France: une Comorienne de 27 ans porte plainte pour viol contre le ministre de la Justice de son pays

Raanti A, une Comorienne réfugiée en France, a déposé plainte en France et aux Comores pour viols, agressions sexuelles et avortements forcés entre 2018 et 2022. Une dizaine de personnes sont citées, dont l'actuel ministre de la Justice de l’archipel. Au cœur d'un été caniculaire en France, le mercure franchit allègrement les 40°C dans le sud-ouest de l'Hexagone, mardi 12 août. La chaleur a beau être étouffante dans la maison de Raanti A., elle n'a pas empêché sa fille de réaliser une performance réservée aux très jeunes enfants : une sieste de trois heures. À peine réveillée, la petite Hannah, cheveux bouclés et regard pétillant, se jette dans les bras de sa mère. Mais la séance câlin ne dure pas : la jeune femme demande à son compagnon de l'emmener à l'étage, loin de la conversation qui s'annonce. « Je ne veux pas qu'elle entende », murmure-t-elle. Raanti A., 27 ans, comorienne d'origine, explique s'être réfugiée en France en 2022 pour fuir un passé désormais consigné dans deux plaintes - révélées par le quotidien Le Monde - et déposées en France puis aux Comores en juin dernier. Dans ces documents auxquels RFI a eu accès, Raanti A. affirme qu’une dizaine de personnes l’auraient soumise à des viols, agressions sexuelles, actes de violences volontaires, séquestration, traite d’être humain et avortements forcés. Aucun jugement définitif n'ayant été rendu, l'ensemble des personnes visées bénéficient, à ce stade, de la présomption d'innocence. La jeune femme est native de la Grande Comore, la plus grande et la plus peuplée des îles de l’archipel. Elle vit une enfance modeste dans une famille frappée par les tragédies. Sa mère, malade, ne travaille pas. Son père, commerçant, est cambriolé et ne s’en remet pas : criblé de dettes, il met la clé sous la porte. Il tente par la suite de rejoindre l’Europe, mais il meurt dans le naufrage de son embarcation au départ de la Grèce en 2012. Six ans plus tard, Raanti A. ne peut compter que sur elle-même pour financer sa troisième année d’étude à l’université de Moroni, mais elle est à court d’argent. Sur conseil de sa mère, elle sollicite alors l’aide financière du cousin de son défunt père qu’elle identifie dans sa plainte comme son principal agresseur. Cet homme âgé de 47 ans est actuellement en poste au secrétariat général du ministère de l’Aménagement du territoire des Comores. « Un grand frère influent dans la famille », selon la jeune Comorienne qui se rend à son domicile, un soir de 2018 : « Il a dit qu’il m’aiderait, qu’il m'accompagnerait, mais qu’il fallait quelque chose en contrepartie. D’un coup, il me pousse sur un matelas puis se positionne au-dessus de moi. Je suis en panique, je crie, je pleure. Il me répète "Ça va bien se passer, détends-toi" », raconte la jeune femme qui affirme subir un viol ce soir-là. « De retour chez moi, je me douche immédiatement, je me brosse le corps pour essayer de me débarrasser de son odeur. » Elle tentera le lendemain de mettre fin à ses jours en avalant les comprimés d’une boîte de médicaments. « J’ai reconnu son visage » Contacté à plusieurs reprises, le haut fonctionnaire n’a pas répondu aux sollicitations de RFI. Nous ne connaîtrons donc pas sa version des faits concernant les autres viols dont l'accuse Raanti A.. Car dans sa plainte, celle-ci explique qu'il aurait mis en place un cycle de violences sexuelles répétées à son encontre et qu'il l'aurait livrée à d’autres individus pour qu'ils la violent. « Il demandait à des personnes rencontrées au hasard ou qu’il connaissait si elles voulaient une fille, une femme, pour avoir des rapports. Et la plupart du temps, les gens acceptaient », raconte-t-elle. Ces agressions se seraient déroulées « dans des habitations isolées », une « voiture », « un cabanon », à Moroni, sur l’île d’Anjouan et jusqu’en Tanzanie où l’homme l’a emmenée une fois. À ces multiples traumatismes s’ajoutent d’autres actes insoutenables. La jeune femme affirme que le haut fonctionnaire l’aurait contrainte à l’interruption de huit grossesses issues de viols, dont l'une à six mois de gestation qui a nécessité une intervention chirurgicale « malgré [ses] supplications ». L’avortement demeure illégal aux Comores, sauf en cas de motifs médicaux graves constatés par écrit par deux médecins. Dans sa plainte, parmi ceux que Raanti A. accuse de l’avoir violée, des inconnus donc, mais aussi un nom bien connu du grand public : Anfani Hamada Bacar. Selon elle, l’actuel ministre de la Justice et des Affaires islamiques des Comores l'aurait violée à la même période, en présence du haut fonctionnaire dont il est proche. Celui qui est aujourd’hui Garde des sceaux était à l’époque député. « J’ai reconnu son visage, je le connais bien, je me souviens de chaque détail », soutient la réfugiée comorienne pour qui la nomination d’Anfani Hamada Bacar, en avril dernier, a eu l’effet d’un électrochoc : elle a déposé plainte deux mois plus tard. Sollicité par RFI, le ministre dit connaître la plaignante, affirme avoir pris connaissance de cette affaire « à travers des publications sur les réseaux sociaux », mais « conteste catégoriquement » l’accusation de viol. « Ces allégations sont totalement fausses et dénuées de tout fondement. Je n'ai aucune idée des motivations qui pousseraient cette personne à m'incriminer dans ces viols présumés », se défend Anfani Hamada Bacar dans une réponse écrite qu'il nous a adressée. « Je me sentais possédée » Lorsqu’elle se rend à la gendarmerie en France, le 13 juin 2025, Raanti A. tient à faire une mise au point à la policière qui recueille son témoignage : « Ce n’était pas seulement de la violence sexuelle, c’était une entreprise de domination complète de mon corps, de ma volonté, de ma liberté. » Une liberté réduite à néant car, selon la jeune Comorienne, le haut fonctionnaire mis en cause aurait installé progressivement une mainmise financière et psychologique sur sa vie. « Il a supprimé mes réseaux sociaux, changé mes mots de passe, confisqué mon téléphone, ma carte de crédit. Puis, il m’a interdit de voir des amis, d’aller à l’université. Je me sentais possédée. Je le suivais sans poser de questions. Je devais me taire et subir. Je pense qu’il avait peur que je finisse par en parler. » Selon Raanti A., l’aboutissement de cette emprise se résume en un document qu’elle tient à porter à notre connaissance. Il s’agit d’une copie d’un acte de mariage frappé des insignes officiels de l'État comorien et célébré par le cadi de Moroni - un magistrat musulman qui remplit des fonctions civiles, judiciaires et religieuses - en date du 18 novembre 2021 qui unit la jeune femme à celui qu’elle accuse. « Une mascarade ! », s’étrangle-t-elle. Même incompréhension du côté de Moudjahidi Abdoulbastoi, l’avocat comorien de la plaignante, qui dénonce un simulacre d’union réalisé sans le consentement de sa cliente : « Le mariage a été validé en l’absence de tuteur, de la soi-disant mariée et de sa famille. On ignore comment il a fait ». Raanti A. explique avoir gardé le silence durant trois ans avant de déposer plainte en raison de cette emprise exercée sur elle par l’homme dont elle dénonce les agissements, mais aussi pour protéger sa mère de toute menace aux Comores.

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