Excision : Loué par les exciseuses, ce mode opératoire qui bouscule la vision de la lutte
Cohabitation entre tradition, exigence sanitaire et droits fondamentaux de la femme.
Une surprenante campagne enregistre depuis plus de dix ans l’un des résultats les plus satisfaisant de la lutte contre les mutilations génitales féminines en région forestière de la Guinée. Sous l'impulsion de Yôblè Doré, sage femme impliquée dans le bénévolat humanitaire, le village de Bossou, à 18km de la préfecture de Lola, et ses environs connaissent une nouvelle forme de lutte qui a pris le dessus sur la politique d’intimidation mise en place par l’administration centrale, car bien plus efficace.
Entreprise avec la collaboration «négociée » des femmes exciseuses et des autorités coutumières, la réussite de ce plan d’action contre l’excision, une première du genre, a été réfléchie et habilement menée en concertation directe avec toutes les communautés riveraines.
Rencontrée dans le cadre de la journée mondiale des femmes, Yoblê Doré nous apprend que : « Le seul fait que l’excision soit déclarée pénalement répréhensible ne pouvait avoir de réel effet sur le recul de la pratique sans mesures d’accompagnement murement réfléchies. Au contraire, c’était une façon d’inciter les excisseuses à tomber dans une espèce de clandestinité, une porte ouverte à tous les abus possibles. Je voyais difficilement nos villageois laisser tomber du jour au lendemain une tradition issue de la « forêt sacrée » où se transmettent des connaissances que l’école des blancs n’est pas en mesure de proposer à nos enfants. Mettre tout un pan de notre culture ancestrale sur la même ligne de mire que l’excision a été une erreur fondamentale à laquelle il fallait remédier au plus vite, d’où mon engagement dans mon village à associer toutes les exciseuses sans lesquelles toute initiative est vouée à l’échec. »
Dissocier l’excision du fait culturel
En amont, la politique contre l’excision a abouti par amalgame à la pénalisation excessive d’un fait culturel dont l’acte d’excision n’est qu’une étape…et pas la plus simple. Mais la détacher des traditions ancestrales demandait obligatoirement un effort d’information qui a fait défaut durant tout le branle-bas.
La stratégie mise en place dans le village de Bossou et ses environs a consisté à faire de l’apport de l’administration centrale, au delà de son contenu répressif, non pas un atout, mais un éventuel complément au cas où il se verrait proposé à la population. Dans cette dynamique, une entreprise d’information et de sensibilisation, confiée initialement aux autorités coutumières, qu’il a fallu au préalable laborieusement convaincre, a permis d’atteindre un large éventail de personnes concernées par les multiples retombées du rituel qui mène à la pratique de l’excision elle-même.
Le casting, clé du travail pédagogique.
La proximité au corps des femmes et de leurs intimités que lui confère son statut de sage-femme infirmière a été un atout essentiel dans le travail pédagogique de Yoblê Doré. Elle n’avait plus à aller chercher dans des brochures ou des dépliants des exemples pour illustrer les dangers presque irréversibles des mutilations sexuelles féminines. Ses patientes étaient là, toutes des femmes de la contrée, exciseuses comprises et venaient elles-mêmes lui offrir, par des faits prégnants, le constat des traumatismes physiques et psychiques liés directement à la pratique de l’excision. Cela va du vaginisme, l'impossibilité de pouvoir supporter une pénétration sexuelle, de la lésion des organes de voisinage (vagin, rectum, périnée, urètre), de la rétention d’urine, des douleurs aigues jusqu’aux accouchements avec de graves complications. Des diagnostiques que ces femmes qualifient très souvent de sortilèges venant de coépouses ou d’ennemies mal intentionnées, alors que les causes réelles sont liées à une pratique qui doit être abolie.
L’excision, vue comme une étape initiatique
L’excision, dans ces régions, est considérée à la fois comme norme sociale et, surtout, comme une étape cruciale d’un rite initiatique qui comprend le passage pour les filles d’une classe d’adolescente à celle de femme et ainsi d’être acceptées dans la classe sociale correspondante. Toute la difficulté consistait à pouvoir faire comprendre que cette tradition, plusieurs fois séculaires, précisément dans son volet « mutilation génitale », est à la base de séquelles sanitaires considérables, de décès et pour finir est un viole des droits fondamentaux des filles et des femmes.
