Affaire Amadou Diallo de la CNTG : Y a-t-il un juriste dans le cabinet présidentiel ? Par Makanera Ibrahima Sory
Par communiqué de presse présidentiel en date du 18 mai 2012, le président Alpha Condé a affirmé reconnaitre M. Amadou Diallo comme seul secrétaire général de la CNTG au mépris de l’arrêt de la Cour d’appel de Conakry qu’il qualifie d’incompétente pour connaitre les litiges relatifs à la représentativité des organisations syndicales.
Lors de son interview sur www.guineenews, M. Amadou Diallo, pour normaliser sa reconnaissance par le président, avait dit entre autres que le président de la République est le premier magistrat du pays et que s’il se prononce sur un dossier, c’est terminé.
« On ne dira jamais assez que la magistrature suprême d’un président de la République ne doit pas être comprise dans le sens juridictionnel du terme : Un président de la République n’est pas un juge, le principe de la séparation des pouvoirs oblige ». Il me semble important de rappeler que c’est M. Amadou Diallo qui avait ma faveur dans cette affaire, du fait que son élection avait été reconnue par des observateurs extérieurs tels que le Bureau international du travail(BIT) et d’autres. Mais, quand on analyse une question juridique, c’est la loi qui constitue la référence et non sa propre préférence.
Je précise également que si cet article intervient aussi tard, c’est parce que j’ai l’impression que les Guinéens n’ont pas pris la mesure de la dangerosité de cette usurpation du pouvoir judiciaire par le chef de l’exécutif, fait qui est une grave violation du principe de séparation des pouvoirs consacré par la constitution guinéenne. Cette passivité institutionnelle et populaire se traduit par des violations de plus en plus graves de la constitution par le président Alpha Condé.
En effet, nous venons d’assister à l’épilogue du combat fratricide et judiciaire qui avait opposé M. Amadou Diallo et M. Yamoussa Touré pour le contrôle de la Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée(CNTG).
En résumé, M. Amadou Diallo et M. Yamoussa Touré étaient candidats au poste de secrétare général de la CNTG lors du congrès mouvementé qui avait consacré l’élection de M. Amadou Diallo. En total désaccord avec cette élection, pourtant reconnue entre autres par les représentants du Bureau international du travail (BIT), M. Yamoussa Touré et ses partisans avaient aussi organisé leur propre congrès ayant donné lieu à l’élection de ce dernier au même poste de secrétaire général de la CNTG. Les deux élections ont eu pour conséquence, la dualité de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée ; l’une dirigée par M. Amadou Diallo et l’autre dirigée par M. Yamoussa Touré. Suite à cette dualité, le tribunal du travail de Conakry avait rendu un jugement annulant les deux élections, décision qui vient d’être confirmée par l’arrêt de la Cour d’appel de Conakry en date du 15 mai 2012.
La question qui nous intéresse dans cette affaire présentant le caractère d’une violation grave de multiples dispositions constitutionnelles, est celle du communiqué du bureau de presse de la présidence de la République rendant publique la reconnaissance de M. Amadou Diallo comme seul représentant de la CNTG par le président Alpha Condé, au mépris de l’arrêt d’annulation des deux congrès qui ont donné lieu à l’élection des deux protagonistes, ce qui donne l’apparence d’une nomination alors que le secrétaire général de la CNTG n’est pas nommé mais élu.
Pour tenter de comprendre la portée de ce communiqué, la première étape peut consister à déterminer sa nature juridique, s’il en a une, avant d’analyser les conséquences qu’il peut engendrer.
Il me semble important de commencer par souligner que l’affirmation du président Alpha Condé (contenue dans le communiqué) selon laquelle les tribunaux ne sont pas compétents pour connaitre les litiges relatifs à la représentativité des organisations syndicales traduit une lacune impardonnable de la part du président de la République car l’article 258 du code du travail de la République de Guinée attribue cette compétence aux tribunaux du travail dans ces termes : « Les litiges concernant la représentativité des syndicats sont de la compétence du Tribunal du Travail. Lorsque le secteur géographique dans lequel la représentativité syndicale est discutée, dépasse le domaine de la compétence territoriale d’un Tribunal, le litige est porté devant le Tribunal du Travail de Conakry ».
