Dioncounda Traoré, un président sans réel pouvoir
Le nouveau président par interim du Mali apparaît simplement comme un gage pour continuer à faire vivre les institutions du pays.
La transition démocratique, consécutive au coup d’Etat du 22 mars au Mali, a porté à la présidence de la République par intérim l’ex-président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré. Le pays s’est ainsi engagé sur la voie de la normalisation politique conformément à l’accord-cadre signé entre l’ancienne junte militaire dirigée par le capitaine Amadou Sanogo qui a renversé le président Amadou Toumani Touré et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao). Grâce à la médiation que les chefs d’Etat des pays membres de cette institution sous-régionale ont confiée au président Blaise Compaoré du Burkina Faso.
Le prof’ de maths
Né à Kati en 1942, l’actuel président par intérim de la période de transition au Mali, est docteur en mathématiques. «Le professeur», comme ses partisans et sympathisants aiment à l’appeler, est un militant syndical de longue date. Il est entré en politique au plus fort de la dictature du général Moussa Traoré. Ce dernier a été renversé en 1991 par Amadou Toumani Touré, lui-même déchu par le capitaine Amadou Sanogo.
Au sein de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ), Dioncounda Traoré a milité pour l’avènement au pouvoir de l’ex-président Alpha Oumar Konaré. Ancien directeur de l’Ecole nationale des ingénieurs, il eut à occuper plusieurs postes ministériels, en l’occurrence ceux de ministre de la Fonction publique, ministre d’Etat et ministre de la Défense nationale, ministre d’Etat et ministre des Affaires étrangères. Elu député de Nara (une ville sahélienne, située près de la frontière avec la Mauritanie) pour la première fois en 1997, il sera battu lors des législatives de la mandature suivante.
Dioncounda Traoré prendra sa revanche avec son élection à la présidence du parti, suite à la dissidence de l’ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keita, en 2000. En menant l’ADEMA à la victoire des législatives de 2007, il en a tiré par la même occasion les dividendes en se faisant élire à la tête de l’Assemblée nationale face à Me Mountaga Tall du Congrès national d’initiative démocratique (CNID) par un vote sans appel de 111 voix contre 31.
Unité et intégrité territoriale
Avant le malencontreux coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo, le professeur Dioncounda Traoré était le candidat de l’ADEMA, dans le cadre de l’élection présidentielle prévue pour avril 2012. Et sa candidature avait été plébiscitée par les militants de son parti qui l’ont choisi à l’unanimité pour défendre leurs couleurs. Homme politique dont l’expérience est reconnue par tous, le président par intérim de la République du Mali a maintenant la lourde tâche de veiller à l’unité du pays et au retour de son intégrité territoriale.
Il devra par conséquent faire appel à toute son expérience pour conduire une transition sans accroc entre les différentes institutions de crise. La mission à lui assignée par l’accord cadre signé entre la Cédéao et les anciens putschistes du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) fait quasiment de lui un président sans réel pouvoir. Le président de la République par intérim apparaît donc comme un vernis démocratique pour respecter la forme de la légalité constitutionnelle. Car, au fond, c’est le Premier ministre qui assumera les pleins pouvoirs.
Honneurs et chrysantèmes
Le président par intérim devra, selon toute vraisemblance, se contenter de l’inauguration des chrysanthèmes et de la signature des actes au sommet de l’Etat. Avant de passer le pouvoir au nouveau président, dont l’élection reste conditionnée par la résolution de la crise au nord. Avec son accession précipitée à la magistrature suprême par cet accident de l’histoire, on pourrait penser qu’il se voit ainsi privé d’une échéance électorale à laquelle il s’était déjà préparé. Crise sociopolitique oblige. Mais rien ne le dit formellement dans le fameux accord-cadre entre la Cédéao et le CNRDRE. Le fait que les pleins pouvoirs soient dévolus au Premier ministre n’est sans doute pas le fait du hasard aussi. On est donc tenté de croire qu’il s’agit là d’une façon bien subtile de ne pas l’empêcher d’être candidat à la prochaine présidentielle le moment venu.
Depuis que les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le groupe islamiste Ançar Dine d’Iyad Ag Ghaly et autres groupes islamistes se disputent le nord qu’ils ont coupé du sud du pays, la situation suscite davantage d’inquiétudes. Elle éloigne d’autant plus la présidentielle qu’on imagine mal se tenir avant le règlement de ce conflit. Et tout indique que la présidence de Dioncounda Traoré sera plus difficile que d’ordinaire pour un président dépourvu des pouvoirs constitutionnels d’usage.
Reconquête du Nord
Cette présidence ne sera effective comme telle que si l’ensemble de la société malienne, à travers la société civile, la classe politique et l’Assemblée nationale, joue son rôle pour éviter qu’elle ne soit une simple caisse enregistreuse de la Primature. En se retirant du jeu politique, le CNRDRE semble en effet vouloir continuer à en tirer les ficelles au lieu de se concentrer sur la question de la reconquête du Nord.
Plus que le président par intérim, le Premier ministre de consensus qui dispose des pleins pouvoirs devrait alors éviter d’être l’otage de ces anciens putschistes afin de travailler en bonne intelligence avec ce dernier. La réussite et de la présidence de Dioncounda Traoré et de l’action du Premier ministre pour la transition démocratique dépend de cette indispensable et étroite collaboration, au nom de l’intérêt supérieur du Mali.
Marcus Boni Teiga
SlateAfrique
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