Charles Taylor en prison, à qui le tour en Guinée ? Par Nabbie Soumah

« La peine infligée aujourd’hui ne remplacera pas les membres amputés, mais elle apporte justice », a estimé la procureur Brenda Hollis après le verdict rendu à l'encontre de Charles Taylor par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) de Leidschendam, près de La Haye (Pays-Bas).

L’ex-président du Liberia, 64 ans, a été condamné après 6 années de procès à 50 ans de prison (au lieu des 80 ans requis par le parquet) pour 11 chefs d’accusation.

Il finira sûrement ses jours derrière les barreaux reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour avoir fourni en échange de diamants des armes, de la nourriture, des médicaments, du carburant et des équipements aux rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) en Sierra Leone, pays frontalier du Liberia et de la Guinée.

Il était l'allié, le parrain d'auteurs de massacres lors de la guerre civile de 1991 à 2002 qui a causé plus de 50 000 morts et des milliers de mutilés.

« Le bon terrain de bataille est celui qui n'a pas de précipice sur ses arrières » enseignait le stratège, l'Empereur Napoléon Bonaparte (1769-1821). Charles Taylor, à l'instar d'autres dictateurs africains et leurs affidés pas encore rattrapés par la justice internationale comme en Guinée, « s'était battu contre un mur avec un précipice dans le dos ». Ce mur est l' implacable justice pénale internationale.

Charles Taylor avait été inculpé en 2003 durant la dernière année de son mandat de président du Liberia par le TSSL avant d'être arrêté trois ans plus tard au Nigeria où il s'était réfugié. Il avait été transféré aux Pays-Bas en 2006. Il devient ainsi le premier ancien chef d'Etat africain arrêté et condamné par une juridiction internationale. Est-il le premier d'une longue liste ?

Et à qui le tour prochainement, et surtout en Guinée, un pays martyr ?

Jusqu'ici, la plus longue peine prononcée par TSSL était de 52 ans de prison, à l'encontre d'Issa Hassan Sesay, l'un des anciens commandants du RUF. Ce TSSS avait déjà rendu, le 26 octobre 2009 , son ultime verdict à Freetown en condamnant en appel deux autres ex-chefs rebelles Augustine Gbao et Morris Kallon, respectivement à 25 et 40 années d'emprisonnement.

Le fondateur du RUF, Foday Sankoh (1937-2003), est décédé en détention préventive avant d'être jugé.

Il me parait judicieux, utile d'insister sur trois problématiques, trois questionnements qui ont trait à ce verdict exemplaire contre l'impunité et qui devrait faire des émules pour la paix des consciences et pour exorciser de légitimes frustrations :

- la législation permanente du droit pénal international contre l'impunité, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ;

- la traque des criminels et la Jurisprudence internationale implacable ;

- et la défaillance du système judiciaire africain avec le cas guinéen où les criminels financiers et de sang, les « saigneurs » sont plutôt promus et protégés.

I°) Une législation permanente du droit pénal
international contre l'impunité

- Les 4 Conventions de Genève de 1949 et les 3 protocoles additionnels de1977 et 2005 sont des traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit international humanitaire. Les séquelles de la deuxième guerre mondiale ont marqué les esprits avec plus 62 millions de personnes, dont une majorité de civils.

Bien que le viol soit considéré comme un crime depuis des siècles, ce n'est qu'après la Seconde guerre mondiale qu'il a été formellement codifié dans la 4ème Convention de Genève du 12 août 19 49 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Mais il faudra attendre 2001 pour qu'il soit qualifié de crime contre l'humanité par le TPI pour l'ex-Yougoslavie à propos des camps instaurés par les forces serbes durant la guerre de Bosnie-Herzégovine.

Lorsque la Cour pénale internationale (CPI) fut créée par le traité de Rome en 1998, une attention particulière fut accordée aux crimes sexuels.

- Le principe de la compétence universelle permet de poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité quelle que soit leur nationalité ou celle de leurs victimes et le lieu de leurs forfaits. Voté à l'unanimité en 1999 et étendu au crime de génocide en 1999 en Belgique, il est entré en vigueur en France le 9 août 2010 et consolidé par la Cour européenne des droit de l'homme en mars 2009 dans l'arrêt Ould Dah.

