Alpha Condé à la croisée des chemins
Nous sommes à une période charnière du mandat d'Alpha Condé, un tournant dont tout le
monde ne mesure pas l'importance, d'où la production de 3 textes cette semaine, pour
commenter les évènements récents.
J'avais dit dans un texte précédent, que pour rétablir la confiance avec l'opposition (au moins la
moitié du corps électoral, sinon plus), il fallait passer par des rencontres régulières informelles
(au moins mensuellement) avec des personnalités politiques (y compris avec les ex PM et ex
Présidents de l'AN). Il s'agit simplement d'échanger - personne ne demande de prendre de
décisions en cogestion -, car la bonne gouvernance suppose d'un PRG, qu'il puisse mettre en
oeuvre son programme, tout en prenant en compte les objections sur celui-ci. Des discussions
informelles peuvent même permettre « d'associer idéologiquement » l'opposition aux mesures
prévues.
Un pouvoir qui se dit « fort » ne doit craindre ni le partage, ni la négociation, ni le compromis.
D'ailleurs, gouverner, c'est être maître dans l'art du compromis. La situation socio-économique
est tellement catastrophique en Guinée, que les dirigeants doivent démontrer leur aptitude à
rassembler les (vraies ?) forces vives du pays pour la combattre.
Concrètement, il n'y a que deux choix possibles :
– s'enferrer dans la poursuite du processus électoral qui ne satisfait ni l'opposition, ni les
démocrates, ni la communauté internationale, et qui pourrait conduire à des tensions
plus vives, sachant que l'opposition n'acceptera pas de se faire berner une nouvelle fois.
– reprendre les décisions sur lesquelles tout le monde était d'accord (et il y en a) et les
appliquer, et trouver un compromis acceptable pour tous, sur les points de désaccord.
La participation de membres de la Cour suprême agissant de manière informelle – à
titre de conseillers juridiques – pourrait constituer une solution parmi d'autres.
Dans un régime présidentiel, et notamment en Afrique, la tentation est grande de rendre
responsable le PRG de tout ce qui se passe. Si tout va mal, et quelles qu'en soient les raisons, le
PRG sera tenu pour responsable. A l'inverse, si tout va bien, et même s'il n'y est pour rien,
l'opinion, là encore, lui sera redevable. Moralité, il faut tout faire pour que cela aille bien. Et en
disant cela, je ne préjuge pas, ni de la personnalité du PRG, ni de ce que je pense
personnellement qu'il fera.
Rappel des différends encore non résolus
Selon la Mouvance présidentielle, le respect de l'autorité de l'État était quasiment le seul
problème (on verra pourquoi) qui la préoccupait. On se rappelle les conditions dans lesquelles
Alpha Condé est devenu PRG. Il n'y a que ses inconditionnels qui répètent à tue-tête qu'il fut
démocratiquement élu. Il n'y a pas besoin de faire de hautes études pour savoir compter.
D'ailleurs, les langues commencent à se délier (Dadis Camara, Jean-Marie Doré, Facinet Touré
et Sékouba Konaté notamment), et les plus sceptiques finiront par connaître les tenants et
aboutissants de celle-ci. Il n'est évidemment pas question de les remettre en cause, le finaliste
ayant reconnu officiellement sa défaite. Mais si j'en parle, c'est pour souligner l'obsession qui
habite Alpha Condé depuis sa nomination, à vouloir asseoir une légitimité qui lui fait défaut. Il
faut comprendre son acharnement à stigmatiser directement l'opposition, ou indirectement ses
soutiens, par la volonté d'être reconnu par tous. Malheureusement pour lui, la légalité lui
assure certes la conduite de l'État, mais ne lui octroie aucune légitimité. Ce sera d'autant plus
difficile à obtenir qu'il ne fait pas d'effort particulier pour se rendre disponible, continuant à
être le président du RPG, en oubliant qu'il devrait être le président de tous. L'article 38 de la
constitution dispose pourtant que : « la charge de Président de la République est incompatible
avec l'exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective. Il doit notamment
cesser toutes responsabilités au sein d'un parti politique ».
Au-delà des aspects juridiques, certains ne comprennent même pas le symbole fort que ce
simple geste aurait comme conséquence. Quand on veut le beurre et l'argent du beurre, et la
suite... il ne faut pas s'étonner des réactions. La volonté d'Alpha Condé de vouloir gagner les
législatives avec une majorité confortable, au mépris de la réalité, rentre dans ce cadre de
besoin obsessionnel de légitimation.
