Destitution à la CENI ?
Les dernières informations en provenance de la CENI
Lousény Camara, Président de la CENI, compte à l'envers, puisqu'il invite les partis à déposer les listes de leurs candidats aux législatives, au plus tard le 8 mai prochain, uniquement pour respecter l'article 156 du Code électoral qui stipule que : « les déclarations de candidatures sont déposées à la CENI, 60 jours au moins avant la date du scrutin par le mandataire du parti politique qui a donné son investiture ». Comme sans aucune concertation, Lousény Camara avait proposé la date du 8 juillet prochain pour l'organisation du scrutin législatif, il pense s'ajuster aux délais, mais il nous trompe (en connaissance de cause ?).
De même, le 8 avril 2012, ce même Lousény Camara, avait adressé au représentant du groupe des partis politiques de l'opposition, publié sur différents sites guinéens, un courrier dans lequel il est clairement indiqué : « Nous vous prions de bien vouloir désigner deux représentants de votre groupe pour participer à l'envoi du matériel de recensement sur les sites à compter du 10 avril 2012 ». Là encore, il nous trompe (en connaissance de cause ?).
Enfin, le porte-parole de la CENI a révélé récemment que le décret de convocation du corps électoral sera pris le 28 avril et que la révision des listes électorales commencerait le 16 avril pour finir le 31 mai. Une nouvelle fois, il se trompe.
Évidemment si on se limite à l'écoute de ces déclarations, rien ne semble anormal, et au contraire on aurait presque l'impression de voir enfin un président (de la CENI) au sommet de son art. Mais pour qui se rappelle son incompétence notoire, déjà évoquée plusieurs fois, il y avait lieu de revisiter, ce qui va apparaître comme une violation de la loi.
En effet, au moins juridiquement, avec ses déclarations et ce courrier officiel, tout porte à croire que la CENI envisage une reprise intégrale du recensement des électeurs en 6 semaines, contrairement aux dispositions du Code électoral en la matière. Le faire en 6 semaines – outre que le recensement n'est juridiquement pas permis – est un exploit digne d'entrer dans le Guinness world records book, puisqu'on se rappelle que le recensement précédent avait duré deux ans. En outre, et c'est là le plus important, Lousény Camara démontre qu'il fait peu cas des textes – il l'avait déjà illustré lors de la signature d'un protocole avec le MATD –, et c'est la raison pour laquelle il va falloir le destituer... purement et simplement.
Après avoir rappelé brièvement les problèmes laissés en suspens, il conviendra de rappeler le droit et la procédure électorale, ce qui conduira inévitablement à solliciter le remplacement de Lousény Camara pour incompétence (sinon plus ?), et par conséquent d'inciter le gouvernement à reprendre le dialogue, pour faire aboutir sérieusement le processus électoral, qui n'en finit plus de s'éterniser.
Les problèmes laissés en suspens
Durant le pseudo-dialogue de janvier-février 2012 (dans la mesure où rien n'en est sorti de concret, y compris les dispositions sur lesquelles tout le monde était pourtant d'accord), la CENI avait suspendu ses activités.
Quasiment tous les problèmes avaient fait l'objet de discussions, tout en ayant trouvé une solution apparente, avec l'acceptation par tous d'un modus vivendi. Ce sont notamment l'amendement de l'article 162 du Code électoral, la révision des listes électorales et l'audit du fichier électoral, bien que sur ce point, le gouvernement souhaitait choisir l’organisme de contrôle. Chacun appréciera la supercherie, consistant à se contrôler soi-même... pour dire bien entendu que tout va bien, le contraire eût étonné.
Pour le gouvernement, il suffit en effet qu'on parle d'un problème, quel qu'il soit, pour qu'il considère que ce problème est résolu. Il confond donc communication et réalisation. Il est vrai qu'à l'heure de la virtualité, la tentation est grande...
Par contre, d'autres problèmes évoqués n'avaient pas trouvé de solution. Ce sont la restructuration de la CENI et de ses démembrements, la reprise des actes posés par la CENI depuis la signature du protocole d'entente MATD/CENI (à annuler pour l'opposition), l'annulation des marchés accordés gré à gré par la CENI (notamment la société Waymark) et la réhabilitation des conseils communaux dissous.
Je ne vais pas revenir sur ces derniers litiges que j'ai déjà évoqués dans un texte précédent. Je disais alors, avec argumentation à l'appui, que le gouvernement avait violé la loi, et qu'il était difficilement compréhensible que l'opposition ne se soit pas précipitée, pour le dénoncer auprès des juridictions compétentes.
