Lettre ouverte à la Présidente du Conseil National de Transition Abe Sylla & Fodé Mohamed Soumah
Le 10 juin 2012
A Madame
HADJA RABIATOU DIALLO
Présidente du Conseil National de Transition
Parlement transitoire
Conakry, République de Guinée.
Madame la Présidente,
Notre pays traverse un moment extrêmement critique de son histoire; moment caractérisé par la violation répétée de la Constitution et des lois, avec en prime, une forte dégradation de la situation sociopolitique délétère qui se matérialise par la rupture du dialogue entre les principaux acteurs de la vie nationale.
A la date du 4 avril 2011, la GéCi avait interpellé officiellement l’institution que vous présidez, afin d’amener les membres du nouveau gouvernement à se présenter devant le CNT pour présenter leur feuille de route. Ce courrier faisait suite au discours de politique générale du PM qui ne donnait pas suffisamment d’indications sur la faisabilité dudit programme économique.
Dans le même souci de transparence, un courrier analogue avait été envoyé à la Cour Suprême demandant la publication de la déclaration de patrimoine des nouveaux décideurs, telle que l’exige la nouvelle constitution.
Cette initiative de la GéCi répondait à la nécessité d’asseoir les bases de la bonne gouvernance, la moralisation de la vie publique et la rupture avec les pratiques du passé.
Depuis cette date, la situation sociopolitique subit une détérioration progressive au point que la NGR et la GéCi sollicitent à nouveau votre implication en tant qu’organe législatif transitoire, investie par la constitution, de l’ensemble des fonctions de l’Assemblée Nationale, en attendant son installation.
Le dialogue est pratiquement rompu entre les différents acteurs politiques, malgré l’intervention de nombreuses personnalités politiques, religieuses et étrangères.
Les perspectives et mesures idoines se font attendre du côté des autorités; l'illustration en est donnée par la paupérisation grandissante des populations, en passant par l’impunité qui s'accentue, l'opacité dans les choix étatiques, la multiplicité des décisions unilatérales et l’insécurité à tous points de vue.
L’actualité du moment relève deux faits majeurs :
la tentative de détournement de la somme de 13 milliards de francs guinéens par des cadres de l’administration,
un questionnement provenant de la dénonciation d’un deal opaque de 25 millions de dollars par le Sunday times qui impliquerait l’Etat guinéen à son sommet et un homme d’affaires sud-africain.
Se greffe à ces anomalies de fonctionnement, le problème récurent de la CENI qui reste entier, malgré le rapport du PNUD et la visite de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui remet les acteurs dos à dos.
Le rapport produit sur la gestion de la CENI lors de l’élection présidentielle est accablant et montre à suffisance que les vieilles pratiques demeurent tenaces dans notre pays.
La NGR et la GéCi notent avec préoccupation que tous les organes liés à la transition ont été épinglés, sans compter les multiples règlements effectués au profit de personnes physiques, en totale violation des règles et procédures administratives.
Dans ce sens, la NGR et la GéCI rappellent que plusieurs dizaines de milliards de francs guinéens ont été décaissés sur les deniers de la CENI et empochés par le MATAP, la FOSSEPEL, le Ministère de l’Information, la Cour Suprême, le Conseil National de Transition, le Conseil National de la Communication, le Conseil Economique et Social, le Gouvernorat de Conakry, les syndicalistes, la société civile, le cabinet du Président de la Transition, le collège médical, quelques structures éparses et des journalistes non listés.
De plus, le tout dernier rapport d'audit du Ministère des Sports fait ressortir le détournement de sommes faramineuses, au titre de chantiers fictifs ou inachevés avec, quelquefois, la complicité des contrôleurs de l’Etat.
D’autres audits sont en cours, même si on ne parle plus du tout premier, qui avait épinglé des personnalités qui occupent de hautes fonctions en ce moment.
Pendant ce temps, il est demandé aux populations de se serrer la ceinture et d'accorder du temps au "changement".
Par ailleurs, la classe politique est divisée quant à la recomposition paritaire de la CENI et au choix manifeste porté sur la société WayMark, pour effectuer l’enrôlement, en vue de la révision du fichier électoral.