- La Convention de New York de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fut adoptée par l'ONU (résolution 39/46) du 10 décembre 1984 et entrera en vigueur le 26 juin 1987 .

- Le Statut de Rome de 1998 a institué la CPI qui siège à La Haye (Hollande) ; il fut adopté le 17 juillet 1998 et entra en vigueur le 1er juillet 2002.

- Le devoir de mémoire et les lois mémorielles : « Le bourreau tue deux fois : d’abord par la mort, ensuite par l’oubli ! » selon un vieil adage. Il bourreau mise toujours sur l’oubli et l’impunité pour ne pas répondre de ses actes devant la justice.

Le devoir de mémoire s’inscrit aussi dans la logique de la lutte contre l’impunité d’où l’élaboration des lois mémorielles pour garder en mémoire un fait historique caractérisé par l'avilissement de la personne humaine, des crimes contre l'humanité.

Certaines de ces lois ont une fonction purement déclarative et sont dépourvues d’effet juridique ; par exemple la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

D'autres ont une fonction normative et sont applicables par les juges. Par exemple, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 , tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe fut adoptée dans un contexte de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson remettant en cause le génocide des Juifs.

La loi Taubira du 21 mai 2001 , tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, est un autre exemple.

Le 25 janvier 2011 a eu lieu la transformation en mémorial de l’ancienne gare de Bobigny d’où plus de 22 400 juifs internés à Drancy ont été envoyés vers le camp d’extermination d’Auschwitz entre juillet 1943 et août 1944.

2°) La traque des criminels et la Jurisprudence
internationale implacable

Pour traquer les crimes contre l'humanité, la communauté internationale a mis en place des mécanismes, des outils spéciaux pour lutter contre l'impunité. Ils viennent pallier la défaillance des tribunaux nationaux, particulièrement sur le continent africain.

a) La mise en place d'institutions pénales internationales contre l'impunité

- Les 4 TPI créés par le Conseil de sécurité de l'ONU

Ce sont : le TPIY pour l'ex-Yougoslavie institué le 25 mai 1993 ; le TPIR pour le Rwanda mis en place le 8 novembre 1994 ; le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSS) créé le 14 aout 2000 ; et le TSL pour le Liban après l’assassinat de Rafiq Hariri (1944-2005) officiellement ouvert le 1 mars 2009.

- La CPI du Statut de Rome de 1998 avec ses 3 types de saisine : par l'ONU, un Etat signataire du Statut de Rome ou le Procureur général de la CPI.

Les Nations-Unies avaient saisi le procureur Luis Moreno-Ocampo de la situation en Libye, considérant que « les attaques systématiques contre la population civile en Libye peuvent être assimilées à des crimes contre l'humanité ».

C'est la deuxième fois dans son histoire qu'elle est saisie directement par les Nations unies : en 2005, c'était pour enquêter sur les violences commises au Darfour, conduisant à la délivrance de mandats d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir pour crimes de guerre et contre l'humanité (mars 2009) et génocide (juillet 2010).

b) La Jurisprudence « Jean-Pierre Bemba » et la consécration
du principe de la responsabilité de la hiérarchie militaire

La CPI a ordonné le 15 Juin 2009 le jugement de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, pour 5 chefs d'accusation commis par sa milice en République centrafricaine : « Il y a des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que Jean-Pierre Bemba est pénalement responsable, pour avoir effectivement agi en qualité de chef militaire, des crimes de meurtre, de viol constituant un crime de guerre et un crime contre l'humanité, de torture et d'atteintes à la dignité de la personne ».

La CPI reconnait ainsi la responsabilité de la hiérarchie militaire qui pourrait être appliquée également à la junte militaire guinéenne du CNDD et pour les violences commises en Côte d'Ivoire.

c) La traque implacable des criminels

La justice internationale s'est mise, de façon constante, au service de la vérité historique ; à l’inverse de la Guinée, l’identification, l’arrestation et le jugement d’auteurs de crimes contre l’humanité s’opèrent sans relâche au sein de la communauté internationale. Les exemples sont nombreux.
L’Espagne avait accepté de regarder à nouveau son passé en face grâce à l’iconoclaste magistrat Balthasar Garzon pour qui « la répression franquiste ne peut en aucun cas être prescrite ; les crimes contre l’humanité ne peuvent être prescrites, échapper à toute limite temporelle ».