L'opposition conteste essentiellement l'absence de restructuration de la CENI, dans la mesure où la configuration politique a changé depuis sa création en 2007, et notamment depuis les présidentielles de 2010. L'opposition souhaite y être représentée d'autant plus équitablement, que le gouvernement a modifié illégalement la composition de ses propres représentants.
S'il est nécessaire que le gouvernement comprenne l'importance du rôle qui est actuellement le sien dans la garantie du succès du processus électoral, obtenir la participation de l'opposition est la seule option qui vaille. Le fait que cette dernière soit incontournable pour la réussite du processus de transition – ce qui n'est évidemment pas l'avis de ceux qui sont en dehors des réalités –, devrait inciter le gouvernement à prendre les décisions (parfois difficiles), mais susceptibles d'aider à apaiser ses appréhensions.
Car il est également possible que cet imbroglio politique accentue les anciens clivages et même dégénère en quelque chose dont la Guinée n'a pas du tout besoin : la violence et l'instabilité.
Rappel du droit et de la procédure relatif au chronogramme
La loi organique n°13 du 29 octobre 2007 de création de la CENI stipule en son article 4 que : « la CENI veille à ce que la loi électorale soit appliquée et respectée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs ».
En admettant que le gouvernement et le Collectif soient d'accord sur tous les points précédents (ce qui n'est évidemment pas le cas, d'autant que l'audit de la liste électorale et du système informatique a été fait dans des conditions rocambolesques, la CENI étant juge et partie), il est nécessaire de revoir l'état de la législation selon le Code électoral.
Il y a lieu de rappeler qu'en principe la révision de la liste électorale a lieu du 1er octobre au 31 décembre de chaque année (article 17). On peut considérer que tout le monde avait accepté la révision (et non le recensement) et qu'elle puisse se faire à partir d'avril 2012, ce que l'article 18 du Code électoral permet de manière exceptionnelle.
En adaptant les dates du dernier trimestre annuel à celles choisies par Lousény Camara, la révision électorale ne devrait commencer que le 30 avril, puisqu'il faut, selon l'article 17 que « les présidents des démembrements de la CENI, assistés des maires, fassent procéder à l’affichage de l’avis d’ouverture et de fermeture, au plus tard 15 jours avant le début de la révision des listes électorales », soit au 16 avril. Il faut effectivement que tout le monde soit informé (les jeunes notamment, mais également les ruraux). Les déclarations radio ou télédiffusées ne suffisent pas, car chacun doit pouvoir vérifier visuellement s'il est inscrit ou pas sur la liste.
En admettant que le nécessaire ait été fait (c'est à vérifier sur place et nonobstant les irrégularités précédentes), et pour coller à la même date de début que celle choisie par Lousény Camara, la révision pourra débuter le 16 avril 2012. Il faudra par ailleurs procéder à un affichage 15 jours avant la fin des opérations de révision, donc si l'opération réelle dure 6 semaines jusqu'au 31 mai, un nouvel affichage aura lieu le 16 mai.
A l'issue de la révision électorale le 31 mai (en principe elle dure deux mois), un tableau récapitulatif sera dressé, comportant les électeurs nouvellement inscrits, ainsi que les électeurs radiés (article 20 du Code électoral).
Les présidents des démembrements de la CENI concernés (CEPI, CESPI, CECI, CEAMI), assistés du maire de la commune devront aviser la population de ce dépôt par affiche, apposée aux lieux habituels et faisant connaître que les réclamations sont reçues pendant un délai de 15 jours (article 21).
Les électeurs auront donc jusqu'au 15 juin pour contester leur non-inscription, ou leur radiation. Les réclamations éventuelles seront examinées par le Tribunal de Première Instance (TPI) qui disposera de 10 jours pour trancher (jusqu'au 25 juin). La décision devra ensuite être portée à la connaissance des personnes intéressées dans les 3 jours qui suivent le prononcé du jugement (article 26), soit au plus tard le 28 juin (je ne compte pas les jours ouvrés).
Toutes les modifications résultant des décisions des TPI seront reportées sur la liste électorale qui deviendra la liste électorale pour l’année en cours. Elle sera définitivement arrêtée le 6 juillet (article 29), compte-tenu des délais de communication et de retranscription, ce qui serait somme toute assez remarquable.
Il faudra en effet un peu de temps pour que la CENI récupère les décisions définitives de tous les tribunaux et les publie, ce qui deviendra la liste électorale définitive. Tout ceci pourrait permettre s'il n'y a pas de problème particulier, un début de campagne électorale à partir du 9 juillet.
