Contribution de Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH à la TABLE RONDE organisée par GRAD-GUINEE
TABLE RONDE organisée par GRAD-GUINEE
Mairie de PARIS 19ème / Dimanche 17 février 2013
THEME : La jeunesse guinéenne dans les grands changements politiques
INTRODUCTION :
« La jeunesse, c’est avant tout un état d’esprit vivifiant, régénérateur pour la société, sinon tout s’y sclérose » ; elle est, dit-on, un atout de développement qui s’implique dans la vie de toute nation lorsqu’elle est bien formée, éduquée.
Mais le constat est accablant en Guinée où la jeunesse, qui représente plus de 55% de la population, est mal lotie et formée, en proie à un chômage croissant et au désarroi, en perdition, et demeure, aujourd’hui plus que jamais, candidate acharnée à l’exil pour connaitre un sort meilleur sous d’autres cieux quel qu’en soit le prix, parfois même au prix de sa vie.
Cette jeunesse sacrifiée est toujours passée de l’espoir, qui retombe toujours comme un soufflé, à la désillusion face à l’incurie des pouvoirs politiques qui se sont succédés et dont elle a toujours contribué à la victoire, à l’avènement.
Quand la jeunesse ne rêve pas, n’a pas d’avenir, le pays est en danger prévient-on.
J’utiliserai 5 axiomes, 5 adages pour décliner ma vision, ma perception de la thématique proposée par Grad-Guinée, un cercle de réflexion à l’avenir prometteur.
L’actuel enjeu majeur que notre jeunesse doit s’approprier est de vaincre, terrasser, éradiquée l’hydre de l’ethnocentrisme pour que la citoyenneté puisse s’ébrouer dans notre futur champ démocratique par le biais d’un Etat restructuré qui joue son rôle de régulateur social, notamment avec l’effectivité du principe d’égalité des chances.
Afin que la jeunesse guinéenne connaisse enfin un vrai changement politique pérenne, pour que la démocratie soit une réalité vivante après tant de sacrifices consentis depuis des décennies.
I) LE ROLE DE LA JEUNESSE SOUS LE PRISME DE 5 AXIOMES
1ere axiome : « La jeunesse est le ferment, l’avenir de la nation » dit-on souvent, mais elle doit prendre en charge son destin maintenant pour ne plus laisser les autres catégories sociales et politiques décider à sa place ou/et pour elle-même.
« Aux âmes bien nées, la valeur n’attends point le nombre des années » disait le dramaturge et poète français Pierre CORNEILLE (1606-1684) dans « Le Cid ».
2ème axiome : « La politique n’est pas le but dernier absorbant tous les autres. Mais si la politique n’est pas elle est en tout » disait la sud-africaine blanche, militante anti-apartheid Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature en 1991.
Toute action publique menée par la jeunesse a une connotation, un soubassement politique dans la mesure où elle concerne, comme disent les anthropologues, la structuration d’un groupement humain, en particulier, et de la société, in extenso.
3ème axiome : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir » enseignait Frantz Fanon (1925-1961) dans son célèbre ouvrage « Les Damnés de la Terre » (Éditions Maspero, 1961).
« Je dédie ce cri du cinquantenaire à Patrice Lumumba, à toute sa famille et à tous ceux qui luttent pour le panafricanisme, l’unité, l’indépendance, le développement et la souveraineté de l’Afrique, notre patrie », clamait-il.
En Afrique, fort heureusement; les générations ne s'opposent pas mais elles s'additionnent. Amadou Hampâté Bâ (1900-1991), l’écrivain et ethnologue malien ne disait-il pas que « quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle » ?
Avant l’avènement du pouvoir actuel en décembre 2010, la jeunesse , tant en Guinée qu’en France et dans sa diaspora, était à l’unisson avec ses ainés et la nation, unie notamment au sein de l’opposition dans les sections étrangères de leurs Partis politiques respectifs, dans la société civile, notamment dans la Coordination des associations guinéennes de France (CAGF), l’AJGF, le MJGF pour le changement, pour l’élargissement de l’espace des libertés individuelles et collectives.