Dans le même temps, de nombreux pays, qui n’avaient même pas amorcé leur processus électoral, avant notre élection présidentielle du 30 juin 2010, en ont fini avec la mise en place de certaines institutions, comme le Président de la République et l’Assemblée Nationale, et entament avec détermination les réformes économiques et les changements nécessaires.
Enfin, les acquis démocratiques sont sérieusement menacés avec l'interdiction de manifester, les arrestations arbitraires, les jugements en catimini, la pression et les interférences de plus en plus marquées de l'Exécutif sur le pouvoir judiciaire.
De tout ce qui précède, il vous revient de prendre vos responsabilités à travers les prérogatives que vous confèrent nos textes constitutionnels, et qui passeraient immanquablement par diligenter des enquêtes et interpeller tous les pouvoirs constitutionnels.
A notre avis, et dans le prolongement des révélations faites par la presse, il vous appartient en tant que parlement de transition, d’entrer en lice contre une si périlleuse dérive qui ne reflète pas les attentes de nos populations, douloureusement enserrées dans le corset inexorable de la pauvreté.
Ainsi la NGR et la GéCi, préoccupées par le caractère extravagant et inadmissible des situations exposées plus haut, exhortent le CNT à se saisir de chaque cas et à diligenter la constitution d’ une commission d’enquête, afin d’établir les responsabilités et éclairer le peuple sur la gestion du patrimoine national.
La NGR et la GéCi rappellent que l’action qu’elles réclament est un devoir impératif que la Constitution impose au CNT. A cet égard, nous attirons votre attention sur les dispositions suivantes de la Constitution :
« Article 89 : Le Gouvernement est tenu de fournir à l’Assemblée Nationale toutes explications qui lui seront demandées sur sa gestion et sur ses activités. Les moyens de contrôle de l’Assemblée Nationale sur l’action gouvernementale sont les questions écrites ou orales avec ou sans débat auxquelles sont tenus de répondre le Premier ministre et les Ministres. Les réponses données ne sont pas suivies de vote. Elles sont publiées au Journal Officiel. Une séance par semaine est réservée, au cours de chaque session ordinaire, aux questions orales sans débat. L'Assemblée Nationale peut désigner en son sein des commissions d'enquête. »
« Article 157: Le Conseil National de la Transition assumera toutes les fonctions législatives définies par la présente Constitution jusqu’à l’installation de l’Assemblée Nationale. »
La NGR et la GéCi suggèrent fortement que le CNT inscrive cette question à l’ordre du jour de sa prochaine séance plénière et pour en débattre. Il s’agit, et nous le précisons bien, d’une question fondamentale, puisque dans le préambule de la Constitution il est écrit : « le Peuple de Guinée proclame…….. sa volonté de promouvoir la bonne gouvernance et de lutter résolument contre la corruption et les crimes économiques. Ces crimes sont imprescriptibles. »
La NGR et la Géci demandent avec insistance au CNT de tout mettre en œuvre pour que la composition de cette commission et le déroulement de ses travaux confèrent une crédibilité aux résultats qui seront publiés.
La NGR et la GéCi, confiantes dans l’engagement prévenant du CNT à toujours agir conformément aux intérêts supérieurs de la Nation, exhortent ses membres à faire face, avec fermeté et sans complaisance, à leurs responsabilités historiques.
Le CNT, répondra efficacement, nous en sommes convaincus, aux impératifs de son rôle, en toute objectivité, sans équivoque, ni retard, pour le bien et la consolidation de la jeune démocratie naissante.
Ce faisant, il contribuera à ancrer la bonne gouvernance et le respect des lois qui forment les obligations du Président de la République figurant à l’article 45 de la Constitution et, en raison desquelles, il a prêté le serment prévu à l’article 35 de la Constitution dont le CNT a doté la République de Guinée.
L’histoire récente de notre pays prouve à suffisance que c’est la faillite de nos institutions et l’inaction des dirigeants qui ont entraîné la déliquescence de l’Etat et la violence gratuite générée par un silence coupable et une démission collective.
Dans l’espoir que cette nouvelle initiative de la NGR et la GéCi trouvera un écho favorable au niveau du CNT pour une solution rapide et irénique, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression renouvelée de notre haute considération.
Pour la NGR Pour la GéCi
Le Président Le Président
Abe SYLLA Fodé Mohamed SOUMAH
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