Tierno Monénembo et le Terroriste noir
Tierno Monénembo a publié en 2008 un roman historique surprenant, Le Roi de Kahel, qui lui a valu le prix Renaudot. C’était hier et c’était surtout amplement mérité car, depuis des lustres, le natif du Fouta-Djalon a pris l’habitude de nous offrir des romans toniques, exigeants, portés par une indiscutable nécessité. Depuis Les Crapauds-brousse (1979) jusqu’au Roi de Kahel (2008) en passant par L’Aîné des orphelins (2000) et Peuls (2004), il a bâti une oeuvre solide au long cours, fidèle aux éditions du Seuil. Construite patiemment, obstinément. Aucune concession à l’air du temps. Aucun gras.
Et voilà que Tierno Monénembo nous revient en forme. Son nouvel opus (Le Terroriste noir à paraître le 23 Août 2012), en lice pour le 11e Prix du Roman FNAC (1), séduira de très nombreux lecteurs. On retrouve la pâte du grand romancier franco-guinéen : le goût de l’archive et de l’histoire, la langue belle et exigeante, l’empathie pour les destins brisés et les constructions faulkneriennes.
Avec Le Terroriste noir, Tierno Monénembo fait oeuvre utile en labourant la mémoire si peu partagée, si rarement empruntée, je veux parler de la mémoire franco-africaine. Qui savait que le premier maquis des Vosges avait été mis en place par un jeune Africain ? Lui, si.
Le Terroriste noir est, on l’a compris, une fiction construite autour de la véritable histoire, aussi méconnue qu’extraordinaire, d’Addi Bâ. Addi Bâ est un jeune Guinéen né vers 1916, adopté en France à l’âge de 13 ans, et qui, devenu soldat pendant la Seconde Guerre, est affecté dans le 12e régiment des tirailleurs sénégalais. Capturé après la bataille de la Meuse, Addi s’évade, erre dans les forêts, avant d’être recueilli par le maire du village de Romaincourt. Élégant et mystérieux, à la fois austère et charmeur, il y fera sensation, mais ce n’est qu’un début : en 1942, il entre en contact avec la Résistance et crée le premier maquis des Vosges. Les Allemands le surnommeront « le terroriste noir ».
En attendant la parution du roman qui fera certainement parler de lui dès le 23 août (1), on peut patienter en lisant les bonnes feuilles.
« Vous a-t-on dit qu’avant son arrivée à Romaincourt, personne n’avait jamais vu de nègre, à part le colonel qui savait tout du cœur de l’Afrique et du ventre de l’Orient? Non, vraiment? Vous avez tout de même entendu parler du bastringue que cela faisait en ces années-là à cause des Boches, des Ritals, des Bolcheviques, des Ingliches, des Yankees, et de tas d’autres gens qui, tous, en voulaient à la France, et avaient décidé, allez savoir pourquoi, de mettre l’univers sens dessus dessous rien que pour l’emmerder? Le fatras, Monsieur, le grand caillon, comme cela se dit chez nous ! Des morceaux de Lorraine en Prusse, la Lettonie accolée au Siam, des éclats de Tchécoslovaquie partout, des Kanaks sur la banquise, des Lapons près de l’Équateur, et lui, ici, dans ce trou perdu des Vosges, dont il n’entendit prononcer le nom que plusieurs mois après qu’on l’eut découvert gisant, à demi-mort, à l’orée du bois de Chenois.
C’était la grande guerre, Monsieur, la chale avvaire, comme l’appelait mâmiche Léontine qui en soixante ans chez les Lorrains n’avait rien concédé de son accent du Sundgau. Vous ne pouvez pas l’ignorer, personne ne peut ignorer cette période-là, même chez vous sur les bords du Limpopo.
Ce sont les Valdenaire qui le virent pour la première fois. Le père et le fils, Monsieur, à la saison des colchiques! Ils allaient aux jaunottes et puis le fils, surpris, poussa le cri de sa vie en entendant un bruit de bête que l’on égorge. Il ferma les yeux et pointa du doigt une masse sombre et inquiétante affalée dans un fourré d’alisiers, là où la terre semblait moins boueuse. Le père, accouru, sursauta, transpira à grosses gouttes, puis reprit très vite sa dignité :
– Mais voyons, Étienne, ce n’est là qu’un pauvre nègre.
– Un espion des Allemands, alors !
– Ils n’ont plus de nègres, les Allemands, et c’est bien pour cela qu’il y a la guerre… Venez, fils !
– Mais, père…
– Taisez-vous, Étienne !
Les Allemands venaient de bombarder Épinal, et moi, Germaine Tergoresse, j’ignorais encore tout de votre oncle. J’ignorais qu’il s’appelait Addi Bâ et qu’il venait de s’évader d’une garnison de Neufchâteau. Surtout, j’étais loin de me douter que quelques mois plus tard, il viendrait habiter cette maison que vous voyez là, juste de l’autre côté de la rue, bouleverser la vie de ma famille et marquer pour de bon l’histoire de ce village ». La suite ici.
Un dernier mot : bon succès et chapeau, l’artiste !
Note
(1) La Fnac organise pour la 11e année consécutive le Prix du Roman Fnac, qui prime le meilleur roman de la rentrée littéraire. Ce prix est décerné par un jury composé de 400 adhérents et de 400 libraires de la Fnac répartis sur toute la France. Dès le mois de juin, les membres du jury lisent sur épreuves les romans à paraître à la rentrée. Une première sélection de trente ouvrages a rassemblé à la fois des premiers romans, des romans étrangers, des auteurs à succès. Parmi cette sélection définie par le Jury du Prix du Roman Fnac, quatre livres ont été choisis à la fois par les libraires et les adhérents. Les délibérations finales permettront d’élire le lauréat du 11e Prix du Roman Fnac, qui sera annoncé le 28 août 2012. Outre Le Terroriste noir, restent en lice Peste et choléra de Patrick Deville (Seuil), La Déesse des petites victoires de Yannick Grannec (Anne Carrière) et Lame de fond de Linda Le (Bourgois).
Abdourahman Waberi
SlateAfrique
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