Si le président et son cabinet sont incapables de vérifier la véracité de ses propos sur l’existence et les conditions d’application des textes de loi dont il est lui-même chargé de garantir leur bonne application, on peut dire que la Guinée est très mal partie !
Quelle est la nature juridique du communiqué du bureau de presse de la présidence reconnaissant M. Amadou Diallo ?
Avant d’analyser cette question, il me semble incontournable de souligner les limites des actes normatifs que le président de la République peut légalement prendre dans l’exercice de son pouvoir réglementaire. Abstraction faite de ses compétences dans des domaines divers et variés en sa qualité de chef de l’exécutif, il faut comprendre qu’en matière normative (création de loi au sens large du terme) la compétence propre ou directe du Président est définie par l’article 46 alinéa 1er de la constitution qui dispose que : « le président de la République dispose du pouvoir réglementaire qu’il exerce par décret ».
Pour être plus complet, on peut s’étendre sur son pouvoir de prendre des ordonnances. Mais attention ! Il ne s’agit pas d’un pouvoir propre. C’est un pouvoir qu’il peut tenir de l’Assemblée Nationale dans un domaine limité pour une durée limitée sur le fondement de l’article 82 alinéa 1er de la constitution qui dispose que : « L’Assemblée Nationale peut habiliter par une loi, le président de la République à prendre des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi pour un délai donné et pour des objectifs qu’elle précise ».
Pour répondre à la première question, on peut procéder par élimination.
a) Le communiqué présidentiel en question peut-il être considéré comme un décret ?
La réponse négative s’impose. Quand le président prend un acte sur le fondement de son pouvoir décrétale, l’acte en question ne peut être qualifié de « communiqué », mais, de « décret » avec son numéro et la date de sa prise entre autres et doit être publié au journal officiel, ce qui n’a pas été le cas de ce communiqué. De ce fait, il ne s’agit pas d’un décret.
b) Le communiqué présidentiel en question peut-il être considéré comme une ordonnance ?
La réponse négative s’impose ici aussi car, pour que le président prenne une mesure par ordonnance, il faut que le domaine d’action relève non seulement du domaine de la loi, mais aussi qu’il soit habilité par l’Assemblée Nationale conformément à l’article 82 alinéas 1er de la constitution. On peut constater que le CNT, qui fait office d’Assemblée Nationale, n’a donné aucune habilitation permettant au président de s’opposer aux décisions juridictionnelles. Même si tel était le cas, l’habilitation serait illégale du fait que sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs consacré entre autres par l’article 2 alinéa 8 de la constitution, l’Assemblée Nationale n’a aucune compétence lui permettant de voter une loi qui se substituerait à des décisions de justice. Ne pouvant pas transmettre plus de pouvoir qu’elle n’en a, l’Assemblée Nationale, même si elle le souhaitait, ne pourrait pas transmettre au Président, le pouvoir de prendre des mesures contre les décisions des juges. Donc, il ne s’agit pas d’une ordonnance.
Attention !!! Le fait que le président de la République puisse exercer le droit de grâce sur le fondement de l’article 49 de la constitution ne doit pas être compris comme un pouvoir de substituer sa volonté aux décisions juridictionnelles. La grâce, qui ne peut intervenir qu’après la condamnation définitive, ne remet pas en cause le jugement, elle permet seulement au condamné de ne pas purger la peine prononcée par les juges.
La publication du communiqué du président, allant à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Conakry, est insusceptible de se rattacher à la moindre attribution légale du président de la République, ce qui ne laisse aucun doute sur son caractère grossièrement illégal.
