In Memoriam Adieu, mon cher Gouspin ! Par Alpha Sidoux BARRY

J’ai appris avec stupéfaction et une douleur indicible la disparition brutale
d’Almamy Ibrahima Barry, décédé le mardi, 6 septembre 2011, à la clinique
Sainte-Marie d’Abidjan en Côte d’Ivoire, des suites d’une crise cardiaque
fulgurante, dans sa 66ème année. C’est une perte cruelle et irremplaçable pour
l’ensemble de la communauté guinéenne. Un homme exceptionnel s’en est allé,
qui n’a malheureusement pas eu l’opportunité de donner la pleine mesure de ses
remarquables capacités.

Nous étions arrivés au Lycée Classique et Moderne de Labé au lendemain de
l’indépendance de la Guinée, à la fin d’octobre 1958, à l’âge de 12-13 ans. A
l’époque, on allait au lycée et à l’internat dès la première année de collège.

D’entrée, il avait formé un trio indissociable avec deux autres de nos
camarades, Doura Diallo, le futur « Shaft », décédé en 2009 à Paris, et Sow
Souleymane « Sorel », qui sera, comme lui, haut fonctionnaire à la BAD, la
Banque Africaine de Développement. On n’a jamais vraiment su comment il a
reçu le surnom de Gouspin. Mais, il l’avait adopté et assumé officiellement.

Parmi nous, il a été l’un des tout premiers, avec Shaft et Sorel, à partir pour
l’étranger, dès après le Bacc. à la fin de 1965, pour échapper à l’univers
concentrationnaire sékou-touréen, chemin que la plupart d’entre nous
emprunterons dans les 4 à 5 années suivantes. Pour lui, ce fut d’abord
l’Université de Dakar au Sénégal, puis, après les grèves de mai-1968, celle
de Grenoble en France où il accomplira un cursus complet en sciences
économiques.

Il se marie alors avec une compatriote malienne, Aimée, et décide aussitôt
de rentrer en Afrique. « En Europe, on vit dans l’anonymat total, sans aucune
identité sociale », me confiait-il à son arrivée à la BAD à Abidjan, en 1973. Il
tenait à mettre ses compétences au service du développement du continent.

En reconnaissance de l’affirmation de son efficacité et de ses qualités
professionnelles, il gravira bien vite tous les échelons de la hiérarchie au sein
de cette grande institution, jusqu’au rang de Représentant résident de la BAD
à Rabat au Maroc pour toute la région Afrique du Nord, puis à Yaoundé auCameroun pour toute l’Afrique centrale, ensuite à Addis Abeba en Ethiopie
auprès de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA),
de l’OUA et du Gouvernement éthiopien, avant d’achever sa carrière au sommet
de la Banque à Abidjan, juste aux côtés du président de celle-ci, Babacar
N’Diaye.

Durant ce parcours, il a assumé, cumulativement, les charges d’administrateur
de la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC) et
de la Banque de Développement des Etats des Grands Lacs (BDEGL), ainsi
que celle de membre du Comité d’évaluation de l’aide du Comité d’Aide au
Développement (CAD) de l’OCDE.

Malgré l’obligation de réserve à laquelle sont soumis les hauts fonctionnaires
des institutions internationales, il avait jeté toutes ses forces dans la lutte de
l’opposition guinéenne contre la dictature et pour l’instauration d’un Etat
démocratique et la reconstruction de la Guinée.

Descendant en droite ligne de Karamoko Alfa mö Timbo, fondateur de
l’Etat théocratique du Fouta Djallon au XVIIIème siècle, il incarnait les
valeurs inaliénables et universelles de nos aïeux. On le voit bien dans le
mémorable « Message d’espoir » qu’il avait adressé à la nation guinéenne, à la
veille de l’élection présidentielle de 2010 et dans lequel il dressait le portrait
du Président dont la Guinée avait besoin. Il avait, à cette occasion, créé un parti
politique, le Front Patriotique Guinéen (FPG).

« La Guinée a besoin, écrivait-il, d’un homme :

Qui porte le vent du changement, échappe aux calculs des hommes
politiques traditionnels et qui se place en dehors des querelles intestines
de politiciens basées sur des décennies d’intolérance.
Qui soit porteur d’une histoire, d’une tradition, et qui symbolise une
ère marquée par la préservation de l’unité nationale, de l’équilibre
interrégional.
Qui symbolise un nouvel ordre économique indispensable pour le
développement de la Guinée.
Qui soit capable de renouveau moral pour ne s’être jamais compromis
avec les clans qui ont dilapidé les ressources du pays.
Qui soit l’homme d’un septennat de paix, de concorde nationale, de
relance de la machine économique et de correction de la fracture
sociale. »

L’homme que nous avons aujourd’hui à la tête de la Guinée est aux antipodes
de celui qui est ainsi décrit. Cet homme-là qui navigue à vue, sans aucune
perspective, sans une vision à long terme, va tout droit dans le mur et en
klaxonnant. Pauvre de nous !

Je déplore amèrement que des hommes comme Almamy Ibrahima Barry
n’aient pas pu accéder aux commandes de l’Etat pour « répondre, disait-il,
aux aspirations des Guinéens et satisfaire leurs espérances par la mise en
œuvre de mesures concrètes immédiatement perceptibles. »

Le Très-Haut en a décidé ainsi. Puisse-t-Il l’accueillir en son sein et au
royaume des bienheureux. Qu’il repose en paix au cimetière de Mamou où il
a été inhumé ce 10 septembre 2011.

Je présente mes condoléances attristées à sa femme Aimée, à leurs quatre
enfants, à toute la famille et à toute la nation guinéenne endeuillée.

Alpha Sidoux Barry

Conseil & Communication International (C&CI)

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