Le Requiem pour la CENI en Guinée
L'adoption par le CNT de la loi relative à la recomposition paritaire de la CENI marque un pas décisif pour le contrôle de l'ensemble du processus électoral par le régime d'Alpha Condé. En effet, la stratégie qui a permis à une commission ad-hoc composée de représentants du patronat, du Conseil économique et social, d'une ONG féminine pro-gouvernementale et du CNT, de proposer sur mesure trois schémas de sortie de crise assortis d'une recommandation expresse que le chef de l'Etat est « souverain » d'en choisir un, a ouvert un boulevard pour la domestication complète des institutions issues de la transition (CENI, CNT).
Cette loi sur la CENI, au lieu de tirer les leçons de la faillite de l'organisme qui porte la responsabilité des échecs des élections présidentielles et de la non-organisation des élections législatives voilà maintenant près de trois ans, a accentué par des dispositions iniques la mainmise totale de la CENI par l'exécutif. Comment en est-on arrivé à ce point ?
A ‒ Les intentions de messieurs Alpha et Alassane Condé, respectivement chef de l'Etat et ministre de l'Administration du territoire étaient connues dès leur installation au pouvoir, à savoir anéantir l'indépendance d'une CENI fortement écornée par les affairismes en son sein et l'organisation calamiteuse des consultations présidentielles. La méthode est simple : dans un premier temps, violer la Constitution et les textes fondamentaux de la République. C'est ainsi qu'une entente signée par Lousény Camara et le ministre Alhassane Condé scelle la mise sous tutelle de cet organisme chargé d'organiser toutes les consultations électorales et à qui la Constitution du pays confère une totale indépendance. Ni la Cour suprême qui joue le rôle de Cour constitutionnelle, ni le Conseil national de la transition (CNT), en charge de la supervision de la transition, ne s'émeuvent devant ce coup d'Etat institutionnel. En plus pour s'arroger le contrôle de tous les leviers devant s'impliquer dans l'organisation des élections, des délégations spéciales issues du RPG-Arc-en-ciel sont installées dans les principales communes du pays au mépris du Code des collectivités publiques. L'objectif ultime est la « confection » d'un nouveau fichier électoral pour rejeter celui conçu par la Sagem au profit d'un autre qui lui permettra de manipuler les prochaines consultations électorales sans que des preuves irréfutables ne puissent prouver les fraudes et les tricheries.
B ‒ L'opposition tétanisée par la défaite aux présidentielles reste passive hormis la circulaire de l'UFDG de la mi-juillet 2011 appelant « à la mobilisation générale contre la dérive dictatoriale de la gouvernance d'Alpha Condé » que j'avais signée en tant que président par intérim du parti. Par la suite, les arrestations arbitraires de civils et d'officiers militaires sous le prétexte fallacieux de leur implication dans « l'attaque contre le domicile privé du chef de l'Etat » le 19 juillet 2011, neutralisent des forces susceptibles de s'opposer à l'effacement des acquis démocratiques. Là aussi, au lieu de mettre avant les combats pour le respect des droits de l'homme et la primauté du droit sur les violences extra-judiciaires du pouvoir, l’indifférence coupable des acteurs politiques et sociaux facilite la stratégie gouvernementale. En face des manœuvres, planifiées, systématiques et déterminées d'une gouvernance hors-la-loi, l'opposition appelle à des manifestations pacifiques pour exiger « un dialogue politique avec le pouvoir ». Ces manifestations seront violemment réprimées avec plusieurs morts, des blessés et des centaines d’arrestations. Ce combat inégal s'assimile au duel du pot de fer contre le pot de terre.
Il n'est donc pas étonnant, à l'aune de la durée, que le ministre de l'Administration du territoire soit devenu de fait le personnage central de la composition de la CENI. L'absence de dispositions réglementaires permettant de définir les critères assurant à un parti politique en fonction de son poids politique et de sa représentativité nationale d'indiquer le nombre de postes de commissaires auxquels il pourrait avoir droit, permet de placer M. Alhassane Condé comme arbitre, en dépit de ce que cela soit une violation de la constitution. Par ailleurs, la non-prise en compte de l'examen de l'honorabilité des proposés par la mise en place d'un jury hautement qualifié dont les audiences seront publiques et qui a le pouvoir de récuser les postulants qui ne rempliraient pas les critères pour être membre de la CENI conformément aux textes organiques de l'institution, nous amène à reconduire les fautes de la précédente équipe. Dans cette optique les choix seraient responsables et rationnels et chaque commissaire serait tacitement lié à un contrat moral et de confiance au parti dont il est issu.