L'incompétence de Lousény Camara
Comme nous venons de le voir, ce n'est qu'à ce moment là – après épuisement des délais de recours, pourrait-on dire –, lorsque la liste électorale sera définitive et publique, que le PRG devra convoquer les électeurs, soit dès le 9 juillet pour une consultation électorale au 16 septembre 2012 (70 jours de délai pour les législatives), l'ouverture de la campagne électorale devant être effective et annoncée pendant cette période, au moins un mois avant la date du vote, soit à partir du 20 août. Les partis politiques pourront dès le 15 juillet (et non pas le 8 mai) présenter leurs listes de candidats aux législatives. On rappelle que selon l'article 138 du Code électoral, « tout citoyen qui a la qualité d’électeur peut être élu à l’Assemblée Nationale s’il est présenté par un parti politique légalement constitué et conformément aux lois et règlements en vigueur ». Pour avoir la qualité d'électeur, encore faut-il être inscrit sur la liste électorale... définitive. On rappelle en effet que l'article 3 du Code électoral dispose que : « sont électeurs, tous les Guinéens âgés de 18 ans révolus au jour de la clôture de la liste électorale... ». La date du 8 mai appelant les partis politiques à choisir leurs candidats n'est donc pas valide, puisque la clôture de la liste électorale ne sera effective qu'au 28 juin au plus tôt.
Finalement, compte-tenu des délais légaux et incompressibles, les élections législatives ne peuvent en aucun cas se tenir avant septembre 2012. CQFD.
Ce qu'il y a lieu de faire
On rappelle que l'article 8 de la loi organique d'octobre 2007 de création de la CENI, précise qu'elle « est composée de personnalités reconnues pour leur compétence, leur probité, leur intégrité et leur bonne moralité ».
Je ne ferai pas de commentaires sur les 3 dernières qualités requises, dans la mesure où je ne connais pas Lousény Camara, en revanche j'avais déjà écrit en septembre 2010, et je réitère aujourd'hui, que Lousény Camara est incompétent, non pas dans son domaine de prédilection (ce que j'ignore), mais en matière juridique et constitutionnelle. J'ai toujours fait prévaloir le droit, et c'est la raison pour laquelle, j'ai toujours indiqué que juridiquement, rien ne permet (sinon le consensus politique) d'imposer le remplacement des membres de la CENI avant les législatives. Certes les arguments de l'opposition sont acceptables : conditions politiques ayant changé, de nombreuses entorses au droit ayant eu lieu et rendant l'application de celui-ci moins formel (et plus susceptible de consensus), avec par exemple le remplacement illégal des représentants de l'administration au sein de la CENI.
Toutefois, quand l'incompétence, même de façon non volontaire (???), aboutit à violer les textes (voir ci-dessus), il faut arrêter les frais et prendre ses responsabilités, tant l'opposition que le gouvernement. La médiocrité (plutôt que la malhonnêteté, chacun appréciera) a des limites qui sont aujourd'hui insupportables.
Concrètement l'opposition devra saisir la Cour suprême en référé, pour contester la validité du chronogramme, et accessoirement solliciter du CNT, qui n'a pas beaucoup travaillé pour le moment, sauf à être une chambre d'enregistrement (vote d'un budget en déficit, alors que c'est formellement interdit par la constitution par exemple, constitution dont il est pourtant l'artisan), d'engager une procédure de destitution contre le président de la CENI, procédure qui n'existe pas formellement, mais qu'il pourrait exceptionnellement mettre en place pour l'occasion (après tout, nous sommes encore en phase de transition), en vue de trouver une solution consensuelle. Au-delà de la valeur morale de l'homme, il est nécessaire d'avoir au moins une personnalité qui sache lire le droit, à la tête de la CENI. C'est un minimum pour une personnalité censée le faire respecter par les autres. Il est en effet essentiel que ceux qui sont nommés pour dire le droit, soient eux-mêmes exempts de reproches, mais surtout juristes, à défaut d'être entourés de conseillers compétents.
Évidemment, dès lors que le président est remplacé pour violation de la loi, le problème des autres commissaires se pose, ne serait-ce que par solidarité. C'est aux partis politiques de faire le tri, entre ceux qui pourront rester (certains se sont désolidarisés des méthodes de Lousény Camara par exemple) et les autres, sachant qu'il serait néanmoins préférable de changer tout le monde, en octroyant à certains un statut de conseillers temporaires, pour assister les nouveaux commissaires dans leurs tâches, du fait de leur expérience.
L'opposition continuera ainsi à faire œuvre de pédagogie, notamment en ce qui concerne la résolution pacifique des différends, et c'est la raison pour laquelle un véritable dialogue (et non une opération de communication) pourrait être engagé pour trouver une solution enfin acceptable par et pour tous.
Gandhi
Citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, mai 1791).
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