« Du sang, de la sueur et des larmes »
Dans sa dernière interview à Jeune Afrique (n°2687 du 8 au 14 juillet 2012, pages 24 à 30), les digressions de François Soudan indiquant – sans illustration – qu'Alpha Condé est devenu un chef d'État – il l'est de toute façon depuis novembre 2010 –, ou qu'il a pris de la hauteur et de la distance, indiquent que la communication (des mots) prime toujours sur la réalité (les actions).
Comme à l'accoutumée, l'entretien se classe par thèmes, avec les réponses d'Alpha Condé en italiques.
Sur les voyages à l'étranger, et notamment à Paris
Je suis étonné que François Soudan n'approfondisse pas sa question sur la cherté des voyages d'Alpha Condé en Asie du Sud-Est, car ce dernier lui répond « mes voyages ne coûtent pas cher à l'État, parce que je ne présente pas la facture ».
Qu'est-que cela signifie ? Comment les finance-t-il ?
Sur la visite à Paris, François Soudan indique qu'Alpha Condé a été invité, alors qu'en réalité il s'est invité (la nuance est de taille). D'ailleurs, contrairement à certains partis du Niger (mais également du Cap-Vert, du Ghana, du Mali et de la Mauritanie dans la Cedeao, le FPI de Côte d'Ivoire ayant été exclu en mars 2011), qui en sont membres de droit, le RPG n'est qu'un membre observateur, ce qui signifie qu'il a le droit d'assister aux réunions statutaires et de les observer, mais n'a pas le droit de vote.
L'interview de Jeune Afrique ne s'étend d'ailleurs pas beaucoup sur cette rencontre avec François Hollande, dont la recherche de photos était l'objectif principal. Les comptes-rendus faits ici et là, ne feront que rappeler d'ailleurs, l'accord du mois de juin sur l'annulation et le rééchelonnement de la dette guinéenne par rapport à la France, et surtout le conflit malien, mais rien sur les relations personnelles entre Alpha Condé et François Hollande. Un journaliste de JA reconnaît toutefois (page 10 du numéro), que François Hollande tutoie son camarade de l'Internationale socialiste … Mahamadou Issoufou, qu'il fréquentait dans les réunions de cette organisation.
Au sujet du Mali
Alpha Condé reconnaît que lors du coup d'État en Mars : « … peut-être même que nous aurions dû dire qu'ATT [Amadou Toumani Touré] devait revenir au pouvoir et rester jusqu'aux élections. Ne pas le faire a sans doute été notre première erreur, …».
Il montre une fois de plus que la légalité constitutionnelle lui importe peu, ce qui ne l'empêche pas de vouloir faire appliquer cette même légalité à ses opposants.
En indiquant à propos du Burundi : « … l'Afrique du Sud avait envoyé des troupes pour assurer la sécurité des hommes politiques. Ce doit être pareil au Mali. Parce que, si l'on peut, comme cela, entrer dans la présidence et attaquer le chef de l'État, plus personne n'est à l'abri... », il montre par ce biais que la sécurité et le sort des commerçants guinéens, chauffeurs de taxis, prisonniers, voire manifestants lui importe peu, mais lorsqu'il s'agit du chef de l'État – lui en l'occurrence par transposition –, alors ???
Là encore, notre « fier à bras » ne veut pas discuter avec les membres d'Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique), mais il faut les combattre, dit-il (les balayer ou leur couper la tête serait une expression qui lui est plus familière). Peut-être le fera-t-il lorsque ces derniers feront des attentats à Conakry, pour signifier à notre va-t-en guerre, son zèle un peu trop servile vis-à-vis de la France, qui considère que toute l'Afrique doit être concernée (pour impliquer l'Afrique du Sud ?). La France ne réagit pas pour différentes raisons, dont la présence de 5 otages constitue l'une des raisons fondamentales. D'abord non réactive face à l'avancée touarègue (ce qui pose question sur une implication éventuelle), puis très en pointe pour lutter – indirectement – contre les islamistes, la France ne compte pas s'engager militairement.
Alpha Condé, plus royaliste que le roi, envoie 150 personnes (expérimentées ?) de son propre chef, sans discussion avec qui que ce soit. Un nouveau scandale en perspective. On signale que le Sénégal, quelles qu'en soient les raisons « officielles », n'en enverra pas.
