Nafissatou Diallo vs DSK : David contre Goliath

On s’y attendait. Après les folles semaines de la descente aux enfers de
Dominique Strauss-Kahn (DSK), ce fut au tour de Nafissatou Diallo de subir
la brutalité de la justice américaine. Une mécanique aveugle qui s’emballe à la
moindre rumeur.

Nafissatou est prise en étau entre le procureur du comté de New York, Cyrus
Vance Jr, qui s’est empressé de vouloir accrocher le scalp de l’homme le plus
puissant de la planète, Strauss-Kahn, à son tableau de chasse, et l’avocat de
DSK, Benjamin Brafman, le ténor du barreau américain, défenseur des barons
de la mafia et des dealers de drogue, qui a juré de remuer ciel et terre pour
décridibiliser le témoignage de Nafissatou.

Après avoir accablé DSK, le balancier est revenu en sens inverse à la suite
d’un article sensationnel du New York Times (NYT), le plus grand et le plus
sérieux quotidien américain, paru la veille du 1er juillet 2010, date fixée pour
la première audience au tribunal du comté de New York. Ce journal affirme
que les enquêteurs ont découvert « des lacunes majeures dans la crédibilité » de
Nafissatou Diallo.

Et c’est pourtant le même NYT qui avait lancé aux trousses de Nafi sept de
ses meilleurs journalistes d’investigation. Pendant plusieurs semaines, ces fins
limiers ont passé au crible et au peigne fin la vie de la malheureuse. Ils ont été
en Guinée et jusqu’à Tiakoulé, son village natal, aux confins du Fouta Djallon.
Ils ont parcouru tout son itinéraire de Conakry jusqu’à New York pour rejoindre
sa sœur, interrogé ses voisins, ses fréquentations, ses différents employeurs…
Résultat, ils n’ont rien trouvé qui puisse incriminer Nafissatou. Après quoi,
ils ont publié, fin juin, une longue enquête, très élogieuse sur elle. On peut se
demander aujourd’hui si ces journalistes professionnels ne sont que des pieds
nickelés, après les révélations d’un autre quotidien de la presse people, dite
trash, c’est-à-dire la presse de caniveau, le New York Post. Celui-ci affirme
que Nafissatou est une prostituée qui cherche à extorquer des sommes d’argent
pharamineuses à l’ex-Directeur général du FMI.

L’avocat de DSK, Benjamen Brafman, a attaqué froidement. Connaissant à fond
le système judiciaire américain, il sait qu’il suffit de prouver que Nafissatou
a menti sur sa vie pour pouvoir s’installer aux Etats-Unis pour que tout le
témoignage de celle-ci s’effondre. Tous les juristes et les spécialistes l’avaient
prédit : « Ils vont chercher dans sa vie pour voir si elle a menti pour obtenir le
titre de séjour aux Etats-Unis. S’ils trouvent quelque chose, elle est perdue ».

Pour obtenir le statut de réfugié politique, elle a suivi le cheminement classique

que nous avons tous emprunté, à savoir invoquer l’univers concentrationnaire
guinéen sous les régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté, le viol et les
mutilations génitales pour les femmes. Je lance ce défi christique : « Que
l’Américain ou l’Américaine qui n’a jamais menti dans sa vie lui jette la
première pierre ! ».

Les partisans de DSK se sont précipités sur les déclarations du Sénégalais dit
Blake Diallo pour voler au secours de leur champion. Diallo a dit que Nafissatou
est sa « sœur », alors qu’il est son ami. Une peccadille ! Dans la diaspora, nous
sommes tous frères et sœurs.

Nafissatou a déclaré avoir deux enfants au lieu d’un pour bénéficier des
aides sociales et qu’elle avait été violée par les forces de l’ordre de Lansana
Conté en Guinée pour obtenir le statut de réfugiée. Sur ces deux points, elle a
reconnu « avoir exagéré ». Cela n’entraîne pas ipso facto qu’elle n’a pas été
victime de tentative de viol de la part de DSK.

