Citoyenneté ou Ethnicité en Guinée. (Première partie)
Identité ethnique ou citoyenneté républicaine?
« Le cœur de chaque guinéen balance ! »
C’est presque une banalité de dire que la Guinée fait partie des pays d’Afrique qui ont le plus grand mal du monde à construire une vraie démocratie et un Etat de droit. Aujourd’hui force est de constater que le processus de démocratisation est complètement bloqué avec cette interminable transition. Cela fait exactement deux ans, décembre 2009, que le capitaine Moussa Dadis a perdu le pouvoir ; et cela fait un an que le Pr Alpha Condé a été investi Président de la République. Malgré ces deux années passées, la transition n’est toujours pas achevée car le peuple de Guinée n’a toujours pas pu élire démocratiquement une Assemblée Nationale.
La République du Niger a bouclé toute sa transition en moins d’un an du 18 février 2010 au 11 janvier 2011 ! Ce « sans faute » dans la conduite de cette transition a suivi une longue période d’instabilité politique dans ce pays.
La République de Côte d’Ivoire, après neuf ans de crise politico-militaire (2002 2011) et six mois guerre civile, a investi le Président Ouattara le 21 mai 2011. Elle organise demain 11 décembre 2011, les élections législatives !
Ces deux exemples nous interpellent tous, mais plus particulièrement le pouvoir en place pour terminer cette transition, condition indispensable pour aboutir à une vie politique normale dans le pays. La Guinée vit aujourd’hui dans un Etat d’exception sur le plan institutionnel, le CNT, qui est un organe de la transition, ne peut se substituer pour toujours à une Assemblée Nationale élue par l’ensemble des Guinéens !
Nous devons donc nous remobiliser pour la tenue des élections législatives le plus rapidement possible dans notre pays.
Et la situation actuelle du pays rappelle étrangement ce que le Professeur Alfa Ibrahima Sow (Paix à son âme ) écrivait déjà en 1994 « Aujourd’hui nous nous retrouvons avec une Guinée ruinée, une société déboussolée aux profondes mutilations, pratiquement sans la moindre référence positive. L’idéologie et les pratiques politiques du parti-Etat sont plus que jamais présentes dans la vie du pays. » . Toutes les exactions depuis l’avènement de la 3e République en font foi.
Les difficultés de démocratisation de notre pays trouvent leurs origines dans la problématique de l’ethnicisation à outrance de la vie publique et celle du partage du pouvoir dans un paysage politique tribalisé et divisé de manière quasiment irrémédiable.
- La problématique de l’ethnicisation de la vie politique relève de l’ethno-stratégie, qui malheureusement est toujours une impasse politique. En effet l’ethno-stratégie dessèche le débat politique, c’est la politique des pauvres qui empêche les meilleurs des citoyens d’accéder à la direction du pays. Les ethno-partis ne cherchent pas les meilleurs citoyens, mais ils cherchent plutôt les plus dévoués à leur cause dans leur ethnie. Ce n’est pas les qualités intrinsèques de l’individu qui lui confèrent sa place dans l’appareil d’Etat, mais simplement son appartenance ethnique. Dans cette démarche sectaire et exclusive, on oublie toujours deux choses essentielles : premièrement, que tous les individus d’une même ethnie sont tous différents et deuxièmement, il y a des bons et des mauvais dans toutes les ethnies.
L’ethno-stratégie est toujours source de mal-gouvernance pour plusieurs raisons :
- L’ethno-stratégie est une impasse politique inefficace, car elle ne cherche pas les meilleurs pour diriger et elle est dangereuse, car elle fait inéluctablement le lit de la division de la haine et de violences.
- Lorsqu’on fonde sa politique sur son ethnie, on exclut automatiquement les autres, et prétendre regrouper d’abord son ethnie avant de rassembler tout le monde est une illusion. Au contraire, c’est en cherchant à rassembler tout le monde d’abord que l’on peut regrouper son ethnie.
- L’esprit de rassemblement est une question ethnique non un calcul politique. L’homme politique qui veut rassembler, le fait toujours autour de valeurs humaines et universelles. Le leader ethnique rassemble facilement sa communauté dans un but électoraliste pour la conquête du pouvoir. C’est tellement facile de regrouper les membres de sa famille, de son clan, faire appel à ses amis, ses parents «élastiques» ou par alliance, à ses voisins pour en faire des militants ou des sympathisants .
- Cet électorat ethnique est prisonnier de ses liens affectifs avec son leader à qui «il a donné sa parole» comme on le dit souvent dans le milieu. Les militants et sympathisants ne sont pas regroupés autour de valeurs ou d’un idéal en dehors de celui de conquérir le pouvoir ou d’empêcher l’autre ethnie d’accéder aux affaires.
- La problématique du partage du pouvoir : Le pouvoir d’Etat est spécialement convoité par beaucoup de nos politiciens à cause des jouissances matérielles qu’ils en tirent. Ces « fous du pouvoir » oublient ou ne savent peut-être même pas qu’un pouvoir qui ne sert pas l’ensemble du pays est toujours condamné par l’Histoire à plus ou moins brève échéance. Notre regretté frère le Pr Alfa Ibrahima Sow (Paix à son âme), parlant de ces politiciens avides de pouvoir, a écrit en 1994 : « Le pouvoir politique est toujours considéré comme l’unique moyen d’accomplissement des aspirations de l’individu à une vie décente pour lui-même, sa famille , ses amis, sa région, son ethnie, etc. Sa possession permet de disposer, à volonté, de toutes les ressources de la collectivité, et régner en maître sur le pays, en ayant droit de vie et de mort sur les autres citoyens, surtout quand ils réclament plus de justice et de liberté. »
C’est cette situation typique d’idéologie et de pratiques politiques du parti-Etat qui ont bel et bien encore cours dans notre pays. Si nous, Guinéens, voulons réellement sortir la Guinée de l’ornière du sous-développement, nous devons choisir entre la citoyenneté républicaine et l’ethnicité ! Ce choix s’impose d’abord à l’Etat ensuite aux citoyens. L’ethnicisation de notre vie publique est devenue telle que personne ne voit le bout du tunnel dans la crise sociopolitique qui bloque le pays ! L’ethno-stratégie des « grands partis » pour ne pas les nommer a provoqué une grande fracture sociale une et a la Guinée au bord d’un abime qui se profile de plus en plus à l’horizon.
Les pratiques politiques du parti-Etat, qui demeurent encore en Guinée, avec leurs cortèges d’impunité, d’injustice, du culte de la personnalité et de la confiscation de l’appareil d’Etat relèvent plus de la mal-gouvernance par manque de démocratie, et d’Etat de droit. Nous n’aurons jamais une nation juridique fondée sur la citoyenneté sans réel Etat de droit qui va bannir une fois pour toutes l’injustice, l’impunité et établir définitivement l’égalité de droit et de devoir de tous les Guinéens devant la loi du pays. C’est là qu’une volonté politique d’impartialité du premier magistrat, le Président de la République est indispensable. En effet c’est avant tout l’Etat et ses institutions qui doivent être les premiers garants d’une bonne et véritable citoyenneté. Pour TOUS.
Vive l’Etat de droit pour que vive la démocratie en Guinée.
Dr. B. Diakité
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