Car sauf erreur de ma part, si le PRG peut décider seul de l'envoi de troupes guinéennes à l'extérieur, puisqu'il est le chef des armées (article 47 de la constitution), l’article 91 confère à l'Assemblée Nationale (AN) le pouvoir d’autoriser le PRG (à la majorité des 2/3), de faire une déclaration de guerre. Sans faire du juridisme absolu, on pourrait arguer que des opérations militaires peuvent être engagées par le PRG sans l’accord de l'AN dès lors qu’une déclaration de guerre n’est pas juridiquement nécessaire. D’autre part, l’AN pourrait – si elle avait la compétence et/ou la volonté – exercer sa fonction de contrôle, à l’occasion de cet engagement.
Néanmoins cela prouve que la notion de concertation ne fait pas partie du vocabulaire d'Alpha Condé, qui je le rappelle, et il le dit lui-même (voir ci-après), discute avec qui il veut et quand il veut. Alpha Condé a enfin obtenu son jouet (sa lutte pour le pouvoir et non pour la démocratie), et il n'est pas prêt à le partager, ce qui est pourtant l'essence même du pouvoir au XXIe siècle, dans les véritables démocraties.
Sur le plan politique, la Guinée veut intervenir dans un conflit complexe, dont l'un des aspects (la revendication touarègue) pollue les relations nationales maliennes depuis le début des années 60. Je n'ai pas souvenir qu'Alpha Condé soit un spécialiste de la question, ou qu'il ait pris partie dans ce conflit latent au cours de sa vie de politicien. Le costume trop grand de PRG lui donnerait-il des ailes, qu'il n'avait jamais montrées jusqu'alors (il est vrai que cela engage d'autres – des militaires –, qui eux n'ont pas le choix, contrairement aux manifestants qui sont toujours libres d'aller ou pas), ou est-il inconscient pour importer en Guinée, un conflit extérieur, susceptible d'entrainer des attentats en Guinée, y compris contre son chef d'État.
Par ailleurs, on va défendre qui ? ATT ou ses partisans, Amadou Haya Sanogo ou ses partisans, Dioncounda Traoré ou ses partisans, Cheick Modibo Diarra ou ses partisans, … ?
Lorsque les Maliens (y compris et surtout la population) sauront eux-mêmes ce qu'ils veulent, et qu'ils se seront « réconciliés », peut-être sera-t-il possible d'envisager une reconquête territoriale, qui ne sera pas une mince affaire.
Sur les élections législatives en Guinée
« Pendant des années, je me suis battu pour la démocratie ». Je souhaiterais en connaître les actions concrètes. En quoi cela a t-il consisté ?
« …l'OIF [Organisation internationale de la Francophonie] va nous aider à assurer leur transparence et leur bon déroulement... J'attends que la Francophonie revienne pour proposer un chronogramme que l'on pourra tenir ».
Depuis quand l'OIF organise-t-elle les élections ? Qui l'a décidé ? La CENI ? Les partis politiques ? En tout cas pas le PRG (???) qui dit qu'il n'a rien à voir avec les élections. Même pas en rêve !!!
« J'ai fait modifier l'article 162 du code électoral, qui donnait des pouvoirs juridictionnels au président de la Ceni... L'article 162 a donc été abrogé, et, aujourd'hui, le président de la Ceni n'a plus de pouvoir ».
J'ai entendu parler de cette possibilité sur laquelle tout le monde était d'accord. Je n'ai pas entendu le CNT ni l'annoncer, ni encore moins voter cette disposition. Si l'article 162 est annulé (???), quelle disposition le remplace ? Enfin un nouveau lapsus, lorsqu'il dit que le président de la CENI n'a plus de pouvoir... puisque c'est Alhassane Condé qui organise les élections, depuis le protocole d'accord illégal (mais que personne n'a contesté juridiquement), est à l'œuvre. Par ailleurs, si la suppression de cet article est une bonne chose, elle ne peut pas s'isoler du package complet relatif à la réorganisation de la CENI. En effet, si cela ne permet plus au président de la CENI d'intervenir en aval (après le vote), cela ne résout pas les problèmes qu'il a créés en amont (avant le vote, comme le fichier électoral, les membres des Carle, etc...).
Il ajoute : « ce sont eux [les opposants] qui ne veulent pas aller aux élections... j'ai besoin que l'on organise rapidement des législatives, parce que les financements importants de l'Union européenne sont liés à leur tenue ».
On dirait qu'il vient de découvrir... ce que tout le monde sait, l'UE l'ayant pourtant répété et systématiquement à l'envi.