L’argument essentiel de la défense de DSK repose sur l’entretien que Nafissatou
a eu, le lendemain de l’agression, avec un ami sierra-léonais en prison. Dans
sa détresse, elle a cherché à se raccrocher à la première bouée de sauvetage, en
l’occurrence les amis. Les Fulanis nigérians sollicités pour traduire cet entretien
en ont fait une mauvaise traduction. Il faut savoir que le poular, la langue des
Peulhs (appelés ainsi par les Ouolofs du Sénégal, appelés aussi Foulah par les
Mandingues, Foulè par les Soussous et Foulbhè tel qu’ils se nomment eux-
mêmes) est parlée du Cap Vert au Sénégal jusqu’au Cap Guardafi dans la
Corne de l’Afrique à l’est du continent. Sur cette vaste étendue, les variances
dialectales sont nombreuses, au point que les uns et les autres se comprennent
difficilement. Une meilleure traduction de l’entretien établit aujourd’hui que
Nafissatou a certes évoqué le pouvoir de DSK, mais n’a jamais parlé de l’argent
qu’elle pourrait obtenir de lui. C’est ce faux argument que le procureur, Cyrus
Vance Jr, a invoqué pour discréditer la parole de Nafissatou et qui lui a permis
de remettre en liberté DSK lors de l’audience précipitée du 1er juillet.

Un procureur qui s’est révélé faible, indécis et peu fiable, qui varie au gré des
arguments de l’un ou de l’autre protagoniste de cette affaire. Au point que la
défense de Nafissatou demande à l’heure actuelle le dessaisissement de Cyrus
Vance Jr et la désignation d’un nouveau procureur. Ce n’est pas parce qu’on
est le fils de l’illustre Cyrus Vance, ancien Secrétaire d’Etat du Gouvernement
des Etats-Unis qu’on est soi-même Cyrus Vance. Et le prophète de l’Islam
a eu raison de condamner les dynasties car il se trouvera toujours dans la
descendance quelqu’un qui n’est pas à la hauteur de la charge dont il hérite.

Face aux indices matériels irréfutables, la presse trash n’a trouvé comme

seule porte de sortie que d’alléguer qu’il s’agirait d’une relation consentie.
Consentie ? L’état de choc de Nafissatou après l’agression dûment constaté par
le Dr Susan Xenarios, directrice du Centre de traitement des victimes de crime
(CTVC) de New York, les traces de liquide séminal de DSK retrouvées sur le
col du tablier de Nafissatou et sur le parquet de la chambre, les griffures sur le
torse de l’agresseur, tout cela prouverait que la relation est consentie ? Allons !
Comme l’affirme un dicton peulh : « celui qui est tombé trouvera toujours un
prétexte pour se relever ».

En France, on entend dire que DSK serait tombé dans un piège tendu par les
services secrets français, commandité par l’Elysée, en connexion avec la police
new-yorkaise et le groupe français Accor, propriétaire de l’hôtel Sofitel, dont le
PDG est un ami de Sarkozy. La preuve, dit-on, celui-ci a décoré récemment le
chef de la police de New York (le NYPD) de la Légion d’honneur. Une histoire
qui n’est crédible que dans les romans d’espionnage.

Les « révélations » du NYT ont ouvert la brèche dans laquelle s’est engouffrée
la presse trash telle que le New York Post qui accuse Nafissatou d’être une
prostituée. Sans la moindre preuve.

Si Nafissatou était réellement ce genre de femme, elle n’aurait pas habité un
quartier populaire dans le Bronx, dans un immeuble déglingué réservé aux plus
démunis. Elle aurait évolué dans les quartiers chics pour faire prospérer son
commerce. Sans compter que l’avocat Brafman peut parfaitement fabriquer des
preuves, comme on le voit dans les affaires liées à la mafia qu’il a coutume de
défendre.

Même un journal sérieux comme le quotidien français Le Monde a suivi la piste
ouverte par le NYT et a titré « Nafissatou aux deux visages », dans sa livraison
du 2 juillet 2011. En revanche, le quotidien de droite Le Figaro a indiqué que,
d’après l’analyse des cartes magnétiques et contrairement à ce qu’a affirmé
la presse américaine, Nafissatou n’a pas nettoyé une autre chambre après son
agression.

