nous. La situation sanitaire actuelle, avec ses décharges sauvages et ses odeurs pestilentielles, pose des questions de santé publique et de sécurité.
Nous avons également commandé des bus auprès de la Régie autonome des transports parisiens (RATP, française) pour renforcer le transport urbain. Ils seront livrés avant la fin de l’année. Et nous envisageons d’acquérir des centrales thermiques pour faire face aux délestages électriques, en attendant de construire des centrales hydroélectriques, la Guinée étant l’un des pays le plus arrosés de la planète. Et ce n’est pas tout : la Guinée dispose maintenant d’un nouveau code minier, plus transparent avec des dispositions de lutte contre la corruption.
Chinois, Français, Canadiens, Australiens… Les firmes étrangères sont omniprésentes dans l’économie guinéenne. Le Port autonome de Conakry, par exemple, a été cédé au Groupe français Bolloré…
Je ne fais aucun complexe sur ce point. Tout le monde sait que je suis un militant panafricain et un nationaliste, mais s’il faut recourir à des firmes étrangères ou par l’expertise extérieure pour faire avancer les choses, donner du travail à mes compatriotes, améliorer leur sort, je n’hésiterai pas.
Un an après votre élection, vous n’avez toujours pas organisé les élections législatives, au grand dam de vos opposants…
J’ai mis en place un certain nombre de structures devant permettre aux différents acteurs politiques de renouer le dialogue en vue d’aller très rapidement aux élections législatives. La conduite du dialogue a été confiée conjointement au grand Imam de la mosquée Faycal, El Hadj Mohamed Salifou Camara, et à l’Archevêque de Conakry, Mgr Vincent Coulibaly, qui sont à pied d’œuvre. J’ai moi-même invité mes adversaires à venir discuter avec moi. Sidya Touré a répondu positivement à mon appel. Cellou Dalein Diallo a, pour sa part, demandé à consulter les instances de son parti, avant de décliner l’offre. Je reçois, ce mardi 15 novembre, l’ensemble des leaders des partis politiques pour une discussion franche et directe en vue de lever les malentendus. La Guinée nous appartient à nous tous. C’est donc en conjuguant nos forces que nous la relèverons pour le plus grand bien de nos compatriotes.
Les législatives auront-elles lieu, comme prévu, le 29 décembre prochain ?
Il appartiendra à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de se prononcer sur ce point, mais cela me semble mal parti car nous avons pris du retard. Dans un souci de transparence, nous avons demandé au PNUD de nous aider à faire un audit du fichier électoral. A cause du retard pris, le scrutin sera vraisemblablement reporté au premier trimestre de 2012.
Il est de plus en plus question d’un retour de la communauté internationale en Guinée. On parle même à nouveau d’un « Groupe de contact » pour piloter les élections législatives…
Il n’en est pas question ! La situation est aujourd’hui normalisée en Guinée. Il y a un président élu, un gouvernement, des institutions. Il nous appartient d’organiser ces élections en veillant à ce qu’elles se tiennent dans la transparence et dans le respect du pluralisme. Que des amis interviennent pour faciliter le dialogue entre Guinéens, pourquoi pas ? Mais qu’ils veuillent de nouveau prendre la direction des opérations, comme sous le régime de transition, c’est inacceptable !
Vos relations se sont passablement dégradées, ces derniers temps, avec le Sénégal et la Gambie…
Tout est rentré dans l’ordre avec le Sénégal. Je ne comprenais pas que des pays amis ferment les yeux sur des préparatifs d’attentat dont ils ne pouvaient pas ne pas être informés. L’attentat du 19 juillet a été préparé dans un grand hôtel de Dakar et il a été précédé de va-et-vient entre cette ville et Banjul, la capitale de la Gambie. Ces deux pays ne nous ont pas alertés.
Mais, comme je vous le disais, tout est rentré dans l’ordre avec le Sénégal. Le président Abdoulaye Wade est attendu en visite d’amitié en Guinée à la fin de novembre. Son voyage aurait dû avoir lieu à la mi-novembre, mais il a été différé pour une question d’agenda.
Et la Gambie ?
Les dirigeants de ce pays nous sont ouvertement hostiles.
Etes-vous remis de la tentative d’assassinat du 19 juillet ?
Ce que je puis vous dire, c’est que certains, dans l’entourage de mon prédécesseur immédiat, ont quitté le pouvoir en disant aux soldats : « ce n’est qu’un au revoir, nous reviendrons dans trois mois ! » A défaut de chercher à me renverser, ils se sont coalisés avec une frange de l’opposition pour me faire assassiner. J’aurais passé la nuit dans ma chambre, le 19 juillet, que j’aurais été réduit en bouillie. Il faut croire que j’ai heurté beaucoup d’intérêts en décidant à la fois d’introduire davantage de transparence dans la signature des marchés publics et dans les contrats miniers, de lutter sans pitié contre la corruption et d’en finir avec les fonctionnaires civils et militaires fantômes.
Quels enseignements avez-vous tiré de ces événements ?
J’ai commis deux erreurs graves. Première erreur : après mon investiture, j’ai décidé de ne pas avoir de Garde présidentielle parce que je ne pensais pas qu’on pouvait m’en vouloir au point d’attenter à ma vie. Deuxième erreur : j’ai décidé, contre l’avis de mes conseillers, de ne pas bouger de mon domicile privé tout en sachant qu’il se trouve dans le seul quartier de Conakry qui n’a pas voté pour moi lors de l’élection présidentielle. On ne m’y reprendra plus.
(Afriquinfos)
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