Interview de monsieur Daouda Koné sixeau

Monsieur KONE Daouda Sixeau                      

Après ma carrière de footballeur, je me suis inscris à l’Université de Paris VIII en licence pour suivre les cours de sociologie et quelques années plus tard je présentais une thèse de doctorat en Anthropologie.

Co-fondateur du cabinet E.M.F.M, je travaille actuellement comme consultant en Ethnopsychanalyse et Médiations. Ce travail consiste à trouver des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par les familles migrantes fragilisées par l’exil, les différences culturelles, les ruptures linguistiques et socio-économiques pour favoriser leur intégration sociale.

Parallèlement à cette activité, je milite en tant que membre fondateur au sein de l’Association ASPROGUE (Association pour le Soutien et la Promotion du Sport Guinéen à l’Etranger). Créée en 2007, l’ASPROGUE essaie de valoriser les jeunes footballeurs guinéens auprès des clubs européens pour leur permettre éventuellement de décrocher un contrat. C’est dans cette logique que nous avons organisé le 28 Avril 2012 à Paris une journée de détection des jeunes talents en présence de plusieurs professionnels de football venus des différents clubs européens. On notait également la présence des medias africains et européens. Dans le prolongement de nos activités, nous apportons un soutien technique à la formation des cadres sportifs guinéens (entraineurs et arbitres) et des infrastructures sportives.

2- Monsieur KONE en votre qualité de spécialiste, quel regard portez vous sur le football guinéen d’aujourd’hui ?

Il est important de rappeler que l’histoire du football guinéen a connue deux grandes phases d’évolution depuis l’accession de notre pays à l’indépendance.

La première phase de 1958 à 1984 que je qualifierais de « patriotisme footballistique »,était étroitement liée au système politique qui caractérisait la Guinée de l’époque: le communisme révolutionnaire. Cette période marquée par un nationalisme avivé se manifestait à tous les niveaux de la vie sociale, économique, politique, culturelle et sportive. Dès lors la défense de la patrie devient prioritaire pour tous les citoyens et cela est d’autant plus vrai que le sport (avec la culture) était considéré comme le moyen le mieux adapté à travers lequel on peut aisément véhiculer l’image du pays à l’étranger. Ainsi donc, jouer dans l’équipe nationale ou dans un club de la place était perçu comme une fierté et gagner des matchs contre des équipes étrangères était un acte patriotique hautement apprécié. C’est pourquoi toutes les périodes glorieuses du sport guinéen sont situées dans l’intervalle de 1960 à 1980. Par ailleurs, le sport était aussi un instrument de propagande idéologique au service du parti Etat. Le phénomène sport et vie politique se trouvèrent liés de manière plus ou moins directe. Dans cette période économiquement difficile, on préférât mobiliser le peuple de Guinée vers les stades où il déchainera sa passion afin d’oublier les dures réalités de la vie quotidienne qui rythmaient son existence.

Le football jouait donc un double rôle : d’une part, promouvoir le pays à l’étranger, et d’autre part, être un tranquillisant pour endormir le peuple.

Mais derrière cette image, il y avait une politique, une organisation qui permettait de rendre le sport vivant et attractif sur l’ensemble du territoire. Les compétitions sportives dans les établissements d’enseignement primaire, secondaire, universitaire et dans les quartiers, communes, sous-préfectures, préfectures et régions qui facilitaient la détection des meilleurs éléments susceptibles d’intégrer les clubs et ensuite l’équipe nationale, étaient la manifestation d’une politique réfléchie et savamment mise en place.

La deuxième phase de 1985 jusqu’à nos jours. Cette phase est marquée par l’adoption par la Guinée du libéralisme économique. Il s’agit d’un changement radical du système de gouvernance politique, économique et social du pays. Cette brusque et profonde mutation de la société à laquelle personne n’y était préparée, a conduit à revoir notre mode de vie, de pensée et de comportement non seulement au niveau des citoyens, mais également au niveau des acteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle et sportive.

L’argent qui auparavant n’était considéré comme une source de motivation première pour les sportifs le devient désormais. Ainsi le football apparaît aux yeux de tout le monde, comme une activité économiquement rentable qui obéit à des règles d’une économie libérale. Il fallait adapter le football guinéen à cette nouvelle réalité tant dans son organisation que dans son mode de gestion. Mais malheureusement jusqu’aujourd’hui nous n’avons pas pu mettre en place une politique sportive efficace permettant à nos équipes de compter parmi les meilleures de l’Afrique.

3- En se référant à la dernière CAN de 2012 au Gabon au cours de laquelle le syli national a, semble t-il, fait une bonne prestation ; peut on affirmer aujourd’hui que l’équipe nationale a retrouvé ses marques ?

Non, je ne le pense pas. Tout de même au vu de leur prestation nous pouvons affirmer que l’espoir est permis, et cela est d’autant plus perceptible que nos joueurs sont jeunes pétris de talent et plein d’avenir. Mais cela à condition que nos dirigeants prennent les choses en mains pour accompagner le football guinéen.

Permettez-moi de faire trois petites remarques :

La première, malgré la détermination des jeunes le syli national n’a pas franchi le premier tour de la phase finale de la CAN 2012.