Enfin il reconnaît : « je n'ai rien à perdre avec les élections : nous avons en Guinée un régime présidentiel, pas un régime parlementaire. C'est moi qui nomme le gouvernement, et celui-ci n'est pas responsable devant le Parlement... une cohabitation ne m'empêcherait pas de gouverner. Mais si mes adversaires veulent boycotter le scrutin, c'est leur problème ».
J'avais indiqué dans un texte précédent qu'il était difficile de comprendre sur le plan juridique, pourquoi Alpha Condé avait l'obsession de remporter les élections, qui ne l'empêcheraient pas de gouverner. Il est donc revenu à de meilleurs sentiments, ce qui ne signifie nullement qu'il est prêt à des élections transparentes (qu'il perdrait forcément), notamment lorsqu'on écoute la suite. Il souhaite toujours les gagner avec au moins 67% des suffrages, pour avoir les mains complètement libres et pérenniser une dictature en herbe.
« Je sais aussi que mes opposants ne peuvent pas gagner. À part Cellou Dalein Diallo, ils n'ont aucune base électorale, ils n'auront aucun député ».
Évidemment tout fanfaron avant les élections, proclame des inepties telles, que lorsque les résultats tombent (se rappeler les nombreux candidats n'atteignant pas 1% des suffrages au premier tour des présidentielles), il remballe son caquet. En outre en décidant à l'avance, au mépris des électeurs, le pourcentage des uns et des autres, on peut faire de telles prévisions...
Sur les manifestations
Depuis la prise de fonction d'Alpha Condé en décembre 2010, il y a eu une dizaine de morts à connotation politique (en prison ou lors des manifestations pacifiques). Cela ne l'empêche pas de déclarer que : « les 4 personnes qui sont mortes ce jour-là [le 27 septembre 2011] ont été tuées à l'arme blanche... parce qu'elles ne voulaient pas manifester... les gendarmes n'ont pas d'armes blanches. Ils ont des gourdins et des gaz lacrymogènes ».
Et les milices ? Et les donzos ? Et les militaires ou policiers habillés en civils ? Et les loubards du RPG ? Toutes possibilités même pas évoquées, sans doute parce que cela n'existe que chez l'opposition ?
« Vous remarquerez que je pourrais faire appliquer cette loi anticasseurs ..., et que je ne le fais pas ». C'est une façon de parler, puisque : « ce sont les manifestants qui font de la provocation... Marcher dans la rue, ce n'est pas aller casser les véhicules des gens et piller les magasins des commerçants ». Quelle sollicitude pour des commerçants qui ferment généralement leurs magasins les jours de manifestations, alors que ceux qui sont cambriolés avec armes (qui en possède ?) n'ont pas droit aux mêmes égards. Et suggérer que les manifestants (de l'opposition) sont des casseurs, en dit long sur le double langage permanent d'Alpha Condé.
« Il n'y a plus de chars dans les rues de Conakry, les militaires ne sont plus autorisés à sortir des casernes avec leur arme, ils ne sont plus en charge du maintien de l'ordre ». J'avais cru que ce régime était civil, il n'y a donc rien d'anormal à ce que les chars soient rentrés dans leurs casernes. Quant aux militaires pacifiques, Alpha Condé oublie (le sait-il ?) que les gens d'armes (gendarmes aujourd'hui) sont des militaires. Belle contradiction, mais on en a l'habitude !!!
Sur le dialogue avec l'opposition
« Ce sont eux [l'opposition] qui bloquent [le dialogue] »... et puis, je ne suis pas obligé de dialoguer avec tel ou tel leader politique. Je suis le président de tous les Guinéens, et je dialogue si je le souhaite ».
Voilà le nouveau lapsus, il dialogue quand il veut, avec qui il veut, mais ce sont les autres qui bloquent. Au moins c'est écrit, personne ne dira qu'il s'agit d'une erreur d'interprétation. Par ailleurs, s'il ne dialogue pas avec les leaders politiques, avec qui va-t-il le faire ? Les plantons ? Il n'a toujours pas compris que le rôle du PRG était de rassembler, et pour cela on parle avec tout le monde.
Il est vrai qu'Alpha Condé n'est pas le président de tous les Guinéens, mais du RPG (donc seulement 18% des électeurs), alors que la constitution l'interdit. Mais en outre, lorsqu'on stigmatise une bonne partie de sa population, laissant dire par ministres interposés qu'ils ne sont d'ailleurs pas guinéens (je le renvoie lui aussi à sa propre origine), et qu'en 18 mois, le PRG reconnaît n'avoir effectué que deux visites à l'intérieur du pays (Boké et Kindia), on est en droit de se demander de qui il se moque.