Quant à sa nature juridique, on peut dire qu’en l’état actuel de la situation, tant que le communiqué ne portera aucun grief à la partie adverse, il reste une simple manifestation de volonté du président de ne pas se soumettre à une décision de justice. Il est dépourvu de toute conséquence juridique pour les parties, donc hors champ juridique, ce qui correspond à l’absence de nature juridique.
On peut rapprocher ce cas d’espèce d’un arrêt du Conseil d’Etat français en date du 9 décembre 1988 relatif à un communiqué d’un premier ministre. Selon le Conseil d’Etat, « Un communiqué par lequel un premier ministre rendait public un tracé pour le TGV (Train à Grande Vitesse) a été jugé comme sans effet juridique et comme devant être regardé comme une simple déclaration d'intention du gouvernement (Conseil d’État, 9 décembre 1988, Ville d'Amiens) ».
Conséquences du communiqué présidentiel relatif à la reconnaissance de M. Amadou Diallo comme seul secrétaire général de la CNTG
Il est évident que de tels agissements venant d’un président de la République ne peuvent rester sans conséquence négative. Il est d’une nocivité extrême pour le bon fonctionnement des institutions de la République et par conséquent, de la démocratie en Guinée.
Que le président confère une force exécutoire ou non à ce communiqué, le mal est déjà fait.
1) Si le président confère une force exécutoire au communiqué.
Si malgré tout, le président confère une force exécutoire au communiqué en question, se traduisant par le maintien de M. Amadou Diallo au poste de secrétaire général de la CNTG y compris par la force publique, il pourrait être assimilé à un acte administratif, de ce fait, contestable devant la Cour suprême pour, entre autres, incompétence, violation du principe de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, et violation de bon nombre d’autres dispositions constitutionnelles.
Une telle éventualité peut conduire les juges à qualifier l’éventuel acte du Président « d’inexistant », c'est-à -dire, acte considéré comme n’ayant jamais franchi la porte de l’existence juridique. Pour une brève explication, « un acte administratif inexistant est un acte résultant d’une usurpation ou d’un empiètement sur les pouvoirs d’autre autorité qu’administrative ». Il en est ainsi dans cette affaire car le président Alpha Condé vient de trancher par communiqué, un litige dont la résolution est attribuée en première instance au Tribunal du travail par l’article 258 du code du travail de la République de Guinée. Il est clair que le Président vient de faire preuve d’une flagrante violation de la séparation des pouvoirs qui fonde toute société pouvant être qualifiée de démocratique.
2) Si le président ne confère aucune force exécutoire au communiqué
Même dans l’hypothèse où le président ne donne aucune force exécutoire au communiqué en question, en le laissant au stade d’une simple prise de position sans effet juridique, force est de reconnaitre que le mal est déjà fait.
On peut soutenir que la prise de position du président par communiqué reconnaissant M. Amadou Diallo comme seul secrétaire général de la CNTG n’a aucune portée normative. Elle traduit le refus du président à se soumettre à une décision de justice comme l’exige l’article 108 de la constitution. Juridiquement, il n’engage que son auteur, engagement qui peut être moral ou devant la loi pour violation entre autres de l’article 108 de la constitution qui dispose entre autres que : « Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême, la Cour des comptes, les cours et les tribunaux dont les décisions définitives s’imposent aux parties, aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives, juridictionnelles et aux forces de défense et de sécurité ».
Les parties peuvent ne pas tenir compte de ce communiqué et continuer à faire valoir leurs droits comme si ce communiqué n’avait jamais existé, tant que le président ne lui confère pas une force exécutoire. La partie qui s’estime lésée, peut saisir la Cour suprême pour obtenir la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Conakry en date du 15 mai 2012 qui avait annulé les élections des deux protagonistes et les a renvoyés à une nouvelle élection.