Ce fut le cas à l’époque de la CODEM, du MORAD contre le référendum du 11 novembre 2001 et dernièrement au sein du Forum des Forces vives.
Mais aujourd’hui, elle est malheureusement divisée par le clivage ethnique, notamment la dichotomie Peul/Malinké.
En Juin 2006, janvier-février 2007, septembre-octobre 2009 les jeunes à coté de leurs ainés avaient joué un rôle déterminant pour le changement et l’imposition d’un Premier Ministre de consensus avec notamment le décret du 01 février 2007 qui a tenté de rééquilibrer les prérogatives politiques et institutionnels au sein du pouvoir exécutif. Mais en vain.
Aujourd’hui, on constate hélas ! que beaucoup de jeunes ont trahi cette mission qu’évoquait Frantz Fanon étant embrigadés, corsetés dans des structures partisanes, identitaires, communautaires.
4ème axiome : « L'ambition est le levain de l'Homme » m’affirma un jour le Doyen Vanfi Koné. Ne dit-on pas « qu’un simple sergent rêve d’être à son tour un jour un général ? ».
L'ambition est donc légitime et la jeunesse doit se battre pour prendre toute sa place maintenant, afin d’occuper des postes de responsabilité nationale et peser ainsi sur son propre destin, son propre sort.
Les difficiles prochaines batailles à mener en Guinée pour revivifier la vie publique et politique concernent , pour une jeunesse ambitieuse, la progression, l’élargissement du champ de la représentation politique, de l'offre politique à la diaspora avec un droit de vote et d’éligibilité comme au Sénégal et au Mali ; le droit de vote étant un attribut de la citoyenneté.Son implication dans les différentes crises survenues en Guinée n’est plus à démontrer. Aujourd’hui encore la diaspora reste le meilleur relais d’alerte de l’opinion internationale pour ce qui concerne la situation du pays et les évènements qui y surviennent.
Pour rappel, à travers la société civile, les ONG, la diaspora guinéenne est un acteur de développement majeur, incontournable qui a contribué à la création de richesses, de croissance économique, notamment dans :
- l’envoi de l’épargne des migrants, un flux financier plus important que l’aide publique au développement émanant des pays riches du Nord ;
- la réalisation de missions de service public : la construction et la réhabilitation d’écoles, de bibliothèques, de maternités, de centres de soins primaires, de logements individuels et collectifs ; l’envoi de médicaments, d’ouvrages ; la dispense des cours (cf. le TOKTEN avec l’association ACTOG).
La diaspora est devenue le premier opérateur économique au regard de sa puissance économique et financière, d’une part, et demeure la 5ème région la plus peuplée avec plus de 5 millions d’âmes, d’une part.
Par ailleurs, de nombreux partis politiques ont été créés depuis l’étranger par des éléments de cette diaspora et d’anciens PM et le Chef de l’Etat actuel en sont issus.
En somme, la diaspora et sa jeunesse constituent une chance pour la Guinée, mais des problèmes, des écueils demeurent notamment :
- au niveau du vote et de l'enrôlement (sa sous-représentation pour l'élection présidentielle du 27 juin 2010 avec 53 083 personnes sur 4 224 272 : soit 1, 26 % du corps électoral ;
- au niveau de sa représentativité au sein du CNT (un Guinéen de Suisse pour la France).
Il est illusoire, cependant, de croire à un retour massif des Guinéens et de sa jeunesse résidant à l’extérieur à court ou moyen terme dans leur pays d’origine pour des raisons liées à l’emploi, au logement, aux couples mixtes, etc.
Comment les impliquer davantage dans la vie de la nation ?
Comment les faire passer de rôle d’assistants et d’acteurs de développement à celui d’acteurs publics et politiques à temps plein ?
