L’opposition guinéenne que je redécouvre: merci Mr. Sidya Touré.

Le dimanche 22 juillet 2012, dans le cadre de la "Maison d’Afrique ", sise au 7, rue des carmes dans le 5è arrondissement de Paris, j’assistai à la rencontre organisée par Mr Sidya TOURE. Cet espace dont la dénomination est sans équivoque en ce qui concerne son soutien aux mouvements pour l’avènement de la démocratie dans ce continent martyrisé par ses propres enfants, est un cadre idéal pour des échanges intellectuels fructueux. En effet ceux ci se reconnaissent, aussi ahurissant que cela puisse paraître, des égos surdimensionnés, dans le fond éphémères et corrosifs, obstruant toute réflexion ou tout souci d’un avenir collectif. Car ce nombrilisme inconscient se traduisant par les éparpillements des efforts, des compétences, la discipline dans la construction d’une œuvre commune, la simple et élémentaire communauté de destin, constitue une terrible menace pour l’unité nationale en Guinée sans laquelle il est utopique de parler d’avenir terrestre nous concernant. Cet espace a été gracieusement prêté par la célèbre maison d’éditions « l’Harmattan ».

J’avoue, qu’en y allant, je ne me faisais aucune illusion, tant les précédentes rencontres, se résumant à des réquisitoires démoralisants au détriment de l’analyse objective du problème de fonds dont l’examen désintéressé et la solution matérielle conditionnent l’avenir de notre pays, m’avaient exaspéré. Pour moi, celui-ci se ramène à « Pourquoi la Guinée continue-t-elle de vivre encore une situation politique d’exception qui l’enfonce de plus en plus dans la préhistoire de notre humanité, en ces temps féconds où les peuples qui sont restés les réfractaires les plus irréductibles depuis des millénaires à toutes formes de changements institutionnels, acceptent aujourd’hui de mourir volontairement pour voir naître la démocratie chez eux? ». Progresser est le propre de l’homme, un principe élémentaire dont la portée morale n’échappe à personne de nos jours.

Par ailleurs, en y allant j’étais aussi fort riche de préjugés, de caricatures, d’idées reçues, véhiculés et amplifiés par un discours ambiant omniprésent, à la limite lancinant sur « l’irresponsabilité de l’opposition guinéenne, son incapacité à faire front commun, sa dispersion ethnique, les luttes corrosives rendues possibles par les rivalités d’intérêts individualistes de bas étage ». Une telle information induisant un état d’esprit particulier se révèle être, après avoir écouté notre conférencier, une redoutable intoxication politique qui décrédibilise gratuitement, donc anéantit en en profondeur les efforts et la portée du travail collectif de cette opposition. Il n’échappe à personne cependant que les capacités individuelles et sectaires, ont tôt fait de montrer leurs limites. Nous sommes alors nourris depuis des décennies de « cette culture politique qui ne consiste à voir que le mauvais côté de l’action de l’autre et de ne voir le bien et la compétence que chez soit ». Une terrible imposture intellectuelle se ramenant à de coupables jugements de valeur qu’il convient de dépasser aujourd’hui que le temps file à une vitesse qui a tôt fait de nous échapper.

Intellectuellement, moralement et politiquement, une telle démarche que je dénonce avec véhémence est, à mes yeux, suicidaire. Elle nous conduit à tuer, plus exactement à détruire chez nos compatriotes, par leur non reconnaissance, les ayant effacé inconsciemment de notre mémoire, toutes les capacités et valeurs qu’ils recèlent et dont notre peuple a besoin comme de son oxygène pour respirer. Cet esprit suicidaire nous empêche encore de comprendre que la première bagarre politique, celle qui commande à toutes les autres, est la bagarre pour la mise en place d’institutions républicaines salutaires pour tous en Guinée. Bref, me semble-t-il, un état d’esprit qui influence plus ou moins tout guinéen qui se soucie de ce qui se passe dans le pays, donc qui influence tous les guinéens. En somme, en cette période de ramadan ensoleillé à Paris, c’était, pour moi, une autre façon de passer le temps que d’assister à une nouvelle rencontre de ce type. Par ailleurs, j’étais aussi conscient que rien ne remplace l’expérience vécue, et au-delà, le contact humain.

La salle était comble quand j’arrivai à l’heure, s’il vous plait, ce qui a le mérite d’être signalé, les retards d’une ou de trois heures dans nos assemblées ne constituant aucun « handicap » et faisant partie de nos mœurs quotidiennes (1). Je pus déduire tout de suite, vu la qualité de certaines présences que je vis et qui connaissaient sûrement la valeur intellectuelle et morale et étaient habituées aux analyses pertinentes du conférencier, que je pouvais être agréablement surpris. Je peux dire, après avoir écouté Mr Sidya TOURE, que j’ai gagné mon salaire.