Pourtant, il n'étonnera personne, que sur le papier, tout le monde est d'accord pour respecter et
faire respecter scrupuleusement par tous (y compris l'État), les lois et règlements de la
République.
Ce voeu pieu s'applique également au libre exercice des activités politiques (meetings par
exemple), au libre accès de l'opposition aux médias publics (RTG notamment), à la neutralité
de l'administration dans le processus électoral, au chronogramme des opérations électives et à
la mise en place d'un comité de suivi et d'évaluation. La résolution de ces difficultés dépendent
aujourd'hui de la seule volonté du gouvernement, ce qui n'est pas admissible, d'où l'attitude de
l'opposition.
Les autres problèmes à la CENI
Des conseillers de l'OIF dépêchés à Conakry pour tenter de résoudre les problèmes liés aux
élections, ont déclaré que l'entreprise Waymark, celle qui avait remplacé la Sagem – à
l'initiative du gouvernement - devait calibrer son travail, ce qui revient à dire que cette dernière
ne faisait pas son travail (recensement au lieu de révision), mais en même temps reçoit une
habilitation à agir. Ce n'est pas admissible. Le gouvernement qui déclare à tue-tête qu'on ne
change pas l'arbitre en cours de match (pour justifier le statut quo à la CENI), est le premier à
oublier qu'il a changé ses deux représentants à la CENI, et l'opérateur électoral (la Sagem) en
cours de route. De qui se moque t-on ?
Il faut rappeler également, qu'un audit du PNUD avait déjà pointé les insuffisances et les
défaillances techniques graves, du matériel du nouvel opérateur électoral Waymark. Doit-on
encore faire venir quelqu'un... pour constater l'indéfendable ?
Par ailleurs, Alpha Condé a indiqué lors de son voyage en Asie du Sud-Est, que les élections
législatives auraient lieu en Septembre prochain. Je croyais que la CENI était indépendante –
ce qu'il n'arrête pas de proclamer -, d'où la raison pour laquelle le gouvernement ne souhaite
pas en modifier la composition. Pourquoi alors déclarer une date, alors que c'est à la CENI de le
faire ? Ceci montre aux naïfs que l'indépendance de la CENI, n'est que virtuelle, et que le PRG
est bien derrière toutes ces manœuvres dilatoires. A qui faire croire le contraire ?
Néanmoins, compte-tenu des délais légaux incompressibles (environ 15 semaines après la fin
de la révision électorale), les législatives auront lieu en fin d'année, si tout va bien - c'est-à-dire
si le gouvernement se montre raisonnable -, car si on atteint le mois d'Octobre 2012 sans avoir
résolu les problèmes, la fin du mandat des commissaires de la CENI sera atteinte, et ce qui n'a
pas été permis par le gouvernement par consensus, le deviendra par application de la loi.
L'ennui, c'est qu'avec de nouveaux commissaires inexpérimentés, il faudra recommencer tout
le processus, au grand dam de la population, qui, si elle n'en comprend pas les tenants et
aboutissants, a bien compris en revanche, que les financements internationaux seraient
retardés d'autant.
Enfin, je n'évoque pas ici le rapport d'audit de l'Union Européenne, qui date pourtant de plus
d'un an, mais qu'on découvre en partie seulement, maintenant, et qui met à jour les
nombreuses malversations de son président Louncény Camara, plus zélé à détourner des fonds,
qu'à respecter les règles de fonctionnement de son organisation (absence de PV des séances
notamment). S'il ne tenait qu'à cela, le PRG qui veut faire table rase des corrupteurs (en
témoigne la radiation de quelques plantons !!! par décret présidentiel), a pourtant matière à
agir. Bizarrement, il n'y voit rien à redire, sauf application de « SA » loi. Ce qui prouve bien que
sa conception de la corruption est à géométrie variable.
Pourquoi le PRG craint-il une opposition à l'Assemblée nationale ?
Le PRG est diplômé de droit public, sans que l'on ne sache quelle spécialité d'ailleurs, n'ayant
pas eu l'occasion concrète de nous la montrer. Manifestement le droit constitutionnel n'est pas
sa tasse de thé. Mais le droit administratif (voir ci-après), le droit du travail (affaire de la
CNTG), le droit des libertés publiques, et la procédure pénale pas davantage.
