Le Ghana : une singularité démocratique en Afrique
Le président John Atta Mills, né en 1944 à Tarkwa et qui dirigeait le Ghana depuis 2009, est mort brusquement mardi 24 juillet à 68 ans.
Son vice-président John Dramani Mahama lui a immédiatement succédé pour un intérim jusqu'à la présidentielle prévue en décembre prochain dans ce pays de 25 millions d'habitants présenté comme un rare exemple de démocratie en Afrique de l'Ouest. Il avait été choisi par Barack Obama pour y effectuer en 2009 sa première visite de président des Etats-Unis en Afrique sub-saharienne.
Quelques jours avant la dernière élection présidentielle, j'avais écrit un article
en décembre 2008 pour rendre hommage à une exemplarité, une singularité
démocratique en Afrique que je soumets à nouveau à votre lecture :
Le Ghana continuera toujours à nous étonner et nous émerveiller en organisant simultanément, de manière concomitante des élections législatives et une présidentielle dans un climat relativement apaisé. Alors que la vie politique et la compétition électorale sur le continent africain sont constamment, systématiquement émaillées, empreintes de fraudes électorales et de violence. D’autres pays, à l’instar de la Guinée, ont du mal à organiser des élections faute, paraît-il, de moyens financiers, techniques et humains suffisants ou bien du fait de manœuvres dilatoires.
A moins que les deux raisons ne soient liées.
Cette élection permettra-t-elle d’ancrer, de consolider la démocratie au
Ghana ?
C’est un test de maturité pour ce pays ouest-africain, situé entre la Côte d’Ivoire et le Togo, qui a déjà réussi une transition démocratique en 2000 avec le départ en douceur du capitaine Jerry Rawlings, né Jeremiah Rawlings John, 61 ans, d'un père écossais et d'une mère ghanéenne. En Afrique, il fut le premier président militaire à rendre le pouvoir aux civils : il avait en 1981 fait un coup d'Etat puis instauré le multipartisme ; il fut élu président en 1992 et réélu en 1996 puis s’effaça en 2000 sans réviser la constitution et vit John Kufuor lui succéder. Ce dernier gagna la présidentielle en 2000 et l'alternance eut lieu sans trouble.
C’est la cinquième consultation depuis l'instauration en 1992 du multipartisme
dans cette ex-colonie britannique, l'ancienne « Gold Coast » devenu indépendante sous la férule de Kwame Nkrumah (1909-1972) père de l’indépendance et artisan chevronné du panafricanisme. Le 6 mars 1957, « la Côte-de-l'Or » devint ainsi la première colonie de l’Afrique sub-saharienne à obtenir son indépendance.
« C'est en tout cas une bonne occasion, en fait la première depuis 2000, de savoir si nous avons définitivement consolidé la démocratie ; c’est un moment clé pour le Ghana et pour l'Afrique », explique un « think tank » local. « Les dernières élections au Kenya et au Zimbabwe ont fait monter les enjeux pour notre pays. Tout le monde va nous regarder. C'est vraiment un test pour le Ghana », poursuit-il.
Pour les deux principaux partis en lice, qui ont exercé à tour de rôle le pouvoir pendant huit ans, c'est aussi une bonne occasion de comparer leurs bilans respectifs, à l'issue d'une campagne électorale dense et 70 % de taux de participation, de votants.
Quant à la Commission électorale, elle a essuyé de nombreuses critiques,
notamment pour la façon dont elle a révisé les listes électorales.
La culture politique est cependant ouverte dans ce pays. Bien noté par la
communauté internationale, le Ghana jouit d'une presse assez libre et d'un pouvoir judiciaire indépendant ; l'économie ghanéenne reste saine mais très fragile.
Malgré une image flatteuse à l'étranger grâce au respect des droits civiques, à la liberté de la presse et finalement à la transition réussie en douceur en 2000, il reste un point noir dans le bilan des deux mandats de John Kufuor : la corruption.
Même si, selon la Banque Mondiale, le Ghana est un des meilleurs élèves de la classe en Afrique, les détournements de fonds et l'impunité des élites demeurent préoccupants, encore plus maintenant que le Ghana se prend à rêver d'un avenir pétrolier après la découverte d'or noir au large de ses côtes en 2007. La manière dont ces pétrodollars tant attendus seront dépensés sera sans doute l'un des plus grands défis de la future administration ghanéenne.