L'avantage d'avoir une sage-femme, originaire de la localité et spécialiste du sujet, a été un atout inestimable qui a permis un abandon durable, à grande échelle, des mutilations ainsi que d’autres pratiques néfastes. Convaincre les femmes exciseuses de laisser cette activité était, non seulement un grand défi à relever, mais leur trouver plus tard un moyen de subsistance était devenu un sérieux casse-tête auquel la sage-femme bénévole a longtemps été confrontée.
Activités créatrices de revenus pour anciennes exciseuses.
L’abandon des cérémonies initiatiques a logiquement engendré un manque à gagner considérable pour les exciseuses qui avaient pris la décision de déposer les couteaux d’excision. Pour faire face à cette nouvelle difficulté, Yôblê s’est tournée vers une fondation scandinave, Olof Palmer, avec laquelle elle signa une convention d’appui sur plusieurs années, convention arrivée aujourd’hui à son terme. Cette prise en charge a couvert plusieurs activités de substitution proposées aux anciennes exciseuses. Parmi celles-ci, on recense aujourd’hui la pratique de nouvelles activités dans la localité comme la pisciculture, la saponification artisanale, la teinture, la fabrication de sac en raphia, la pâtisserie artisanale et la culture maraichères entre autres.
Le manque d’appui, principal danger
« La problématique est très simple. Ne rien offrir en retour à quelqu’un qui ne vivait que de l’excision comme activité principale après que cette personne ait accepté de s’engager avec nous dans la lutte contre ce fléau, c’est le condamner à mourir de faim. Voici une raison essentielle qui fait que nous considérons tout appui comme salutaire», nous affirme Yoblê lorsqu’on évoque le volet subvention des activités des personnes directement impliquées sur le terrain. Cette précision n’est nullement anodine, elle est volontairement à dessein dans la mesure où on constate aujourd’hui une pléthore d’associations qui font de l’excision un fond de commerce pour glaner des subventions d’une commune à l’autre. La générosité des âmes caritatives est ainsi polluée pendant que les ressources dégagées prennent un autre chemin que celui pour lequel elles sont destinées.
Inscrire le combat contre l’excision dans la durée
Le mode opératoire en pratique dans le village de Bossou, au regard de ses résultats, pourrait sans conteste, servir de source d’inspiration pour plusieurs localités de l’Afrique rurale. Le choix des intermédiaires et leur connaissance du sujet se présentent comme des critères essentiels en vue de l’adhésion des autorités coutumières, de la collaboration des exciseuses et de l’implication effective des populations citadines et rurales à la lutte contre toute forme de mutilation génitale féminine. Mais encore faudrait il que toutes les ressources humaines impliquées quotidiennement dans ce combat bénéficie de soutien au risque de voir son premier bilan s'inscrire dans le court terme.
Portée mondiale du problème des mutilations sexuelles féminines et de leur médicalisation (Source : Stratégie mondiale visant à empêcher le personnel de santé de pratiquer des mutilations sexuelles féminines)
Dans les pays africains, on estime à plus de 90 millions le nombre de filles et de femmes âgées de plus de 10 ans qui ont été mutilées ; environ 3 millions de filles risquent de subir ces mutilations chaque année. La pratique des mutilations est signalée dans toutes les régions du monde, mais elle prévaut particulièrement dans 28 pays d’Afrique et certains pays d’Asie et du Moyen-Orient. Suite aux migrations internationales, cette pratique et ses conséquences néfastes concernent également un nombre croissant de femmes et de filles en Europe, en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zelande.
Légendes photos :
Photo 1 : Yôblê Doré, sage-femme, coordinatrice de la lutte contre l’excision à Bossou, région forestière de Guinée (Conakry)
Photo 2 : Campagne de sensibilisation contre l’excision en milieu rural.
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