
Excision en Guinée : une pratique interdite mais toujours vivante dans l’ombre des traditions
Malgré les campagnes de sensibilisation, les lois votées par les autorités et les engagements pris au niveau national et international, la mutilation génitale féminine (MGF) continue de sévir dans plusieurs localités du pays. Dans certains villages, parler de l’abandon de cette pratique relève presque du tabou, tant les résistances culturelles restent fortes.
L’excision, officiellement interdite en Guinée depuis plusieurs années, demeure pourtant largement pratiquée dans les zones rurales. Des cérémonies d’initiation se déroulent souvent dans le secret, loin des regards extérieurs. Les familles, par crainte du rejet social ou de la honte, continuent de faire exciser leurs filles, convaincues qu’une femme non excisée serait impure ou indigne du mariage.
« C’est difficile d’en parler. Même dans certaines familles, le simple fait d’évoquer le sujet peut créer des tensions », confie Yarie Sylla, une habitante de Maférinyah, dans la préfecture de Forécariah. La pression sociale, l’influence des anciennes et la peur de rompre avec la tradition continuent d’alimenter le cycle.
Dans plusieurs villages, s’opposer à l’excision est perçu comme un affront à la communauté ou un acte de rébellion. Les vieilles dames qui exercent cette pratique jouissent d’un certain pouvoir spirituel et social. Certaines sont craintes au point que des militants préfèrent garder le silence, par peur d’être victimes de malédictions ou d’actes de sorcellerie.
« J’ai connu des jeunes qui ont été menacés après avoir dénoncé publiquement une cérémonie d’excision. On leur a dit qu’ils tomberaient malades ou que leurs familles seraient frappées par le malheur », raconte Kadiatou Barry, militante de la société civile à Conakry. Cette peur invisible entretient le silence et rend la lutte encore plus complexe.
Parmi ceux qui ont osé briser ce mur de peur, Mohamed Chérif, membre de l’ONG Guinéenne pour la lutte contre l’excision (GLE), a mené plusieurs années de campagne avec ses équipes dans les écoles, les radios communautaires et les villages. Leur objectif : convaincre les parents, sensibiliser les chefs religieux et offrir aux filles la possibilité de dire non.
« J’ai vu des enfants pleurer, j’ai entendu des mères regretter. Mais la peur est plus forte que la loi. Beaucoup de familles continuent d’amener leurs filles en cachette », témoigne-t-il.
Malgré ses efforts et ceux de nombreuses ONG partenaires, le phénomène persiste. Les cérémonies se déplacent, se cachent, se font parfois la nuit, dans des lieux reculés.
Par le passé, Moussa Camara, un ancien membre de cette même ONG, aujourd’hui réfugié à l’étranger, a lui aussi mené une lutte acharnée contre la mutilation génitale féminine en Guinée. Son activisme lui a valu des menaces de mort. Selon ses proches, il aurait même failli perdre la vie à cause de son engagement. « C’est grâce à ses amis et aux membres de son organisation qu’il a pu être sauvé et exfiltré », confie Younoussa Sylla, un ancien collègue.
Son histoire illustre les dangers auxquels s’exposent ceux qui osent dénoncer une pratique profondément enracinée dans les traditions locales.
La Guinée dispose pourtant d’un arsenal juridique clair : le Code pénal interdit toute forme de mutilation génitale féminine, et les contrevenants sont passibles de lourdes peines. Mais sur le terrain, l’application reste timide, souvent freinée par le manque de plaintes, le silence des victimes et la complicité tacite de certaines autorités locales.
Les militants demandent un renforcement de la sensibilisation communautaire, davantage d’implication des chefs religieux, et surtout une protection réelle pour ceux qui osent dénoncer. « Tant que les exciseuses seront craintes comme des puissances mystiques, et tant que les victimes auront peur de parler, l’excision continuera dans l’ombre », conclut un jeune militant.
La lutte contre les mutilations génitales féminines en Guinée n’est pas seulement juridique : elle est culturelle, spirituelle et sociale. Changer les mentalités prendra du temps, mais la voix des jeunes militants, des femmes survivantes et des éducateurs continue de se faire entendre. Et même si la peur et les croyances persistent, l’espoir demeure : celui de voir, un jour, naître une génération de filles libres, respectées et préservées de cette violence ancestrale.
Ce reportage a été réalisé par la rédaction de Guineebiz.com durant le mois d’août, période des vacances scolaires, moment où de nombreuses familles profitent pour organiser les cérémonies d’excision dans plusieurs localités du pays.
Ibrahima Sory Traoré, pour Guineebiz.com
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