La solution passe inévitablement par une évolution constitutionnelle de la Loi fondamentale du 07 mai 2010. D'où l'urgente nécessité des candidatures libres, indépendantes, de la fin du monopole de représentation aux élections nationales par les seuls partis politiques (Art. 29, alinéa 2, pour l’élection présidentielle et 61, alinéa 1, pour la députation).
La diaspora guinéenne et sa jeunesse, à travers les candidatures libres, pourraient ainsi se faire représenter et s’impliquer davantage dans la vie de la nation :
- soit à travers la députation en fonction de sa concentration géographique et humaine ;
- soit au sein d’un Haut conseil des Guinéens résidant à l’extérieur à l‘instar des Maliens.
Par ailleurs, je souscris au projet de réforme de la CAGF sur la représentation institutionnelle de la diaspora exposé samedi dernier à la mairie de Paris par Malick Khadra Diaby lors de son Assemblée générale extraordinaire.
La jeunesse au sein de la société civile et des partis politiques a toujours joué un rôle déterminant pour de nouvelles conquêtes sociales et-politiques. Elle doit en récolter naturellement les bénéfices, les retombées et non plus être utilisée comme de la chair à canon, l’agneau sacrificiel sur l’autel de la démocratie.
5ème axiome : « Il n’y a pas de honte à affirmer son identité, son appartenance ethnique, communautaire, mais c’est son exaltation qui est dangereuse pour la cohésion nationale », a coutume d’indiquer Prof et doyen Thierno Larria Diallo.
En effet, la cohésion sociale est, en effet, un impératif de survie pour toute nation et selon un adage rwandais, « là où deux éléphants se battent c’est l’herbe qui périt ».
Malgré cette mise en garde le Rwanda a connu un génocide chiffré à 800 000 pertes humaines selon les Nations Unies.
L'ethnostratégie est le cancer qui a gangréné, s’est métastasé dans la communauté nationale ; elle a impacté, clivé la jeunesse en Guinée et dans sa diaspora.
II) PROMOUVOIR LA CITOYENNETE AU SEIN D’UN ETAT RESTRUTURE
a) La citoyenneté repose sur l’esprit et le creuset républicains
Le changement est un mouvement perpétuel qui nous interpelle tous, jeune et ainés, à tout moment et en tout lieu comme en France notre lieu de résidence.
Mais la jeunesse ne doit pas se laisser embrigader, corseter dans des structures identitaires, elle doit éviter le dévoiement de l’esprit républicain, de la citoyenneté face au péril ethnocentrique et au regain du fondamentalisme religieux qui progresse dangereusement en Guinée.
La citoyenneté repose sur l’esprit et le creuset républicains, sur le sentiment d’appartenir à un groupement humain au destin commun, entrelacé.
J’estime que la République n’est pas une compilation d’intérêts catégoriels, identitaires, particuliers, mais une entité soucieuse de l’épanouissement équitable de tous ses citoyens.
« Res Publica » signifiait dans la Grèce antique, à Athènes, à Sparte, le bien commun, la chose publique qui appartient à tous, et non à une famille, à une dynastie ou à un groupement humain particulier.
« L’esprit de la République est la paix et la modération ! » prophétisait Montesquieu (1689-1755) et non la guerre, les conflits fratricides.
A ce sujet, j’ai deux questionnements qui me taraudent l’esprit :
- Comment concilier l’égalité et la différence, l’universel et le particulier ?
- Les affirmations identitaires sont-elles nécessairement porteuses de violence ?
La citoyenneté et l’ethnocentrisme sont, à mes yeux, deux concepts antinomiques : la citoyenneté s’inscrit dans une démarche inclusive tandis que l’ethnocentrisme est à la fois une dérive mortifère, une imposture électoraliste et le fonds de commerce des opportunistes et des médiocres atteint de cécité morale et intellectuelle face à une population en majorité analphabète et de surcroît en proie à une misère noire, au désarroi.
Je ne préconise pas la dilution des cultures dans une culture prédominante, mais encourage plutôt la diversité, l’interpénétration, l’osmose, l’imbrication, l’enchevêtrement culturels.