Au Chili, le général Augusto Pinochet (1915-2006), fut arrêté en 1998 à Londres à la suite d'une plainte internationale pour « génocide, terrorisme et tortures ».

En Argentine, l’ex-Président Jorge Rafaël Videla fut jugé et déclaré coupable en 1985, avec huit autres leaders de la junte pour enlèvements, tortures et meurtres.

L’Afrique du Sud avait établi en 1995 la « Commission vérité et réconciliation » pour faire face aux crimes commis pendant l'Apartheid.

Hissein Habré, qui vit en exil au Sénégal, fait l’objet d’une plainte pour crimes contre l’humanité et crimes de torture. Pour favoriser et accélérer son procès, le Sénégal a du réviser sa constitution le 23 juillet 2008 .

Depuis septembre 2004, des poursuites de crimes commis ont été instruites en Afrique par la CPI. Trois d'entre elles l'ont été à la demande des gouvernements concernés (Ouganda, République démocratique du Congo et République centrafricaine), la quatrième (Soudan) ayant été déférée à la Cour par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Treize mandats d'arrêt ont été délivrés dans le cadre des situations en Ouganda contre les dirigeants de l’armée de résistance du Seigneur de guerre Joseph Kony, en RDC contre MM. Lubanga, Katanga, Ngudjolo et Bosco Ntaganda, en Centrafrique contre Jean-Pierre Bemba ainsi qu'au Soudan contre Omar Al Bashir.
À ce jour, quatre personnes, toutes originaires de la RDC, sont détenues : MM. Lubanga, Katanga, Ngudjolo et Bemba.
La Cour suprême du Pérou a confirmé à l'unanimité, le 7 avril 2009, la condamnation à 25 ans de prison de l'ancien président Alberto Fujimori.

Au kenya, six suspects pour violences post-électorales sont inculpés par la CPI : le vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta, le Secrétaire du Gouvernement Francis Muthaura, l'ex-chef de la police Hussein Ali , les ex-ministres William Ruto et Henry Kosgey et le journaliste radio Joshua Sang.

Lors du procès des « Khmers rouges » au Cambodge, Douch, directeur de la prison de Phnom Penh où 15.000 personnes ont été torturées et exécutées, a été condamné en appel à la perpétuité le 3 février 2012 par le tribunal parrainé par les Nations-Unies.


3°) La défaillance du système judiciaire africain :
le cas guinéen

Paradoxalement, ce sont des juridictions occidentales qui sont plus implacables et souvent instruisent les crimes de droit humain et les affaires concernant les biens mal acquis. Le laxisme du système judiciaire africain étant manifeste et récurrent.

a) La Guinée, l'exemple-type d'accommodement à la culture
de la violence, de l’impunité et de l’injustice

Depuis décembre 2009, nombreux étaient ceux qui croyaient à la fin de l’impunité et de l’injustice en Guinée après la publication du rapport accablant et nominatif de la Commission d'enquête internationale onusienne conduite par l’algérien Mohamed Bedjaoui qui concerne les massacres et viols du 28 septembre 2009 .
Ce rapport est l'une des causes de l’attentat de Aboubacar Toumba Diakité sur Dadis Camara le 3 décembre 2009 au camp de Koundara.

On a assisté malheureusement à la manifestation d’une justice nationale laxiste et aux ordres du pouvoir militaire avec le verdict ignominieux de la commission nationale d’enquête indépendante dirigée par Siriman Kouyaté. Elle disculpera les forces de sécurité mais inculpera Toumba Diakité et ses hommes, mettra en cause tous les leaders politiques présents au stade le 28 septembre et victimes d’exactions.

C’est le comble du cynisme : le bourreau se mue en justicier ! Il n’est pas inutile de rappeler qu’un membre de cette CENI, Mme Pierrette Tolno la négationniste, avait nié l’existence de ces viols : « il n’y a jamais eu de viol le 28 septembre (…) des femmes ont été payées 40 euros pour faire de faux témoignages ».

Des familles pleurent encore des morts, des disparus, soignent des blessés et des victimes de viols, de la violence d’Etat depuis les années 50 à nos jours.

