Afrique de l’ouest: qui voterait Sarko?

A quelques encablures de l’élection présidentielle française, l’impopulaire Nicolas Sarkozy a-t-il davantage la cote en Afrique?

Sarcasme pour Sarko, le reggaeman burkinabè Zêdess n’y va pas par quatre chemins dans sa chanson “Un Hongrois chez les Gaulois”. «Nicolas Sarkozy, pourquoi ton père a fui la Hongrie?» lance le refrain, alors que la version longue du titre sample des extraits d’anciennes déclarations du président français. Un couplet explicite le propos: «C'est l'histoire d'un fils d'Hongrois / Qui veut se faire couronner chez les Gaulois / Finie l'époque du négro musclé, belles dents / Aujourd'hui il veut du noir diplômé, intelligent». D’Afrique, le chanteur dénonce une contradiction sarkozyste: le «descendant d'immigré subi» promeut un programme d’immigration choisie…

Confronté au clip vidéo, en pleine campagne présidentielle de 2007, sur la chaîne TV5, le candidat de l’UMP évoquait la joie de vivre de ces Burkinabè «qui n’ont rien». Les propos se voulaient affectueux. Les Burkinabè les trouvèrent, au mieux, condescendants. Voilà donc une deuxième contradiction sarkozyste: Nicolas Sarkozy se permet de parler d’un continent qu’il n’a jamais vraiment connu, si ce n’est au travers d’anecdotes délavées de Rama Yade. L’Afrique francophone n’oublie pas le tristement célèbre discours dakarois du 26 juillet 2007. Hégélien, le “nègre” de Sarko égrena, chez les nègres de Senghor, un chapelet d’idées reçues. Summum de propos dignes de Tintin au Congo: dans l’imaginaire du paysan africain, il n’y aurait de place «ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès». Amusé par l’absurdité de l’analyse, un Sénégalais déclara que Sarkozy n’avait «pas encore percé les mystères du continent noir». Plus remonté, son compatriote Doudou Diène, rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, déclarera à la tribune de l'ONU que «dire que les Africains ne sont pas entrés dans l'Histoire est un stéréotype fondateur des discours racistes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles».

Surfant sur un antisarkozysme africain naissant, un second titre “sarkophobe” de Zêdess répondra à Henri Guaino: «Qui du paysan africain ou du paysan français est un assisté / Celui qui guette la pluie ou celui qui est subventionné?».

Sarkozy n’a donc pas bonne réputation parmi les populations d’Afrique de l’Ouest. À force de ne pas tenir en place, il en devient illisible. Une troisième contradiction porte l’estocade. Celui qui voulait garder ses distances avec un continent où il craignait n’avoir que des coups à prendre, se jeta finalement, à corps perdu, dans l’interventionnisme: Tchad, Côte d’Ivoire, Libye et peut-être même Somalie. Même sous forme d’abandon, la rupture promise ne fut pas au rendez-vous. Robert Bourgi n’évoque pas de financements occultes en direction de l’actuel chef d’Etat français, mais les Africains du “pré-carré” n’oublient pas que le secrétaire d’Etat à la Coopération Jean-Marie Bockel fut sacrifié, en mars 2008, sur l’autel de la Françafrique. Omar Bongo est donc «entré dans l’histoire», ne serait-ce que la française…

Le jour de la mort brutale de Mouammar Kadhafi, un Nigérien s’agace dans les couloirs d’un studio de télévision: «Sarkozy a reçu Kadhafi à Paris, en grandes pompes. C’est trop facile de le décagnotter aujourd’hui pour une affaire de pétrole!». Un Ivoirien dénonce une «nouvelle Côte d’Ivoire démocratisée à coup de bombes françaises». Sans avoir vérifié le nombre de contrats signés par le pouvoir de Laurent Gbagbo avec les entreprises françaises, il subodore un interventionnisme de copinage, au service de «Bolloré, Bouygues et compagnie». De même, nombre de Tchadiens considèrent que le président français n’a guère respecté la souveraineté de la justice tchadienne au cours de l’affaire de l’arche de Zoé. Alors ils restent cois lorsqu’ils entendent que la France mènerait une guerre secrète en Somalie, aux côtés de troupes kenyanes.

Le guerrier Sarko ne séduit guère plus que le VRP Sarko.
“L’énergisme” de Sarkozy, un temps, intrigua positivement sur le continent. «J’aime son affaire», déclarait un Africain en imitant la démarche manifestement palmée du président français. Mais l’activisme invétéré, les initiatives intempestives et le style direct finissent par faire regretter Chirac “l’Africain”. L’Afrique francophone voterait-elle “RPR”? Pas si sûr.

Même si beaucoup d’habitants du continent ont gardé une sincère sympathie pour le prédécesseur de Sarkozy, ils auraient, la plupart du temps, voté à gauche aux élections françaises. Peut-être parce qu’ils observent l’actualité hexagonale sous le prisme des délivrances de visa et des régularisations de sans-papiers. Prisme déformant? À l’analyse, l’opinion africaine ne se révèle-t-elle pas idéologiquement bien conservatrice? Elle aime lever en l’air un romantique poing révolutionnaire. Mais l’Afrique abhorre et pénalise bien souvent l’homosexualité. Elle tarde à libéraliser des lois très restrictives sur l’avortement, héritées de la période coloniale. Elle ne juge guère opportun le débat sur l’abolition de la peine de mort. Adepte d’une solidarité de proximité, notamment familiale, elle souhaite que le fisc ait la main plus que légère en matière d’imposition individuelle, au risque d’un interventionnisme minimaliste de l’état, en particulier dans le domaine de la couverture santé. Elle reste mue par une religiosité prégnante. Elle compose avec le droit à la possession individuelle d’une arme à feu…

Contradiction contre contradiction? Rien de très socialiste dans ces choix idéologiques pourtant formulés par d’outranciers anti-sarkozystes…

Nicolas Sarkozy n’est-il pas simplement le président français qui affiche au grand jour les traditionnelles ambitions africaines de la France, notamment celle de s’engager là où se profilent des intérêts économiques? En soutenant, au besoin, des candidats “de l’étranger”. Cynisme? Franchise? Cynisme et franchise? Si le “parler faux” de Dakar reste une arête dans le gosier africain, le “parler vrai” pourrait payer à la longue. L’Afrique francophone, toujours engagée dans le tango du “je t’aime moi, non plus”, ne finit-elle pas toujours par pardonner l’ancien colon, sans que celui-ci n’ait besoin de faire repentance? Celui qui critique l’Hexagone, dans son maquis abidjanais, n’a-t-il pas le regard qui s’illumine quand on l’envoie en mission à Paris? Seul le président ivoirien manquait à l’appel, quand la France invita les armées africaines à parader sur les Champs-Elysées, le 14 juillet 2010.

Pour se réhabiliter réellement aux yeux de l’Afrique, il restera peut-être une carte à Nicolas Sarkozy: sa promesse de militer pour une réforme du conseil de sécurité des Nations Unies, avec notamment l’attribution d’un siège permanent à l’Afrique. L’avocat Sarkozy deviendra alors celui du continent noir.

Damien Glez

(SlateAfrique)

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