Ces deux manquements annoncent une crise mortelle pour le processus électoral en Guinée. Les effets dévastateurs sont déjà visibles :
•Au niveau de la société civile, l'imposition au forceps de Bakary Fofana ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jean Marie Doré, dans des conditions contestables, et le soutien public que lui a apporté M. Alpha Condé ont jeté le trouble et le désarroi. En effet avec ses relais au niveau des démembrements de la société civile et ses accointances personnelles avec une ONG internationale financée par l’USAID, ses capacités de manœuvre seront égales ou plus fortes que celles de Lousény Camara. D'ores et déjà comme postulant, il a réussi à discréditer et à rendre suspecte la prochaine équipe des commissaires.
•Avec plus de 150 partis politiques et plus de 50 propositions seulement pour les 10 postes dévolus à l'opposition, la crise est ouverte entre les différentes alliances des partis qui peu ou prou se réclament de l'opposition. Les partis significatifs du pays seront les grands perdants de cette nouvelle architecture. Le manque de cohérence et de lisibilité qui en résultera, fera l'affaire du pouvoir qui s'empressera de grignoter et de téléguider l'ensemble des actions de l'institution chargée de gérer les élections. De fait l'existence de la CENI n'aura en pratique aucun intérêt, sinon que d'être budgétivore et lieu d'exacerbation de conflits subalternes. Les commissaires ne s'appuyant pas sur une réelle légitimité seront à la merci de la corruption, de l'intimidation et par conséquent ne pourront pas agir selon leur « âme et conscience ».
•L'UFDG est sans conteste le plus grand perdant. D'abord sur le plan de l'orientation politique, « le dialogue avec Alpha Condé » préconisé par El hadj Cellou Dalein a montré ses limites objectives malgré plus d'une dizaine de morts, des centaines de blessés et plus de deux milliers de personnes qui ont été interpellées et emprisonnées. De ce point de vue le pouvoir a triomphé, en jouant à l'usure et à alterner « dialogues de façade et répressions meurtrières ». Aussi, en acceptant le schéma de répartition des postes (2) sacrifiant ainsi à l'autel du nécessaire consensus avec les autres partis de l'opposition les 5 postes que le poids électoral de l'UFDG pourrait lui accorder, la direction actuelle du parti a dévalué la représentativité du parti. Avoir de droit au moins 5 postes ne revient pas à léser les autres formations politiques car les choix devraient se faire selon des critères objectifs de compétence, d’honorabilité et de responsabilité. Dans ce cas l'UFDG, pour donner une réelle cohérence à l'équipe proposée, pourra avec l'assentiment de tous, faire des choix de proposer des cadres issus des partis alliés. Malheureusement, tel n'est pas le cas. Pis encore, le choix du seul réel représentant de l'UFDG s'est fait sans concertation et sur des bases plus en relation avec le lien de parenté avec le président de l'UFDG que sur une volonté farouche de promouvoir l'intérêt bien compris de l'UFDG.
•La recomposition paritaire de la CENI en cours est une victoire à la Pyrrhus pour M. Alpha Condé. Il a pu démanteler l'ensemble des acquis pour une gestion neutre et libre du processus électoral. Mais il oublie qu'en l'absence d'élections libres et démocratiques pour doter le pays d'une représentation authentique et légitime des Guinéens, il ne pourra y avoir de stabilité, de paix et de développement. La communauté internationale, notamment l'Union Européenne a indiqué qu'il n’y aura point de 10e FED sans des élections législatives incluses et crédibles. Pour duper cette même communauté, le gouvernement guinéen se camoufle derrière l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) pour draper « son processus électoral, sa CENI et son Waymark » d'une apparence de crédibilité.
•Les Guinéens ont les yeux ouverts et ont compris la mascarade qui se prépare. Une CENI bancale, des élections bâclées, et une gouvernance aveugle et violente engendreront fatalement la déstabilisation et le chaos en Guinée.
Le nouvel épisode de la vie de la CENI ruinera pour longtemps l'idée de la constitution d'un organisme indépendant capable d'organiser des élections crédibles, inclusives et acceptées de tous. Les populations qui n'ont ménagé aucun sacrifice (plus de 600 morts lors de manifestations pacifiques ces cinq dernières années) sombrent dans le désespoir et la misère, car jusqu'à présent les acteurs politiques, sociaux et militaires, n'ont pas encore réussi à rendre possible le rêve des Guinéens d'être unis et réconciliés dans un pays stable, prospère et qui consacre l'autorité de la loi.
20 octobre 2012
Bah Oury
1er vice-président de l'UFDG
Merci de votre visite, reveneez quand vous le voulez.
Contact mail: alfa_ousmane@yahoo.fr
Commentaires