« Je ne suis pas un interlocuteur comme les autres. Je suis au-dessus de la mêlée ». Bien sûr que non, cela se prouve sur le terrain et ne découle pas mécaniquement d'une fonction encore mal habitée (voir ci-dessus).
« Ce n'est pas moi qui vais aux législatives... les opposants voudraient que l'on gouverne ensemble, mais c'est sur la base de mon programme que j'ai été élu, et j'associe qui je veux ».
Bien sûr que si, c'est le président du RPG qui va aux législatives, cependant que les opposants n'ont jamais sollicité de gouvernement d'union (c'est Alpha Condé lui-même qui l'a proposé entre les deux tours, comme le lui rappelle François Soudan). Parler de deux mandats (comme si c'était acquis) montre encore la voracité de ce personnage.
Quant au programme, on est bien en peine de connaître la politique de ce régime en matière d'éducation, de santé, de logement, de justice...
Sur ses relations avec les Peuls
Bien souvent Alpha Condé stigmatise l'opposition en général, simplement parce qu'il vise les Peuls, toutes les métaphores utilisées, étant comprises de tous. Lorsqu'on lui demande : « Pourquoi les Peuls se sentent-ils visés par certaines de vos décisions en matière économique et, surtout, fiscale », il répond à côté – comme d'habitude –, en déclarant : « Est-ce qu'un seul commerçant peul a été arrêté ou empêché de travailler ? ».
Ce n'est pas ce qu'on lui a demandé, car si : « tous les commerçants [doivent] payer la douane et les taxes », il semble que les commerçants peuls paient une surtaxe, ce qui constitue bien un problème ethnique.
De la même façon, lorsqu'on lui fait remarquer que : « il y a pourtant, au sein de cette communauté, un vrai sentiment de persécution », il répond encore à côté : « mais où avez-vous vu que nous avons jamais donné l'ordre de tuer un seul Peul ? ».
A réponse absurde, question absurde : « peut-il décemment donner publiquement cet ordre ? »
Et cela ne l'empêchera nullement de cibler ultérieurement (voir ci-après) l'ethnie d'un responsable présumé de son pseudo-attentat.
Sur les affaires récentes
« J'ai passé un accord avec l'homme d'affaires Walter Henning, un Sud-Africain qui … nous a accordé un prêt de 25 millions de $ sur 15 ans... et de toute façon nous allons rembourser à temps et le problème [concéder 30% des actions de la Soguipami] ne se posera pas ».
Lorsqu'il dit « j'ai », parle t-il d'Alpha Condé candidat, ou d'Alpha Condé PRG, puisque ce sont des ministres qui ont finalement signé cet accord ? Je reviendrai sur cette affaire dans un autre texte.
Sur le système judiciaire
« Tous les magistrats impliqués dans des affaires de corruption vont être démis de leurs fonctions ». Soit, mais le PRG n'est pas un justicier, et cela n'empêche pas de respecter les procédures, ce qui n'est pas le cas. Il est vrai que cela ne dérange personne apparemment !!!, ce qui en dit long sur la mentalité des uns et des autres (opposition partisane y compris).
Lorsqu'on lui demande : « Où en est-on de l'enquête sur le massacre du 28 septembre 2009 ? », il répond qu'il : « leur [a] donné un local, et quand nous aurons de nouvelles annulations de dette, nous pourrons leur donner plus de moyens. C'est la justice guinéenne qui doit mener cette enquête ».
Ce sont des mensonges supplémentaires, d'une part parce qu'il précise que :en << Guinée, les juges sont corrompus » (pourquoi leur confier des affaires alors ?), d'autre part, parce qu'il a fallu attendre plus d'un an avant que les juges d'instruction quittent leur local initial (quasiment au sein de la Fossepel, structure impliquée dans ces massacres) pour en obtenir un autre. Enfin, tout le monde sait que les remboursements de la dette guinéenne, ont été annulés ou rééchelonnés, ce qui implique que la Guinée ne rembourse rien en la matière actuellement. Le pourcentage affecté au budget de la justice ne va donc pas augmenter mécaniquement (sauf volonté politique), parce qu'avec l'annulation de la dette, les remboursements de la dette … n'auront plus (pas) lieu. Autrement dit, la Guinée aura 2 milliards et demi de $ de dette en moins, mais en terme de remboursement, la situation restera identique. On ne voit donc pas pourquoi le budget de la justice augmenterait alors à ce moment, alors que les moyens seront identiques.