En conclusion, cette affaire est une preuve supplémentaire du caractère informel de la gestion que le président Alpha Condé fait de la Guinée et de nos institutions républicaines. Cela est d’autant plus inacceptable que c’est lui qui est le garant du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles conformément à l’article 45 alinéa 2 et 3 de la constitution qui disposent que : « Il (le président) veille au respect de la constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'Etat ».
Le président Alpha Condé a réussi à instaurer une gestion informelle des institutions constitutionnelles en flagrante violation de nombreuses dispositions constitutionnelles dont certaines sont citées dans cet article. Il fait preuve d’une telle confusion des pouvoirs que la hiérarchie des normes juridiques s’en trouve bouleversée. Si dans la hiérarchie des normes juridiques, on ne rencontre principalement que quatre niveaux à savoir dans l’ordre d’importance , 1- la constitution, 2- les traités internationaux, 3- les lois et 4-) les règlements, avec Alpha Condé, on arrive dans les faits, à cinq niveaux à savoir, 1- la volonté d’Alpha Condé qui prime la constitution, 2- la constitution si elle ne va pas à l’encontre des intérêts du président et de son fils, puis 3- les traités internationaux, 4- les lois et 5- les règlements.
Mes arguments sont étayés par plusieurs faits dont certains sont mentionnés ci-dessous :
1- limogeage illégal des élus locaux de l’opposition et leur remplacement par les partisans du président au mépris entre autres de la présomption d’innocence, alors que, même en cas de limogeage légal, les remplaçants doivent être élus et non nommés ;
2- signature des contrats secrets sur les deniers publics pour d’autres intérêts que nationaux et absence des fonds publics dans le budget de l’Etat ;
3- refus de se soumettre à l’arrêt de la cour d’appel de Conakry dans l’affaire CNTG traitée ci-dessus et sa volonté de substituer son désir à l’arrêt de la cour d’appel ;
4- limogeage illégal de deux magistrats de la Cour suprême au mépris de l’inamovibilité des magistrats consacrée par l’article 109 alinéa 2 de la constitution et l’article 12 de la loi organique du 23 décembre 1991 encore en vigueur, portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour suprême ;
5- limogeage illégal du médiateur de la République en violation de l’article 129 de la constitution ;
6- limogeage du patron d’une société privée dont on ne trouve aucun fondement légal.
Il n’est pas possible dans le cadre d’un article, de citer toutes les violations graves de la constitution dont le président Alpha Condé s’est fait l’auteur. Avant l’élection du président Condé, on s’inquiétait de la gestion informelle d’une bonne partie de l’économie guinéenne. Désormais, c’est l’Etat même qui fait l’objet de gestion informelle en dehors de tout cadre constitutionnel.
Il est temps pour le président Alpha Condé de se souvenir du serment qu’il vient de prêter il y a moins de 2 ans, conformément à l’article 35 de la constitution qui dispose que : « Le Président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la Cour constitutionnelle, en ces termes : Moi __________, Président de la République élu conformément aux lois, je jure devant le Peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les Institutions constitutionnelles, l'intégrité du territoire et l'indépendance nationale. En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la loi. »
Le président sera bien inspiré également de se souvenir de l’article 119 qui dispose ce qui suit : « Il y a haute trahison lorsque le président de la République a violé son serment, les arrêts de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession d’une partie du territoire national, ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement ».
Au vu des deux dernières dispositions de la constitution citées ci-dessus (article 35 et article 119), on ne prend aucun risque en disant que si la présidente du Conseil National de la Transition (CNT), en l’occurrence Hadja Rabiatou Serah Diallo, ne participait pas à cette entreprise diabolique de confiscation du pouvoir et de la démocratie en Guinée en complicité avec le président Alpha Condé, le CNT qui fait office d’Assemblée Nationale aurait au moins tiré la sonnette d’alarme, car les conditions exigées pour qu’un président de la République soit traduit devant la Haute Cour de justice pour haute trahison conformément à l’article 119 de la constitution sont presque remplies.
Makanera Ibrahima Sory
Juriste
Fondateur du site « leguepard.net »
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