L’avocat de Nafissatou, Kenneth Thompson, contre-attaque à son tour. Il a livré
la version intégrale des faits selon les témoignages des collègues de la femme
de chambre, de la direction de l’hôtel, des services de police de New York
et du Dr Susan Xenarios. Il a été obligé, dit-il, de donner les détails sordides
de l’agression. Après avoir quitté précipitamment la suite 2806 de DSK, elle
s’est réfugiée très brièvement dans la chambre voisine 2820, inoccupée. C’est
là que la gouvernante l’a trouvée, prostrée, totalement sonnée, et l’a conduite
dans la suite où le crime a eu lieu pour qu’elle lui relate les faits. Ces éléments
sont parvenus au procureur Cyrus Vance Jr après qu’il ait remis en question la

crédibilité de Nafissatou. Voilà qui accrédite encore une fois la légèreté de ce
magistrat.

Transportée à l’hôpital, des traces évidentes de violence ont été constatées sur
ses parties génitales. L’avocat de Nafissatou, Kenneth Thompson, a alors porté
plainte contre le New York Post qui l’a traitée de prostituée.

Le procureur Cyrus Vance Jr, qui s’est laissé dépasser par la « frénésie de
l’affaire », comme le dit la presse, a fait libérer DSK. Dans la foulée, l’avocat
Brafman a déclaré que Vance va abandonner les charges contre son client. C’est
aller un peu vite en besogne. Pour l’heure, ces charges sont maintenues. Cyrus
Vance Jr a fait reporter l’audience qui était prévue le 18 juillet au 1er août, puis
au 23 août, preuve qu’il veut désormais être plus serein et mieux mesurer ses
décisions.

Entre-temps, la plupart des journaux qui avaient accablé Nafissatou ont fait
amende honorable. Le Monde a dépêché à New York une envoyée spéciale,
Marion Van Renterghem. A l’issue d’une enquête approfondie, elle a publié un
article, le 6 juillet 2011, dans lequel elle établit formellement que la thèse de la
tentative de viol est crédible.

Nouveau retour du balancier. La presse populaire se rengorge : « Et si elle
n’avait pas menti sur tout ? », titre France Soir, le 7 juillet 2011.

Après une interview retentissante à la chaîne de télévision américaine ABC, le
25 juillet, et à l’hebdomadaire Newsweek, le magazine le plus vendu au monde,
Nafissatou reprend l’avantage. Mieux encore, pour la première fois, elle apparaît
en public, le 28 juillet, au Centre culturel chrétien du quartier populaire de
Brooklyn, au cœur de New York.

Sur l’estrade, elle est entourée de ses avocats Kenneth Thompson et Douglas
Wigdor, ainsi que du pasteur A. R. Bernard, directeur du centre. Derrière eux,
une cinquantaine de membres du United African Congress, qui défend les
intérêts des immigrés africains aux Etats-Unis, du New Black Panther Party (qui
nous rappelle les anciens Black Panthers tels que Rap Brown, Elridge Cleaver
ou Stokely Carmichael, époux de l’impératrice de la chanson africaine Myriam
Makeba, mort en Guinée – ces hommes dont l’engagement et l’action ont permis
l’élection de Barack Obama à la magistrature suprême des Etats-Unis), et des
100 Blacks in Law, le syndicat des policiers noirs de New York.

Dans la salle, plus de 150 journalistes du monde entier. Nafissatou est apparue,
grande, ronde et majestueuse dans un tailleur pantalon noir et chemisier blanc.
Dans une allocution impeccable d’environ cinq minutes, encouragée par

Kenneth Thompson, elle a paru plus convaincante que jamais en décrivant son
calvaire dans des termes simples mais saisissants.

Mais il ne faut pas se faire d’illusion. Face au puissant lobby juif, Nafissatou ne
peut pas gagner au « pénal ». DSK sera sans doute acquitté. Cependant, Kenneth
Thompson ne baisse pas les bras. Il va attaquer l’agresseur au « civil ». Et Nafi
n’aura pas tout perdu. Comme dans le récit biblique, David finira par triompher
du monstrueux Goliath.

Alpha Sidoux Barry
Conseil & Communication International (C&CI)

Commentaires