Contribution de Nabbie Soumah à la conférence-débat organisée par l'association des Guinéens de Montpellier 29 septembre 2012

Thème de la conférence : Culture démocratique et développement économique : Quel rôle doivent jouer les élites et futures élites guinéennes ?

INTRODUCTION

J'estime que « l’intellectuel, l’élite ou l’homme public a un rôle déterminant, salvateur à jouer car il peut façonner l’esprit public ; il peut acquérir, de par son aura et sa crédibilité, une position de leader d’opinion très influent. Il est, au sens noble du terme, la mémoire, la conscience morale de son peuple. Il devrait songer à léguer son œuvre, son action à la postérité ; cette démarche consiste à la fois à nourrir la pensée et à rester fidèle à des convictions nobles, des principes intangibles, inaltérables en toutes circonstances. Son souci majeur, permanent devrait être la promotion et la défense de l’intérêt général, de l’unité nationale, l’exemplarité en somme ».

Pour le Professeur Kapet de Bana, un économiste et africaniste camerounais de la première heure, "l’élite représente la frange la plus lucide et la plus éclairée d’une population considérée ; elle peut être patriote ou irresponsable face à la mission historique qui est la sienne, d'éclairer le peuple et de l’entraîner à assumer souverainement son plein développement dans la dignité" .

En 1958, seule la Guinée avait refusé le projet français de Communauté et accéda immédiatement à l'indépendance avec 97 % des suffrages exprimés lors du référendum du 28 septembre. Après elle, au début des années 60, la plupart des Etats africains y accédèrent après plusieurs décennies de colonisation européenne.

Mais il s’est vite posé le problème de carence de cadres nationaux compétents pouvant combler le vide laissé par le départ massif du personnel expatrié, notamment les membres de l’administration coloniale, qui faisait marcher « la machine de l’Etat colonial ». En effet, les nouvelles élites dirigeantes ont été vite confrontées à deux types de problèmes très urgents :

  • l’insuffisance de cadres moyens et supérieurs susceptibles d’occuper différents postes administratifs et politiques ;
  • et l’absence de compétences requises dans différents domaines en vue d’assumer pleinement diverses responsabilités au sein du nouvel Etat postcolonial.

Auparavant, des élites noires avaient joué un rôle précurseur, d'avant garde dans la décolonisation. Durant les années 1930, une minorité d'élites leaders sont formées dans les universités occidentales et familiarisées avec des idées comme l’autodétermination, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de choisir librement la forme de leur régime politique.

Parmi ces élites noires, ces leaders nationalistes formés en Occident et qui mèneront la bataille pour l'indépendance, on trouvera Jomo Kenyatta (1893-1978) au Kenya, Kwamé Nkrumah (1909-1972) au Ghana, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) au Sénégal et Félix Houphouët-Boigny (1905-1993) en Côte d’Ivoire, entres autres.

C'est très difficile d'évaluer le rôle et le poids des élites noires dans la décolonisation, c'est très différent et très variable d'un pays à l'autre. Ces élites concernent environ 3 % seulement de la population. Ce sont des intellectuels qui vivent en Europe et issus notamment de la petite bourgeoisie, des commerçants.

Par ailleurs, Il faut souligner le rôle des élites ouvrières comme les dockers, dans les chemins de fer, les mines. Ce furent les premiers foyers de contestation.

Mais après plus de 50 ans d’une indépendance inaboutie, l’Afrique in extenso et la Guinée en particulier ont été abandonnées depuis belle lurette par ses dirigeants, ses élites, également par l’Occident qui lorgne maintenant vers l’Europe de l’Est et l’Asie ; certaines tendances s’y dessinent malheureusement et persistent :
  • l’absence d’une véritable alternative au modèle répressif et corrompu en dehors de « coups d’Etat démocratiques » comme au Ghana qui demeure une singularité démocratique ;
  • la sénilité croissante des pouvoirs vieillissants, fossilisés, hystériques et carnassiers avec des successions dynastiques comme au Togo et au Gabon ; Abdoulaye Wade n'a pas eu l'opportunité d'installer son fils Karim avec sa déroute électorale du mois d'avril dernier ;
  • la misère, la désespérance sociale, l’enkystement de pans entiers de la société ;
  • l’irrépressible désir de survivre, d’exode quitte à braver les mers hostiles, le désert et des passeurs sans scrupule ;

Par ailleurs, quant au nouvel ordre intérieur, au nouveau système de gouvernance issu de ce processus de décolonisation inachevé, il s’avère malheureusement instable et anti-démocratique sur le plan politique, socialement altéré et économiquement anémié dans un continent qui est à la dérive, le réceptacle de tous les malheurs de la terre, en proie à une pléthore de crises et de fléaux.