Ce sont les articles 72 à 92 de la Constitution, qui régissent les rapports entre le PRG et
l'Assemblée Nationale. Il convient de se pencher notamment sur certains articles (74, 78, 79,
80, 83, 84, 85, 87, 88 et 92) pour en examiner la teneur, et montrer que la constitution a mis
en place un régime présidentiel, qui fait la part belle à l'exécutif. Dès lors, la propagande
consistant à dire que si l'opposition était majoritaire à l'AN, il n'aurait pas les moyens de sa
politique, prouve seulement qu'il veut complètement étouffer toute critique, d'où qu'elle
vienne. En fait si les textes étaient respectés, cela ne me dérangerait aucunement que l'AN soit
aux couleurs arc en ciel, car Alpha Condé n'aurait plus aucune excuse pour justifier son échec
sur les plans économique et social en accusant le passé (il est nécessaire de rappeler qu'il n'a
pas été nommé pour se plaindre du passé – tout le monde peut le faire -, mais pour résoudre
les problèmes du présent). Mais parce qu'il est le premier à violer les textes (y compris la
constitution), on imagine facilement ce que deviendrait la Guinée sans contre-pouvoirs. Alpha
Condé est un enfant de la démocratie (pour avoir habité 60 ans en France), mais il n'est pas un
démocrate.
En dehors des secteurs limitativement énumérés par l'article 74 de la constitution, toutes les
autres matières ont un caractère réglementaire, et sont donc du ressort du PRG. Autrement dit,
les députés ne sont compétents que pour quelques domaines indiqués dans la constitution, et le
PRG l'est pour tout le reste.
Si le PRG n'est pas satisfait par une loi, il peut demander à l'AN une nouvelle délibération
obligatoire. Dans cette hypothèse, la loi ne sera votée que si les deux tiers des membres
composant l'AN l'adoptent (article 79).
Les lois organiques (celles qui modifient la Constitution ou créent de nouvelles institutions)
sont votées et modifiées à la majorité des deux tiers des membres composant l'AN (article 83).
Même si le vote de la loi est exclusivement du ressort de l'AN, en revanche l'initiative des lois
appartient concurremment à l'AN et au PRG (article 84), qui dispose par ailleurs du droit
d'amendement (article 85). Cela signifie que le PRG peut demander à l'AN de voter une loi dont
lui-même est l'initiateur, et a la possibilité de modifier celles proposées par les députés.
Même si l'AN établit son ordre du jour, le PRG peut demander l'inscription prioritaire d'un
projet ou d'une proposition de loi ou d'une déclaration de politique générale (article 87).
Enfin, en cas de désaccord entre le PRG et l'AN sur des questions fondamentales, le PRG peut
prononcer la dissolution de celle-ci (article 92).
Il faut surtout noter que la Guinée n'est pas un régime parlementaire, ce qui permet au PRG de
nommer comme Premier Ministre qui il veut, même si l'opposition est majoritaire. A l'inverse,
il peut nommer un responsable de l'opposition pour faire... le sale boulot et le rendre
responsable de ses échecs.
Il ressort donc de ces dispositions, que le PRG est un propagandiste professionnel de mauvaise
foi, lorsqu'il affirme qu'il ne pourrait pas gouverner avec une majorité à l'AN. Qu'il fasse ce
pourquoi il a été nommé, et tout le monde lui en sera gré. S'il se plaint du passé ou accuse ses
opposants d'être responsables de son inaction, qu'il quitte le pouvoir pour incapacité à
gouverner.
Il faut profiter de la saison des pluies pour résoudre les nombreux problèmes en suspens, avec
la ferme volonté d'aboutir, la seule voie permettant de sortir des tensions par le haut, ou alors
attendre (pour rien) le mois d'Octobre, pour épuiser le mandat des commissaires de la CENI.
Mais dans cette hypothèse, compte-tenu des délais incompressibles de procédure, mais surtout
de l'inexpérience des nouveaux commissaires, cela nous emmènerait en 2013, quasiment à la
mi-mandat du PRG. Il y a donc lieu de réfléchir...
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au
moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur
la liberté de la presse, Mai 1791).
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