Economie : Projet Simandou - Rio Tinto et la Guinée divergent sur le chemin de fer transguinéen
La visite de hauts responsables de la société minière Rio Tinto au président Alpha Condé cette semaine a montré une forte divergence de vue entre le gouvernement guinéen et le géant minier qui possède la concession de fer sur le mont Simandou en ce qui concerne l’avenir du méga projet. Très tôt cette année, Rio s’était engagée à « faire tous les efforts raisonnables » pour évacuer la première tonne de minerai d’ici mi 2015 selon l’entente signée en avril 2011 avec 700 millions de dollars à la clé entre le président Alpha Condé et la société anglo australienne.
Mais dans une conférence de presse rapportée par l’agence Reuters - les dirigeants de Rio Tinto, le PDG de la Compagnie Tom Albanese en tête - ont réitéré la proposition d’évacuer la première tonne de minerai de fer …par la route. Une proposition qui avait auparavant été rejetée par le président guinéen qui a insisté à ce que Rio se conforme au nouveau code minier guinéen et s’engage pour la construction, du chemin de fer transguinéen comme prévu.
Un expert interrogé par Guineenews© ne peut retenir son incrédulité : « le transport par camion est inimaginable...En Guinée, il ne faut pas accepter les solutions «Mickey Mouse» qui ne s'accommodent pas avec nos conditions naturelles (relief oscillant entre montagnes et plaines et climat destructeur de routes lors de la saison pluvieuse). Par contre, l'utilisation du chemin de fer peut ramener les coût unitaires de transport à presque rien à cause des économies d'échelle obtenues en utilisant des super-trains comme dans les mines de fer en Australie où Rio utilise le plus long train du monde...»
Le diable étant dans les détails, Rio Tinto lors des negociations, avait inséré - devant l’intransigeance du président guinéen de voir la Guinée actionnaire dans le chemin de fer transguinéen - une clause stipulant que « chaque partenaire devrait venir avec sa quote part » pour les infrastructures.
Depuis lors, Rio maintenant confiante de son titre de propriété incontesté sur la moitié du gisement a voté un budget de plus de 1,3 milliards de dollars pour les études et les infrastructures et a rappelé à son partenaire chinois, Chinalco, de venir aussi avec sa quote part.
Ce à quoi, Chinalco a rétorqué que les conditions ont changé avec l’option de 35 pour cent du projet à la Guinée qui dilue sa participation. Chinalco a demandé et obtenu de Rio Tinto l’assurance que des études de faisabilité (qui auraient dû précéder la convention selon le code minier guinéen) soient faites et que le coût réel du projet soit communiqué à la partie chinoise. Parallèlement, Chinalco a réuni un consortium chinois de banquiers, constructeurs et miniers pour faire face au défi logistique que représente la construction de 650 kilomètres de chemin de fer et un port en eau profonde. Une fois satisfaite du montage financier, Chinalco et ses partenaires verseront à Rio 1,3 milliards de dollars permettant au minier de récupérer les 700 millions d’avance donnée à la Guinée.
Déjà le 18 octobre 2011, Rio avait averti la Guinée dans un communiqué que « la finalisation du cadre d'investissement d'infrastructures, prévue pour début de l’année 2012, va aussi déclencher l'obligation du gouvernement de la Guinée qui doit apporter sa part de dépenses des projets d'infrastructure engagés à date » qui selon les termes de l’accord dit transactionnel donne droit à la Guinée jusqu’à 35 pour cent du projet (mais seulement à la 20ème année) et 51 pour cent du chemin de fer. Rio avait ainsi rappelé à la Guinée de s’acquitter début 2012 ses 10 pour cent des coûts historiques engagés dans les infrastructure à date en plus des 15 pour cent gratuitement accordés à la signature du décret en avril 2011. Le projet est estimé par Rio à 10 milliards de dollars mais la firme JP Morgan affirme qu’il faut au minimum 19 milliards de dollars. Le chemin de fer de 650 kilomètres englobera plus de 80 pour cent des dépenses du projet.
Il ne reste donc plus - pour que le projet soit bancable - que la Guinée vienne avec sa quote part qui selon les estimations les plus optimistes est de 4 milliards de dollars. Une tâche quasi impossible pour le gouvernement guinéen dans les conditions actuelles étant présentement sous surveillance financière du Fonds Monétaire International (FMI). Les experts du Fonds sont catégoriques : pas question de laisser la Guinée s’endetter de nouveaux milliards alors que le pays n’a pas encore renoué avec la bonne gouvernance.
Selon un observateur interrogé par Guinéenews©, Rio peut maintenant tranquillement geler le projet comme elle veut, ayant obtenu l’essentiel qui est la confirmation de son titre de propriété sur la moitié de Simandou. La multinationale ne s’engagera que quand les conditions du marché et la « la stabilité financière mondiale » seront plus favorables affirme cet expert. La crise financière européenne ayant entraîné une faiblesse de la demande chinoise en minerais de fer pour ses acieries, nul ne sait les conséquences à long terme de ces turbulences économiques que l’on observe actuellement.
En attendant, Rio va financer des « travaux communautaires, études environnementales, séminaires de bonne gouvernance, lutte contre le Sida, de formation de formateurs etc...» jusqu’à ce que la Guinée accepte de renégocier les termes cette fois-ci selon ses conditions et exigences. En proposant un transport par route sur 800 kilomètres - une proposition sans précédant dans l’exploitation des mines de fer - Rio a rempli la lettre de son engagement de « faire tous les efforts raisonables pour évacuer la première tonne de fer avant mi 2015...»
Selon cet expert : « d’un point de vue comptable, Rio peut maintenant entrer la valeur de la moité de Simandou dans ses actifs rendant plus onéreuse toute OPA (Offre Publique d’Achat) contre elle, car en réalité la grande crainte de Rio c’est de voir son concurent BHP lancer une autre tentative d’acquisition contre elle en cette période de crise. Lever l'équivoque sur Simandou était un impératif stratégique pour Rio et les 700 millions donnés à la Guinée seront remboursés par Chinalco.» Et la Guinée ne peut plus accuser Rio qui a fait « un effort raisonnable » en proposant de transporter la première tonne de fer par camion avant mi 2015. Si la Guinée refuse cette offre, alors ce serait de sa faute !
Quant au président Alpha Condé, sa marge de manoeuvre est très limitée, car l’accord est clair : la Guinée doit venir avec sa part de financement en espèce et il n’y a aucune indication qu’un quelconque établissement financier soint prêt à avancer des milliards à la Guinée en dehors du cadre bilatéral ou multilatéral. L’autre option serait pour Alpha d’abandonner toute réclamation sur l’infrastructure et laisser le projet entier - y compris l’autre moitié de Simandou - à Rio s’il veut que le rêve du chemin de fer transguinéen ait lieu sous son premier quinquennat.
Dans tous les cas, il faudra compter sur des débats houleux dans la future Assemblée Nationale car jusque là les Guinéens sont tenus à l'écart de tous ces accords dont les clauses n'ont jamais été rendues public.
Boubacar Caba Bah
Orangeville, Canada
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