Six ans après le carnage des 12 juin 2006 , 22 janvier 2007 et 28 septembre 2009 , les auteurs et les commanditaires de ces tueries courent toujours.

En conclusion, les producteurs de violence continuent de bénéficier en Guinée d’une totale impunité et tout est fait pour qu’un drap d’oubli soit jeté sur leurs méfaits. Au détriment du droit à la vérité, à la justice et à la réparation.
Mieux encore, ils y ont droit à des lauriers et des gratifications.

b) Recyclage et promotion permanents des « saigneurs » en Guinée

On constate et déplore la récurrente réhabilitation des fossoyeurs de l'économie guinéenne, des deniers publics, des services publics et des criminels de sang, des violeurs.

Pour rappel, certains personnalités du régime de feu Général Lansana Conté avaient été écrouées au PM3 à Conakry pour la mauvaise gestion du Fonds minier guinéen et pour détournement de fonds , à l'instar de Ahmed Tidiane Souaré, Ousmane Sylla , Louncény Nabé, Ahmed Kanté.

Louncény Nabé sera nommé le 27 décembre 2010 gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée et Ahmed Kanté promu nouveau patron des Mines le 12 août dernier comme administrateur général de la société guinéenne du patrimoine minier ; il demeure Conseiller à la Présidence chargé des questions minières. Il fut longtemps incarcéré puis élargi après le remboursement d’une bonne partie des fonds détournés.

Mr. Madifing Diané a été nommé le 23 août dernier ambassadeur au Sénégal ; ce qui suscita beaucoup d’émoi parmi les militants des droits de l’homme et les associations de victimes. Il fut un tortionnaire notoire du funeste camp Boiro durant le régime de plomb de Sékou Touré (1922-1984) et ministre de la sécurité de Lansana Conté (1934-2008). Il était un des agents secrets, entre 1971 et 1984, et en contact avec l’ancien espion du PDG, Jean-Marie Doré qui fut premier ministre du gouvernement de transition.

le Lieutenant-colonel Claude PIVI alias Coplan a été élevé au rang de Chevalier de l’ordre national du mérite de la République ; il fut ministre d’Etat de la sécurité présidentielle et homme de confiance de l'ancien chef de la junte, Dadis Camara actuellement en « convalescence et exil forcés » au Burkina Faso. Il avait été confirmé à son poste et à l’état major de l’armée (ainsi que le lieutenant colonel Moussa Tiegboro Camara) par un décret présidentiel du 9 janvier 2011 .

Il sont tous les deux sous la menace d’un transfèrement à la CPI (cf. le rapport de Mohamed Bedjaoui) pour les douloureux évènements du 28 Septembre 2009 .

Pivi Coplan n’était pas à sa première forfaiture : en juin 2008, il s’était illustré dans le massacre d’une quarantaine de policiers à la base CMIS de Cameroun à Conakry.

Tiégboro Camara avait été également nommé à la tête du département chargé des services spéciaux, de la lutte contre la drogue et les crimes organisés.

D’autres caciques du « contéisme » ont été aussi promus à la présidence de la République par le nouveau pouvoir à l’instar de Mamadou Sylla , Fodé Bangoura, Feu Fodé « Ariana » Soumah et Kiridi Bangoura.


Conclusion :

Charles Taylor est en prison et y finira, sûrement et à juste titre, sa vie.

Justice a été rendu aux victimes en Sierra-Leone.

La question lancinante, douloureuse est celle-ci : quand et à qui le tour en Guinée ?

Il est temps de rendre enfin justice aux vraies victimes.

Il s’agira surtout de combiner le triptyque « Vérité-Justice-Réconciliation », catharsiser les passions, crever l’abcès pour extirper le mal, les crimes de sang, humains et les crimes économiques qui ont une forte incidence sur le développement de notre pays et surtout de ses services publics.

Il n’y a pas de paix sans justice, ni de pardon sans justice ; il n’y a pas de vérité sans justice ; ni de réconciliation sans justice restauratrice, réparatrice. Le rétablissement de la justice sera le seul garant d'une réconciliation et d'une paix durables.

On ne peut pas faire l’économie d’une introspection collective afin d’exorciser les frustrations engendrées par la violence politique depuis les années 50 à nos jours.

Que Dieu préserve la Guinée !

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr

Paris, le 31 mai 2012



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