Il est temps de passer aux choses sérieuses
A l’heure où s’ouvre le procès des personnes impliquées dans la tentative d’assassinat du président Alpha Condé, en juillet 2011, en Guinée, une grande confusion et un malaise gagnent les esprits. Evidemment, il faut souhaiter que toute la lumière soit faite et que le droit soit véritablement dit dans cette ténébreuse affaire. Mais la situation politique actuelle en Guinée, faite de rumeurs calomnieuses et de complots imaginaires, de ressentiments ethniques partagés, de divisions de tous genres, soulève deux questions fondamentales : ce pays est-il encore une Nation ? Ce pays est-il encore un Etat ? En succédant au général Sékouba Konaté, le 21 décembre 2010, Alpha Condé, rappelons-le, avait remporté cette tumultueuse bataille électorale, face à son challenger, Cellou Dalein Diallo, sur le thème du changement. Dans un pays qui sort d’une longue période marquée par la tyrannie sanguinaire et paranoïaque de Sékou Touré et les régimes militaires brutaux de Lassana Conté et Dadis Camara, toute l’Afrique avait salué ce grand retour démocratique de la Guinée. Nous avions tous pensé que les souffrances et épreuves endurées par ce peuple auraient permis de créer, ici, entre Guinéens, une forte conscience d’appartenir à une grande nation et de faire naître un véritable Etat démocratique. Malheureusement, malgré l’élection de Alpha Condé, la Guinée semble installée dans une stabilité politique mensongère. Aujourd’hui, les Guinéens sont déçus, résignés, voire fatalistes, eux qui avaient pensé que la démocratie devrait les faire accéder à la liberté, à la paix et surtout au progrès économique et social. Le pays semble avoir renoué avec ses vieux démons, notamment la terrifiante réalité de la question ethno-régionaliste. Malgré les beaux discours, il règne en Guinée, un climat social de suspicion généralisée. Comme si chaque Guinéen était devenu un diviseur qui s’ignore. On assiste même, de nos jours, au réveil de la paranoïa complotite de Sékou Touré, dirigée toujours contre le même groupe ethnique : les Peuls. Il faut que, dans ce pays, une fois pour toutes, les élites politiques et intellectuelles cessent de faire des Peuls un fond de commerce politique, des ennemis imaginaires à abattre. Ici, on passe aussi aisément de l’adversaire politique à la notion d’ennemi, comme si l’on allait se baigner dans une rivière. Cette question, cette dialectique ethnique imprègne, qu’on le veuille ou non, la mémoire et la conscience collective des Guinéens. Or, la véritable richesse de ce pays reste sa diversité ethnique, religieuse et culturelle. Reconnaissons qu’on ne peut imputer tous les maux dont souffre la Guinée actuelle à la seule politique du président Condé. Il a hérité d’une situation chaotique à tous les niveaux et sa tâche n’est pas des plus aisées. Néanmoins, on aurait pu attendre de lui un geste symbolique fort à l’endroit de l’opposition politique, en vue de décrisper ce climat délétère. Or, on semble tout entreprendre pour la discréditer et la criminaliser. Le report des élections législatives aux calendes guinéennes ne contribue pas du tout à l’enracinement de la culture démocratique. La démocratie, répétons-le, ce n’est pas la révolution : elle ne dévore jamais ses enfants. Elle est d’abord un souci d’équilibre. Quant à la République, elle seule permettra à la Guinée de transcender ses frontières ethniques et régionalistes. Elle repose sur l’égalité des citoyens. Il faut donc apprendre à respecter le peuple guinéen dans toute sa diversité, surtout qu’il vit dans une situation de pauvreté généralisée. Et éviter que ce peuple ne finisse par se mépriser lui-même. Un adage africain dit que : « Pour que le train quitte la gare, il faut une locomotive ». En Guinée, on a l’impression que le train n’a même pas de locomotive. Comment pourra-t-il donc quitter la gare ? Le temps joue contre elle. L’Afrique ne l’attend pas, le monde ne l’attend pas. Dans la Guinée de demain, plus que les préjugés ethniques, ce sont la citoyenneté et le mérite, fondés sur la compétence et l’intégrité qui devront prévaloir. A défaut, ce pays, malgré ses colossales richesses, continuera à apparaître, aux yeux du monde, comme une terre d’absurdités. Une démocratie de pacotille ne peut qu’hypothéquer son avenir, surtout celui de sa dynamique jeunesse.
Abdoulaye BARRO
Source: LePays (Burkina-Faso)
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