Non seulement j’ai pu rencontrer un homme qui agit, qui veut agir, au- delà des spéculations intellectualistes assommantes auxquelles on nous avait vraiment habituées, mais aussi un homme connaissant ses dossiers et qui aborde avec lucidité le problème de fond de notre pays, la Guinée. Les thèmes qu’il a abordés en constituent un témoignage éloquent, même si les questions qui lui ont été adressées trahissaient par moment un décalage frustrant avec le contenu de son exposé concis et bien structuré, de même que la réelle densité qu’il me semble avoir perçue de sa perspective politique. Aussi je ne toucherai pas aux questions économiques et financières qu’il a traitées avec une maitrise convaincante, mais m’attacherai aux questions sociologiques et institutionnelles, tout autant déterminantes, qui relèvent de ma compétence.

Ce ne fut pas un réquisitoire contre Pierre ou Paul ou un discours simplement valorisant d’un parti politique, en l’occurrence le sien, ce qui aurait été de bonne guerre tout de même, que j’ai entendu. J’ai écouté et suivi avec beaucoup de profit un appel désintéressé, désespéré par moment, en faveur de la mobilisation des guinéens de tout bord autour de problèmes communs qui interpellent la ou les responsabilités de chacun quelle que soit son affiliation partisane. L’appel en faveur de la prise de conscience de ce que nous avons et devons obligatoirement faire en commun pour assurer à notre pays un avenir permettant aux guinéens de vivre ensemble, me semble être la première obligation d’un leader politique. Cette conférence ayant mis au centre de sa problématique ce souci majeur, a alors été fort rassurante pour moi et a décuplé mon intérêt.

L’ambiance intérieure du pays que je connais pour l’avoir vécue, a été décrite par notre conférencier avec une objectivité qui ne m’a pas échappée (2). Elle se ramène encore à cette situation politique d’exception dont j’ai parlée ci-dessus dans ma problématique, celle dans laquelle se meut actuellement une société guinéenne désarticulée au sein de laquelle, objectivement, l’opposition guinéenne ne peut trouver les points d’appui indispensables, enfermée qu’elle est dans de redoutables contingences matérielles paralysantes et négatrices d’avenir. Elle a été mise en place depuis 1958 comme une forme efficace de gouverner le pays dans une totale impunité et dans la longue durée. Elle se caractérise par un manque total d’institutions légales qui garantissent et légitiment à la fois la naissance et le respect de toutes formes de droits reconnus aux citoyens guinéens, mais aussi et surtout, de la naissance et de toute action d’une opposition politique crédible et responsable.

Il est ahurissant de constater que de nos jours, c’est encore cette situation archaïque et déshumanisante qui perdure en Guinée sous la présidence d’un intellectuel, qui plus est, un professeur de droit, à ce que l’on nous a dit. Un tel pouvoir politique en exercice sur lequel le peuple n’a aucune possibilité légale et institutionnelle de contrôle, est un pouvoir dangereux à terme car il risque, comme ce fut le cas des gouvernements successifs au cours des années qui ont suivi l’indépendance de notre pays jusqu’en 1984, de prendre leurs dérives et de les présenter comme des « éclairs de génie politiques». Des « éclairs de génie politique » que des régimes militaires très peu inspirés ont perpétué en Guinée à la faveur d’un coup d’Etat sans nom, jusqu’à l’élection présidentielle qui, pour tout le monde, était porteuse d’espoir. Encore une fois le peuple de Guinée a été trompé comme il l’a toujours été depuis le 2 octobre 1958.

Je pense personnellement que le pouvoir, la propriété naturelle de tout le peuple de Guinée, lui a été dérobée progressivement, lentement mais sûrement, par la destruction systématique de sa Raison, sur la base d’arguties ethnicistes, hautement passionnelles ne résistant à aucune logique intellectuelle, morale ou civique au cours de toutes ces longues et difficiles années. Il est alors logique et légitime, que de nos jours, à travers le combat d’une opposition responsable, en ce moment le seul outil politique dont il dispose, que le peuple de Guinée se réapproprie de son dû, pour en déterminer la ou les destinées. A l’exemple de ce que les guinéens de ma génération ont vécu, début d’études primaires en octobre 1958, suivi des études secondaires et de l’enseignement supérieur pour s’achever par ma carrière de professeur à Kissidougou de 1976 à 1981 date à laquelle je suis sorti de la Guinée, je peux affirmer que les guinéens ont souffert à l’indifférence de tout le monde.