La deuxième, la plus part des footballeurs guinéens jouent aujourd’hui dans des petits clubs à l’étranger contrairement à la Cote d’Ivoire, le Sénégal ou le Mali. Il convient de noter qu’au moment de la Coupe d’Afrique certains joueurs sélectionnés n’avaient pas de club et parmi ceux qui jouent les 2/3 ne sont pas titulaires dans leur club.

La troisième, jusqu'à l’élimination de la Guinée nous n’avons vu sur le terrain aucun joueur évoluant dans le championnat national. Ce qui prouve à suffisance la faiblesse du niveau du championnat guinéen et peut être même un manque de confiance de l’entraineur aux joueurs locaux.

Je dois signaler que pour avoir une grande équipe il faut un minimum d’organisation, des infrastructures de base et une vision à long terme. Tous ceux-ci manquent aujourd’hui au sport guinéen en particulier le football.

4- Comment voyez-vous alors l’avenir du football guinéen ?

C’est en 1986 que les clubs de football ont été privatisés en Guinée par la deuxième République. Opérée dans la précipitation sans qu’il soit défini au préalable un mécanisme d’accompagnement clair et cohérent et de structures adaptées, cette privatisation hasardeuse explique la déstructuration du football guinéen. Un autre facteur vient se greffer au premier, c’est l’inertie des pouvoirs publics. Car, depuis plus de 20 ans aucune solution appropriée et crédible n’a été apportée aux nombreux problèmes rencontrés par le football guinéen. Pourtant les solutions existent et connues par tous.

Face à de telle situation ma première réaction consiste à prôner une refonte totale du système tout en gardant à l’esprit deux remarques importantes :

1.Il faut admettre aujourd’hui que le sport plus particulièrement le football est une industrie qui a des potentialités économiques considérables pour le pays et pour les praticiens.
2.Le sport est un facteur d’unité et de cohésion sociale et à ce titre, il renforce le sentiment d’appartenance à la nation.
Le sport est devenu en moins de cinquante ans l’une des pratiques sociales les plus répandues et fait partir du quotidien d’une large majorité des citoyens. Les activités sportives impactent l’organisation de notre société dans ses aspects économiques, éducatifs et culturelle. C’est en cela que le sport doit être placé au cœur des politiques de développement de notre pays.

Une réflexion profonde s’impose donc pour d’une part, déterminer la place du sport en général et du football en particulier dans notre pays, et d’autre part, définir les nouvelles orientations et des objectifs clairs et réalistes. Il est fondamental que l’on sache ou on va et pour quel but.
Au centre de cette réflexion le sport de haut niveau doit être privilégié comme modèle de référence.

Deux types de réformes d’envergure peuvent être menés:

- La reforme des organes qui gèrent le football :

La Fédération Guinéenne de Football(FGF), est l’instance principale qui organise et gère le football sur l’ensemble du territoire national. Pour qu’elle remplisse correctement sa fonction, doit d’abord être indépendante vis-à-vis du ministère des sports contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Ensuite, elle doit améliorer son organisation interne en créant des structures spécialisées pour gérer certains aspects du football (le football professionnel, le football amateur, l’équipe nationale, la formation des éducateurs sportifs, des entraineurs, des arbitres…). Egalement, elle doit mieux structurer le championnat pour lui rendre attractif pour le public à fin de devenir rentable financièrement. La Fédération doit chercher d’autres sources de financement local en établissant des partenariats solides avec des entreprises de la place (publiques et privées) nécessaire pour mener à bien le développement du football.
En fin, la FGF doit redéfinir le rôle des entraineurs étrangers qu’elle embauche comme sélectionneur de l’équipe national. Souvent payés à prix d’or, ces entraineurs observent le football guinéen à distance sans être des véritables acteurs. Il faut désormais qu’ils s’impliquent d’avantage en transmettant leur savoir à la nouvelle génération pour qu’à l’avenir on ait plus besoin d’aller chercher des sélectionneurs à l’étranger.

De la même manière, les Clubs de football doivent être réglementés et organisés pour permettre à notre pays de connaître un championnat de qualité.

- La création des infrastructures sportives:

Les stades, les centres de formation des jeunes, centre de formation des encadreurs sportifs (éducateurs, entraineurs, arbitres) sont indispensables pour le développement et la promotion des sports. Créer une académie de football (sport) dans les quatre régions naturelles de la Guinée me parait d’une importance capitale. Cette académie permettra aux jeunes quelle que soit leur origine ethnique et sociale d’accéder à une éducation de qualité ainsi qu’à une formation footballistique de haut niveau.
Depuis sa création en 1960, la Fédération guinéenne de football n’a pas pu se doter d’un siège, il est temps que les dirigeants actuels se penchent sur le sujet.

Il faut également construire un centre médical pour que le sport soit digne de ce nom et veiller à la santé de nos sportifs, etc.

En définitive, il faut retenir que le sport national souffre d’un déficit chronique d’organisation et de rendement et ce, dans toutes les disciplines. Il convient désormais de les corriger en créant les conditions de l’émergence d’un sport de haut niveau et à fort potentialité éducative.

Interview réalisé par Mr CAMARA Amara

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