La jeunesse doit jouer un rôle salvateur pour le sursaut de l’esprit civique, pour favoriser, procéder, participer activement à une opération de désaffiliation ethnique de salubrité publique, à la promotion et la défense de l’intérêt général, de l’unité nationale.
b) Restructurer l’Etat non régulateur social, déliquescent et partial
« L’Etat doit assurer la régulation sociale sinon il génère des crises ; l’harmonie sociale se fait au prix d’une régulation, d’une redistribution équitable », selon moi.
Sinon, s’opérera le dangereux, le périlleux réflexe qualifié en anthropologie de « cercles concentriques et mouvants » : privilégier, au détriment de l’Etat en faillite, la famille et l’ethnie d’abord, le village ensuite et la région au final.
L’ethnie et la religion sont faciles à instrumentaliser, à manipuler : la faillite de l’Etat, la faiblesse de l’opposition et la corruption des élites étant leur terreau favori.
CONCLUSION :
La Guinée est notre patrimoine commun, un pays défini par le hasard de l’histoire et de la colonisation, par la grâce de Dieu, dirais-je plutôt. Aujourd’hui, chaque citoyen guinéen doit s’évertuer à une démarche commune, unitaire.
Grâce à la maturité du peuple guinéen, notre pays demeure un îlot de tranquillité, de paix, de stabilité dans un environnement fort agité. Certains pays portent encore les séquelles, les stigmates moraux et physiques d’une guerre civile fratricide, de violences post-électorales avec une forte connotation ethnique.
Par exemple, des Etats riverains de la sous-région tels le Libéria entre 1990 et 2003, la Sierra Léone entre mars 1991 et janvier 2002, le Sénégal avec l’irrédentisme casamançais depuis décembre 1983 et la Côte d’Ivoire dès le 19 septembre 2002.
Le spectre de la guerre civile interethnique est bien là comme une épée de Damoclès sur nos têtes. L’harmonie interethnique est un impératif de survie pour toute nation et il ne faudrait pas que nos compatriotes et notre jeunesse se trompent de combat, ni de colère !
Il est indéniable, irréfutable que la cause préjudicielle de la récurrente crise politique et économique que notre pays continue d’endurer, cette cause n’est que le fait de la mauvaise gouvernance, la prédominance d’une caste administrative, militaire, politique, affairiste, commerçante, « népotiste » qui s’est octroyée de juteuses rentes de situation et qui se bat avec acharnement, avec opiniâtreté pour les préserver au détriment d’une majorité de nos compatriotes démunis, précarisés, désemparés.
La Guinée est aujourd’hui confronté à de grands défis titanesques, pharaoniques à relever pour réparer les dégâts causés par nos gouvernants successifs. La demande sociale est forte et pressante : l’eau courante, l’électricité, le chômage, la santé, le système éducatif, la cherté de la vie, etc.
Par ailleurs, à cause de l’impunité et la violence politique, de nombreuses familles pleurent encore leurs morts, sont inquiètes pour leurs blessés ou des disparus. Il faudra apaiser les cœurs, soulager les consciences, recoudre les fractures d’une société fragilisée par un déficit démocratique, un relâchement des mœurs, une mauvaise gouvernance et un pouvoir autoritaire et autiste.
« Le pire ennemi de l’Homme est sa conscience ! », parait-il. Faisons en sorte de ne pas avoir mauvaise conscience demain sur le sort de la Guinée.
La nation guinéenne existe, puisque tous ceux qui y habitent se sentent Guinéens. En revanche, l'Etat n'existe pas, d'où le repli communautaire pour se sentir en sécurité, l'Etat ne joue pas son rôle de régulateur social, ne procure des promotions qu'au clan dirigeant et à une frange déterminée de la communauté nationale.
Les jeunes Guinéens doivent se prémunir de ce péril et surtout « mettre en accord leur idéal politique et leur ambition politique » comme suggérait mon « ami » sénégalais Dame N’Diaye.
Que Dieu préserve la Guinée !
Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 17 février 2013
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