Aujourd’hui, les guinéens doivent se battre collectivement afin de mettre en place les institutions solides et humainement souples qui leur reconnaissent les droits fondamentaux naturels et inaliénables qui sont les leurs et qu’ils puissent en jouir pleinement, comme il sied à tous les peuples de la terre. Or si l’actuel gouvernement leur refuse délibérément cet accès historiquement légitime, ils doivent réaliser aujourd’hui, que la seule force politique qui lui permettrait à très court terme de réaliser cet idéal, quel que soit ce que l’on peut lui faire comme reproches, c’est l’opposition, et qu’ils doivent, en toute connaissance de cause, choisir celle-ci. Seule une assemblée nationale responsable élue au suffrage universel est l’outil indispensable, comme l’a fait remarquer à très bon escient notre conférencier, pour ramener le débat au niveau du parlement, de représentation nationale, confisqué qu’il est depuis des décennies, et encore, par la rue. Ce droit du peuple ne peut être confié à un individu. Seule la gestion des biens publics peut être confiée au président de l’exécutif, quelles que soient par ailleurs les autorités légales qu’il faille lui reconnaitre pour lui faciliter son travail.

Les guinéens ont en commun des responsabilités vis-à-vis de leurs vies, de celles de leurs enfants, du respect et de la solidarité avec le voisin, de leur diaspora (3), de la recherche de l’amélioration de leurs conditions matérielles d’existence et l’aptitude, par des institutions souples et solides, comme celles de la 5è république française, à contrôler l’exercice du pouvoir exécutif confié au président de la république. L’opinion internationale a, par exemple, assisté médusée et impuissante, aux viols collectifs diurnes dans les rues de Conakry et aux massacres de populations qui ont ponctué la reprise, par la force, du pouvoir par les militaires après la mort de Lansana CONTE. L’arme du peuple, sa seule arme légale traduisant sa puissance, son respect et sa souveraineté, c'est-à-dire sa capacité à confier le pouvoir à des personnes dont la moralité et le patriotisme sont bien établis, et ceci n’échappe pas à ceux qui gouvernent le pays, c’est l’assemblée nationale qui parle et agit en son nom. Refuser les élections législatives, c’est refuser au peuple de Guinée de jouir de sa représentativité, c'est-à-dire lui refuser toute existence réelle et juridique, exactement comme ce fut le cas dans l’ancien régime, qui refusait à un citoyen guinéen sa carte d’identité nationale, ce qui équivaut à la négation juridique de son existence objective. C’est une erreur politique et historique gravissime qu’il ne convient pas de perpétuer ou de reproduire quelle qu’en soit la forme nouvelle. Les temps ont changé, les autorités politiques et administratives ne peuvent plus continuer à museler les guinéens. Première leçon que j’ai tiré des propos de notre conférencier.

Aussi, dans son analyse de la structuration de l’opposition, ce ne fut pas une tribune de dénigrement d’un parti politique d’opposition contre un autre parti politique, mais encore une invitation à une vue de longue portée pour définitivement sortir de ce cercle infernal de la politique de courte vue dans laquelle nous avons été moulés depuis 1958. Une telle vision enferme, de mon point de vue, le guinéen à son insu, dans un rôle actif en faveur de ce qui a toujours constitué la force motrice de la politique de destruction sociale mise en place chez nous depuis des décennies et le conduit à tirer inconsciemment une euphorie inexplicable de sa propre autodestruction. La présence de Mr Oury BAH, le vice président d’un parti politique concurrent aux côtés de Mr TOURE, sur son invitation, est une preuve de la vision collective de l’action de l’opposition qu’il a affirmée.

De ce point de vue, pour ma plus grande satisfaction, il m’est apparu que notre conférencier a une conception « UNE » de l’opposition dans son activité quotidienne, ses perspectives, dans l’objet qui légitime son existence dans le temps et dans l’espace, « l’avenir de notre pays ». L’ouverture ou plus exactement la prise de conscience par l’opposition que le refus délibéré de la consultation par le pouvoir qui prolonge l’atmosphère chaotique induite par l’absence d’institutions démocratiques, rendant son travail et sa mission quasi impossibles dans le contexte sociologique désarticulé dont j’ai déjà parlé, est un motif sérieux pour que l’opposition elle même fasse peau neuve, qu’elle fasse preuve de dépassement ou alors qu’elle avoue son irresponsabilité et qu’elle s’efface. C’est par des institutions légales, fonctionnelles que l‘opposition peut avoir une existence efficiente et légitime. Or c’est en réunissant ses forces pour l’instant qu’elle peut parvenir à cette fin. Si elle ne le fait, pour des motifs difficiles à justifier, je pense qu’elle serra à l’origine de sa propre destruction.

