L'opposition radicale
C'est un terme qui entre dans la nomenclature officielle du paysage politique guinéen, car c'est dans cette catégorie que sont rangés les partis politiques qui n'ont pas l'air d'obéir au commandement de « colonne, couvrez! » du pouvoir d'Alpha Condé. Cette appellation utilisée par les thuriféraires du régime, sous-entend pour ceux qui ont de la mémoire, exactement la même signification que les sobriquets utilisés naguère contre les opposants désignés alors d'anti-guinéens, c'est-à-dire ceux qui sont contre la marche en avant de la Guinée. Pour ceux de nos compatriotes dotés de bon sens, on peut s'apercevoir facilement que qualifier d'opposition radicale l'Alliance pour la Démocratie et le Progrès et le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition (ADP et Collectif), relève soit d'une pauvreté intellectuelle de nos politologues à constituer une nomenclature correcte du paysage politique guinéen, soit d'une crétinisation ayant abouti à une robotisation aux antipodes du traditionnel vieux bon sens de nos ancêtres des quatre régions.
De quoi s'agit-il ?... Loin d'être une querelle de vocabulaire, c'est à une question de mentalité et de « mauvaise foi » comme aiment à le dire les Guinéens, que cette note s'attaque. Mentalité et mauvaise foi, cultivées et entretenues plus d'une cinquantaine d'années à tel point que proclamées comme telles, très peu de gens ne s'y reconnaissent pas. Mais rassurez-vous, je pense à un certain monde politique, où la magouille joue à plein et où la simple approche des allées du pouvoir, sans même aller jusqu'à l'accession à ce pouvoir, est considérée comme l'obtention d'un passeport pour le Paradis. Dans notre pays, la métamorphose des hommes qui ont accédé au pouvoir « suprême » et de la camarilla qui les accompagne s'est toujours effectuée à la vitesse grand V dans le sens du machiavélisme, du mensonge, du cynisme, bref de l'imposture, vis-à-vis du peuple. J'ai déjà indiqué dans une interview récente que, lycéen à Conakry, dans la première moitié des années 1950, j'avais souvent rencontré Sékou Touré qui était alors Conseiller territorial (député) de Beyla, d'où je suis originaire. Je garde de cette époque, l'image d'un homme bon, attentionné et soucieux de vérité. Je me suis, par la suite, souvent demandé comment cet homme était devenu le monstre sanguinaire qui a envoyé tant de Guinéens de vie à trépas et parfois dans quelles conditions. Seule la soif démesurée du pouvoir qui est encore une réalité dans ce pays peut expliquer ce genre de métamorphose. Faire ou faire faire n'importe quoi par des sbires pour se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam est la spécialité à laquelle il faut se soumettre pour fréquenter les allées du pouvoir.
Une partie de ce qu'on appelle, en ce moment, opposition radicale, a montré son degré de patriotisme, en se soumettant à la décision de la Cour suprême, proclamant l'élection d'Alpha Condé à la Présidence de la République en novembre 2010. A cette date, si le camp adverse appelé l'Alliance des Bâtisseurs (Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Abé Sylla, El Hadj Soumah), s'était rebiffée, au vu des résultats du premier tour de l'élection (27 juin), on peut être sûr qu'il aurait été soutenu par des pays de poids à l'extérieur. Ils n'ont pas choisi cette voie (et c'est tant mieux) pour éviter une guerre civile en Guinée du genre de celle qui a endeuillé la Côte d'Ivoire. Et oser appeler ces hommes opposants radicaux! Y a-t-il quelques ministres et quelques conseillers autour du Président pour ramener les choses à des dimensions plus réalistes ? La naïveté de certaines courroies de transmissions du pouvoir qui laissent déjà entendre que le boycott de l'opposition dite radicale lors des législatives, ne serait pas dommageable, puisqu'un tel scénario vient de se passer en Côte d'Ivoire, laisse pantois au regard des tensions sociales régnant en Guinée. Mais encore une fois, faut-il répéter que la Guinée n'est pas la Côte d'Ivoire comme celle-ci n'est celle-là. C'est ce type de courte vue qui constitue encore un obstacle aux progrès économiques et sociaux en Guinée.
Les manœuvres qu'on impute à l'ADP et au Collectif au prétexte de leur radicalisme, c'est-à-dire de leur désaccord absolu, sont des mensonges. C'est pour, une fois encore, reculer ou faire échouer la tenue des élections législatives que le pouvoir sait ne pas pouvoir gagner dans des conditions transparentes. L'alliance Arc-en-ciel qui n'était qu'une rencontre de circonstances en 2010, est depuis devenue une coquille vide. Son avatar RPG-Alliance Arc-en-ciel, ne trompe personne même pas ses soutiers quant à sa consistance.
Le conglomérat politique qu'on désigne comme étant le Centre est en vérité, en train de se chercher et chacun sait qu'en politique, le Centre tente de grappiller aussi bien à sa droite qu'à sa gauche. Mais pour faire atmosphère démocratique, d'aucuns ont été sans rire, jusqu'à parler de « Centre d'opposition ». A voir clairement le paysage politique guinéen, il y a un pouvoir qui, de toute évidence, est numériquement faible en terme d'électorat et une opposition qui tente de s'organiser et d'être cohérente. Le reste est plus ou moins une masse hésitante, informe et sans boussole, il n'y a qu'à voir leurs récentes tentative de se fabriquer un label, d'où la main du pouvoir ne semble pas absente et qui ne convainc personne. Il n'y a donc que l'opposition de l'ADP et du Collectif qui n'est pas une opposition radicale puisque dans une déclaration conjointe récente, elle fait des propositions claires et précises pour pouvoir dialoguer avec le pouvoir. Une opposition radicale, c'est celle qui exclut tout dialogue avec le pouvoir en place. L'exemple type dans notre pays, est celle qu'Alpha Condé a entretenue vis-à-vis du pouvoir de Lansana Conté qu'il tenait pour l'unique Mal de Guinée. Il n'était d'ailleurs pas le seul dans cette radicalisation, d'illustres disparus, ont partagé une telle posture et aucun vrai démocrate ne pouvait la leur reprocher au regard de la dictature militaire d'alors. Mais de grâce, cessons de parler d'opposition radicale qui empêcherait la tenue des législatives. C'est un grossier alibi pour continuer de gouverner sans pouvoir législatif en face, à moins qu'il ne soit aux ordres du pouvoir exécutif.
Ansoumane Doré
Dijon, France
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