Lorsqu’Alpha Condé rappelle que la Cour pénale internationale (CPI) : « n'intervient que quand la justice locale est défaillante, et ce n'est pas le cas », il anticipe dangereusement sur ce que pourrait décider cette organisation, qui a considéré par exemple (à propos du Kenya) que deux ans était un délai raisonnable pour obtenir des résultats. Or le 28 septembre 2012, cela fera 3 ans, avec des résultats mitigés.
La preuve lorsqu'on lui rappelle que : « Le lieutenant-colonel Tiégboro Camara est soupçonné d'être impliqué dans les massacres et a été inculpé en février [2012]. Pourquoi est-il toujours en liberté ? Pourquoi dirige-t-il toujours l'Agence nationale chargée de la lutte contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et le terrorisme ? », Alpha Condé n'a même pas honte de dire : « qu'en Guinée comme en France, inculpé ne veut pas dire coupable ».
Tous ceux qui ont été arrêtés et injustement emprisonnés lors du pseudo-attentat du 19 juillet 2011, auraient bien aimé qu'on leur applique ce principe !!!
Quant à : « Claude Pivi, qui fait partie de la garde présidentielle ? Pourquoi n'a-t-il pas été inquiété alors que la commission d'enquête de l'ONU s'était intéressée au rôle qu'il avait joué le 28 septembre ? », Alpha Condé indique que : « il n'était pas au stade ce jour-là, tout le monde le sait, même les opposants ».
A l'entendre, il suffit de ne pas être sur les lieux d'un crime, quelle que soit la responsabilité d'un auteur présumé, pour en être disculpé (une sorte d'application d'une « jurisprudence » Konaté au stade). Je propose à Alpha Condé de se retirer ces 30 prochains mois en France (et de gouverner à distance), de sorte qu'on ne pourra pas lui imputer l'échec d'un redressement économique et social du pays, pour cause... d'absence. On aura tout vu. Alpha Condé est diplômé de droit public, ce qui explique sans doute ses lacunes en droit ... pénal.
Quant au retour de Moussa Dadis Camara, qui aurait décidé de rester au Burkina (et donc de ne pas rentrer en Guinée), il faudrait effectivement interroger ce dernier sur cette affirmation, pour le moins surprenante.
Sur le pseudo-attentat
Lorsqu'on lui pose la question suivante : « Pensez-vous toujours que ce sont des proches du général Sékouba Konaté, ... qui étaient à la manœuvre ? », la réponse d'Alpha Condé est claire : « Deux personnes ont dirigé l'attaque. La première, Alpha Oumar Barry [AOB], était un militaire peul. La seconde, c'est Aboubacar Sidiki Camara, dit de Gaulle. Il était le chef de la garde présidentielle de Sékouba Konaté. Je vous laisse en tirer les conclusions qui s'imposent ».
Quelles conclusions binaires s'imposent ? Pourquoi préciser l'ethnie d'AOB et non du second ? Est-ce le fait d'être militaire qui est important (de nombreux civils sont en effet suspectés), ou est-ce le fait d'être peul (AOB est en fait « mélangé », si tant est que ce terme ait une signification). A l'entendre, les Peuls se seraient alliés aux proches militaires de Sékouba Konaté pour éliminer Alpha Condé. Est-ce là sa conclusion ?
Pourtant, de nombreux Guinéens rendent le général Konaté responsable de l'imposture de l'accession au pouvoir d'Alpha Condé pour des raisons financières. On a du mal à imaginer, si cette alliance revendiquée par Alpha Condé existait, pourquoi elle n'aurait pas été opérationnelle dès juillet 2010, ce qui aurait évité bien des problèmes ultérieurs.
En outre, non seulement le non dit (quid de Bah Oury ?) est suffisamment significatif, mais en outre, en Guinée, les magistrats n'ont retenu qu'un délit contre le susnommé « de Gaulle », la détention de chanvre indien (ce qui lui a occasionné quand même au moins un an de prison, puisqu'il s'y trouve encore).
Enfin, il n'est pas courant de ne pas se rappeler le nom de son assassin présumé (je pense personnellement que c'est quelque chose dont on se souvient toute sa vie). Alpha Condé ignore que AOB désigne le commandant Diallo (B ne signifiant pas Barry, mais Boffa). Nouvelle énigme ?
Sur la docilité apparente de la population
« Vous dites souvent que vous avez hérité d'un pays, pas d'un État... » lui rappelle le journaliste, ce à quoi Alpha Condé répond inlassablement : « c'est évident. Il n'y avait pas d'État en Guinée ».