Un test démocratique gagnant
Plus de 12,8 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes le dimanche 7 décembre 2008 dans 22.000 bureaux pour, d’une part, désigner un successeur au président John Kufuor qui, à 69 ans, tire sa révérence comme le prévoit la constitution et ne peut pas se représenter, après deux mandats de 4 ans chacun, à la tête de l'Etat et, d’autre part, pour choisir leurs 230 députés pour renouveler le parlement ; deux scrutins test pour le pays et un continent coutumier des élections frauduleuses et des violences post-électorales.
Huit candidats étaient en lice mais l’élection s’est jouée entre les deux favoris, deux juristes de 64 ans : Nana Akufo-Addo, un avocat, du parti au pouvoir le Nouveau Parti Patriotique (NPP) et John Atta-Mills, un spécialiste de droit fiscal, du Congrès Démocratique National (NDC), ancien vice-président du capitaine Jerry Rawlings.
Un troisième homme aurait pu se glisser dans ce duel : Papa Kwesi Nduom lointain héritier de Kwame Nkrumah et homme d'affaires de 55 ans pour le Parti de la Convention du peuple (CPP).
Des observateurs de l'Union européenne, du Commonwealth et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest ont été déployés dans tout le pays.
« Nous avons besoin d’emplois, des bonnes routes, d’éducation pour nos
enfants, de santé et, par dessus tout, de paix ». C’est ce qu’on a entendu lors de l‘élection : ce sont les véritables enjeux.
Une étudiante de 20 ans, qui votait pour la première fois, avait peur de la
violence : « regardez ce qui s'est passé autour de nous en Côte d'Ivoire, au Liberia ou en Sierra Leone. Le futur gouvernement doit préserver la paix ».
Pour cette consultation toute l’Afrique a les yeux rivés sur le Ghana. Une élection démocratique dans un pays qui fait figure de bon élève est un exemple pour le continent noir.
« J'ai confiance. Les partis accepteront les résultats si le scrutin est juste et
transparent », a déclaré John Atta-Mills en votant à Accra.
« Ce pays a un brillant avenir », a de son côté lancé Jerry Rawlings dans un
autre bureau de la capitale, accueilli par des dizaines de personnes aux cris
de « Bienvenue Papa, reviens! ».
« Ce vote est important car le Ghana a été l'un des premiers pays indépendants du continent et si tout se passe bien, ce sera bon pour l'Afrique », a expliqué à l'AFP l'ancien président du Botswana Ketumile Massire qui dirige une équipe d'observateurs du centre Carter. Il a estimé que le Ghana devenait « un modèle de démocratie pour la région et au-delà ».
« Une élection transparente donnera un signal fort à l'Afrique où plusieurs scrutins ces derniers mois n'ont pas reflété le choix du peuple », insiste le chef des observateurs de l'Union européenne Nickolay Mladenov.
« La participation à la présidentielle et aux législatives qui avaient lieu parallèlement a été élevée, selon la commission électorale, et le vote s'est déroulé dans le calme en dépit de quelques incidents violents isolés ».
Les chiffres des législatives montrent également des résultats serrés entre les deux grandes formations : sur les sièges attribués, le NPP en obtient 109 et le CND 113 d’où un recul pour le NPP à l'Assemblée nationale où il comptait 128 élus sur 230 dans la chambre sortante. Un seul siège fait l’objet d’une contestation actuellement.
Vers un second tour indécis pour l'élection présidentielle
Selon les résultats rendus publics mercredi 10 décembre par la Commission
électorale nationale, trois jours après le scrutin, le candidat du parti au pouvoir Nana Akufo-Addo est arrivé en tête avec 49,13 % des suffrages (4 159 439 voix). Faute d'avoir obtenu la majorité absolue, il devra affronter lors d'un second tour, dimanche 28 décembre, son principal adversaire John Atta-Mills, du Congrès démocratique national, qui a obtenu 47,92 % des votes (4 056 634 voix).
Le fameux « Troisième homme », Papa Kwesi Nduom, n'a recueilli que 1,3% des suffrages, mais le résultat final dépendra du report de ses voix.
Certaines victoires électorales africaines à la « soviétique » (cf. Ben Ali en Tunisie) sont si éclatantes ou si inattendues qu'elles ont le goût amer de la fraude. Le faible écart qui sépare les deux principaux protagonistes ghanéen apparaît ici, au contraire, comme un nouveau gage de l'exceptionnelle santé démocratique de cette ancienne colonie britannique.
Les deux candidats ne sont séparés que par quelque 100 000 voix.