La nécessité pour que l’opposition soit « UNE » me conduit à recommander une astreinte à une discipline de fer de cette myriade de leaders politiques actuels dont la cacophonie ne permet pas une réelle intelligence de leurs messages. Car le multipartisme dans le contexte sociologique chaotique et émietté qui caractérise la vie chez nous, est à mes yeux, une mise de la charrue avant les bœufs. Aujourd’hui, tous les guinéens quelque soit la couleur politique, ethnique, religieuse… dont ils se réclament, doivent prioritairement se battre pour la mise en place d’institutions permettant de contrôler les abus de l’exécutif. Ils ont collectivement besoin de se sentir chez eux, de bénéficier de la sécurité pour leurs biens et pour leurs enfants, de l’instruction et la santé pour tous, de l’ouverture vers l’autre et par-dessus tout, de renouer avec la valeur cardinale qui a fait la particularité et la grandeur de nos traditions séculaires, le respect de la femme. Seules des institutions démocratiques peuvent en être la garantie durable. C’est à ce moment, et à ce moment seulement, que le multipartisme lui-même peut être garanti et recouvrer l’efficacité à laquelle il aspire.

Conclusion.

J’ai été frappé, dans la salle par la pertinence d’une question d’un intervenant qui a demandé à Mr TOURE, « Comment l’opposition peut – elle faire comprendre son message démocratique à une population guinéenne à 90% analphabète ? » Sous entendu comment conduire un tel peuple à comprendre la nécessité d’inscrire la vie politique guinéenne dans une ambiance marquée par la fonctionnalité d’institutions démocratiques. Demander à un tel peuple de réaliser une telle œuvre, revient à demander à un fellah de l’ancienne Egypte de construire la fusée Ariane. Demande anachronique et complètement stupide.

Il me semble qu’une telle question ne s’adresse qu’à une classe moyenne responsable, bien établie, qui lie son destin à celui du pays et du peuple de Guinée tout entier. Or, à l’intérieur de notre pays, au grand désarroi du monde contemporain, il n’existe pas de classe moyenne. Il n’y a que ceux qui sont matériellement établis parce qu’ils sont proches du pouvoir, vis-à-vis duquel ils font preuve d’une servilité indescriptible et ceux qui subissent les dérives de ce pouvoir, c'est-à-dire les 90% des guinéens dont on a parlés plus haut.

Mais pour le pays, il existe une circonstance tout à fait favorable dont il est urgent de prendre conscience. C’est sa diaspora, que les guinéens de l’intérieur ont appris, à travers une pédagogie politique bien affirmée, à haïr, à rejeter, à considérer comme n’étant pas des leurs. Ce que les « analphabètes » de l’intérieur du pays ne comprennent pas, me semble-t-il, la diaspora elle le comprend et l’expérimente tous les jours dans les différents pays démocratiques d’accueil. A ce niveau, on peut se demander : Quel rôle peut jouer la diaspora dans cette conquête de l’unité institutionnelle de notre pays ?

Elle est bien armée pour comprendre la nécessité intellectuelle de cette transcendance en lieu et place de ce peuple balkanisé et moulé depuis l’indépendance dans des pulsions passionnelles destructrices au profit du seul maintien du pouvoir exécutif dans ses dérives. Elle peut et doit alors mettre en commun ses efforts, constituer une seule force de réflexion, de revendication et de lutte objective pour l’avènement d’institutions démocratiques en Guinée. En somme, la diaspora doit se muer en la seule classe moyenne guinéenne et jouer son rôle moteur essentiel pour l’amélioration des conditions de vie en Guinée, en soutenant l’action de l’opposition en faveur de la seule mise en place d’institutions démocratiques dans notre pays. Mais une classe moyenne ne peut naître que sur la base de ce que les marxistes appellent la « conscience de classe ».La diaspora guinéenne serait-elle prête à relever ce challenge pour le bien de tous? Tel est mon souhait le plus ardent parce qu’à mes yeux il répond à une nécessité impérieuse d’existence.

Que Dieu protège la Guinée en éclairant ses enfants.

Paris le 31 juillet 2012.

Dr Alpha-Mamadou Loppé SOW.
1- Je pus rencontrer un guinéen malade que je ne connais pas, à qui je serrai la main, qui ne pouvait se déplacer qu’en s’appuyant sur quelqu’un d’autre par ce soleil de plomb. Cela traduisait à mes yeux deux choses : l’intérêt et la crédibilité du conférencier et le réel embarras que suscite la situation guinéenne actuelle pour tous et de toute condition.
2- On peut, sur ce sujet, lire avec profit mon livre « La Guinée de Sékou Touré à Lansana Contè, continuité ou ruptures ? » publié en 2007, 350 pages.
3- Voir mon livre op cit


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