Il faut arrêter cette formule à l'emporte-pièce. Alpha Condé n'a rien hérité du tout, on hérite de son père, et encore, on peut toujours le refuser si l'héritage est négatif. Pour ce qui concerne le pouvoir, je crois savoir qu'Alpha Condé a concouru aux élections présidentielles, et j'espère pour lui, qu'il connaissait la situation avant de s'engager. Il ne faut pas faire semblant de la découvrir. D'ailleurs, comme je le disais, on peut toujours refuser un héritage. S'il n'est pas capable, qu'il rende le tablier, et dans le cas contraire, qu'il fasse ce pour quoi il a été choisi.
« Comme Churchill, je ne peux promettre aux Guinéens que du sang, de la sueur et des larmes, mais la victoire est à ce prix, et les gens l'ont compris. La preuve, c'est qu'il n'y a plus de grèves en Guinée. L'année dernière, nous avons augmenté le prix du carburant sans mesure d'accompagnement et il n'y a pas eu une seule grève ! ».
Pasticher partiellement Winston Churchill – avec cette expression qui constitue le titre de ce papier –, ce dernier ayant eu la franchise de présenter son programme à l'occasion de son investiture du 13 mai 1940, n'est pas du meilleur effet pour Alpha Condé, dans la mesure où il nous avait promis la lune. De la sueur oui, des larmes pourquoi pas, mais du sang ? Nous ne sommes pas en guerre, que je sache.
Par ailleurs, il faut toujours faire preuve d'humilité lorsqu'on parle de grèves. Il faut se rappeler Nicolas Sarkozy, disant à peu près la même chose en France (on sait comment il a fini). D'ailleurs, si la Guinée n'obtient pas les financements souhaités, je ne suis pas sûr que la patience des travailleurs soit illimitée. D'ailleurs tout le monde se souvient – et en prend peut-être la mesure maintenant –, que l'intervention du PRG dans les litiges de la CNTG, avaient pour but d'occuper leurs leaders dans la question du leadership (comme tous, ils ne sont sensibles qu'à leur intérêt personnel), ce qui a justement permis cette augmentation concomitante du prix du carburant. Pendant qu'ils se déchiraient pour occuper la présidence du syndicat, ils ne se souciaient pas des problèmes quotidiens, mais c'était sans doute là le but recherché.
En conclusion
Contrairement à ce qu'indiquait François Soudan en début d'entretien, Alpha Condé n'a pas changé. Il porte toujours son habit d'opposant chronique (au sens propre d'ailleurs avec la présidence – éternelle ? – du RPG), préoccupé à jouer le pacha qui décide de tout, sans concertation avec qui que ce soit (concertation ne signifiant nullement codécision), l'envoi de troupes au Mali n'étant qu'une illustration de cette démarche.
Certes dans un entretien, on répond généralement aux questions posées, mais l'habileté consiste à faire passer un message porteur, sur l'avenir. Ici Alpha Condé n'a pas évoqué l'avenir – ce qui intéresse pourtant les Guinéens –, de sorte qu'on est bien incapable de savoir quelle est sa politique en matière de santé, de justice, d'éducation et de logement par exemple, pour ne citer que ces secteurs, ô combien importants. Les seules perspectives seraient pourtant de dire aux Guinéens qu'il faut travailler et donc retrousser les manches, et non attendre que des investisseurs étrangers viennent (s'ils viennent) et seulement après on verra. Certes la croissance ne se décrète pas (encore moins en Guinée), mais à défaut de stimuler le secteur privé (et non de chercher exclusivement les compagnies minières), Alpha Condé pourrait au moins montrer l'exemple, via l'administration, sur laquelle il a quand même au moins la main. Obliger les fonctionnaires à être au moins à leur poste à l'heure et ne pas partir avant l'heure, serait déjà une avancée énorme, et un signal fort, mais c'est évidemment trop demander à quelqu'un qui ignore ce qu'est le travail.
Pour l'instant le changement semble se résumer au mariage (forcé ?) de clans mafieux, à la mise au pas d’une administration qui s'ethnicise, à la soumission d'institutions sans aucune compétence et dignité, et à la volonté d’une armée composée de criminels et de délinquants primaires, de sauvegarder leurs privilèges (30 à 50% du budget national). Toutes ces structures veulent tirer parti des avantages qui accompagnent les différentes fonctions, sans se préoccuper des devoirs.
Gandhi
Citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, mai 1791).
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