« Je pense que nous avons donné au monde l'exemple qu’il y a d'autres pays,
d'autres exemples que le Kenya et le Zimbabwe », s'est félicité Akufo-Addo.
Serrés, les résultats du scrutin de dimanche laissent leurs chances à chacun des deux camps qui se partagent le pays selon un clivage surtout politique mais dont les arrière-pensées ethniques ne sont pas absentes. Nana Akufo-Addo est un partisan de la poursuite de la politique de libéralisme économique qui assure 6 % de croissance au pays, mais qui a creusé les inégalités.
Son adversaire John Atta-Mills se veut le défenseur des oubliés de la croissance et dénonce la montée de la corruption. La prééminence économique et les privilèges dont bénéficierait le groupe ethnique des Ashantis, auquel appartient Akufo-Addo, alimentent aussi leur rivalité.
Il faudra tenir compte des abstentionnistes du premier tour, du nombre de bulletins nuls très élevé au premier tour (2,4 %), comme souvent dans les pays à fort taux d'illettrés.
Se dirige-t-on vers un partage du pouvoir, une cohabitation sous les
tropiques ?
L’opposition est majoritaire au parlement et le candidat du pouvoir est en mesure de gagner la présidentielle : pareille situation semble propice à l'instabilité. La Constitution du Ghana, qui ne connaît pas de premier ministre, rend difficile une « cohabitation ». Le passé de violence, assez lointain, mais aussi l'enjeu financier crucial de l'exploitation pétrolière, prévue pour démarrer en 2010, ne plaident pas non plus en faveur de l'apaisement.
Après avoir réussi une alternance pacifique en 2000 et élu deux présidents
respectant la fin de leur mandat sans réviser la constitution pour rester au pouvoir ad vitam aeternam comme le syndicat des chefs d’Etat africains (cf. le Gabonais Omar Bongo 40 ans au pouvoir), la jeune démocratie ghanéenne s'engage dans une nouvelle épreuve. Très fiers de leur exemplarité, les Ghanéens ont désormais la responsabilité d'arbitrer pacifiquement un duel qui s'annonce sans merci.
« La violence est consubstantielle à la vie politique ! » selon le journaliste
français et directeur de l’hebdomadaire « Point » Franz Olivier Giesbert. Mais en Afrique on a affaire le plus souvent à une violence d’Etat contre des opposants, des groupes ethniques d’où des génocides parfois. Ce qui n’est pas le cas du Ghana où chaque candidat a obtenu des victoires dans la région « originelle » de l’autre : indistinctement donc dans le pays Ashanti et la région de la Volta près du Togo. Le clivage Nord/Sud n’a pas eu lieu.
Les deux derniers présidents ont créé un cercle vertueux où les militaires et
la classe politique ont accepté de jouer le jeu démocratique. C’est ainsi que le
Ghana s’est singularisée par :
- une alternance régulière soit au niveau de l’exécutif, soit au sein du parlement ;
- un débat politique caractérisé par un débat d’idées et non vicié par le régionalisme,
l’ethnocentrisme, la religion, le népotisme entre autres ;
- la neutralité de l’armée ;
- le renouvellement de la classe dirigeante, des élites ;
- l’absence de violences post-électorales ;
- un système éducatif performant avec des lycées qui, pour certains, datent de 1850 ;
- l’égalité de traitement des candidats dans les médias ;
- la courtoisie dans les débats contradictoires.
Conclusion : Gilchrist Olympio, l’opposant togolais qui a passé une partie de sa jeunesse au Ghana, a émis une analyse rassurante sur les élections du 7 décembre dernier et un bon pronostic sur l’issue du second tour présidentiel : « Le Ghana est un pays raffiné sur le plan politique et nous surprendra agréablement ».
Ce pays a accédé à l’indépendance un an avant la Guinée qui avait même offert l’asile politique à Kwame Nkrumah ; mais aujourd’hui elle est entrain de lui asséner une leçon de démocratie et de bonne gouvernance.
A quand les élections législatives en Guinée ? Il s’agit du second report : elles
avaient été prévues initialement en juin 2007 ; des « difficultés diverses » ont
provoqué un premier report de la date du scrutin à décembre 2008 et maintenant, au premier trimestre 2009. C’est le « syndrome ivoirien », Laurent Gbagbo ayant fait des émules en Guinée.
Le Ghana, lui, demeure une référence démocratique et ses électeurs peuvent être fiers de leur pays qui est une singularité démocratique en Afrique.
Que Dieu préserve le Ghana et la Guinée !
Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 12 décembre 2008
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