Tout au long de son histoire, le peuple guinéen a toujours été spolié de ses conquêtes, de ses victoires par ses élites, ses gouvernants successifs après chaque alternance ou changement de régime. Les enseignants, les intellectuels, l'armée, les commerçants, les planteurs font partie des élites décapitées sous la 1ère République.

L'élite de l'armée fut décimée d'où la facilité du débarquement de novembre 1970.

Aujourd’hui, après 54 ans d’indépendance, il convient de s’interroger objectivement, et à juste titre, sur le rôle qu’ont joué nos élites quant à la promotion de la démocratie et du développement socio-économique de notre nation.

En vue de mieux cerner le sujet, je vais développer ma réflexion autour de trois points essentiels, à savoir :
  • d’abord, la définition du concept de l’élite et sa mission primordiale ;
  • ensuite, le constat de faillite de l’Etat guinéen du fait des élites prédatrices et omnipotentes ;
  • enfin, les voies de solutions susceptibles d’impliquer davantage nos élites dans le processus du développement intégral : c’est le défi, l’enjeu pour nos élites actuelles et futures pour réveiller le géant assoupi, malgré ses potentialités naturelles et humaines. La bonne gouvernance n'étant toujours pas au rendez-vous.

La culture démocratique et le développement économique étant intimement liés.

I) LE CONCEPT DE L'ELITE ET SA MISSION ORIGINELLE

A l'origine, le statut d'élite n'est pas accordé par la détention du pouvoir, mais par l'autorité morale, c'est d'ailleurs pourquoi le terme est employé au singulier. Aujourd'hui il est plus courant d'évoquer les élites. Ce n'est plus la qualité de l'être qui est concernée, mais la domination d'une catégorie sociale sur les autres.

Le concept de « l’élite », en général, est très souvent utilisé par les chercheurs en sciences humaines et sociales qui ont défendu soit l’unicité de l’élite, soit la pluralité des élites d’un pays donné.


1) Le concept de l’élite unique

Le terme « Élite » est un substantif de genre féminin, dérivé de l'ancien français « eslite », du latin « eligere » qui donnera élu. Étymologiquement, le terme se rattache donc à l'idée d'élection, non au sens du suffrage mais à celui de l'approbation par autrui de la place détenue par quelqu'un dans la société.

Dans son livre « Traité de sociologie générale » (Paris-Genève, Librairie Droz, 1re édition, 1917), le sociologue et économiste italien Vilfredo Pareto définit l’élite « par ses qualités éminentes, par sa supériorité naturelle, psychologique. Elle se compose de tous ceux qui présentent des qualités exceptionnelles ou qui font preuve d’aptitudes éminentes dans leur sphère d’activité ».

2) Le concept de la pluralité des élites

Un autre chercheur italien du nom de Gaetano Mosca, dans son ouvrage « Elément de science politique » (Turin, Fratelli Bocca Editori, 2e édition, 1923), définit « non pas l’élite, mais la pluralité des élites selon la supériorité de leurs compétences dans l’organisation. Ces compétences sont surtout utiles pour gagner le pouvoir dans une société bureaucratique moderne ». Néanmoins, sa théorie est plus démocratique que celle de Pareto puisque pour lui les élites ne sont pas héréditaires. Des individus originaires de toutes les classes peuvent accéder à l’« élite ».

Il a aussi adhéré au concept de « la circulation de l’élite » qui est une théorie dialectique de compétition constante entre les élites, avec un groupe d’élite remplaçant un autre à maintes reprises et progressivement.

Le sociologue américain Charles Wright Mills quant à lui, s’est basé sur la société américaine pour développer sa théorie de la pluralité des élites ; il a observé une mobilité sociale considérable entre les différents groupes d’élites et entre les élites de différents domaines : économique, industrielle, politique, militaire, etc.

Dans son livre « L’élite du pouvoir » (Paris, François Maspero, 1969), Mills a abordé la question de la formation ainsi que celle de la domination de l’élite du pouvoir dans la société américaine. A cet effet, il définit l’élite du pouvoir comme étant « l’ensemble des hommes qui prennent toutes les décisions importantes que l’on peut prendre. L’élite du pouvoir est composée de personnes qui occupent des « postes-clés » dans les grandes institutions de la société moderne et qui peuvent prendre des décisions aux conséquences capitales pour la vie des gens ordinaires ».

Je pense, comme Mills, qu’il est préférable d’utiliser le terme « les élites » pour souligner sa diversité et sa pluralité. En effet, à travers le monde, nous constatons qu’il existe bel et bien plusieurs catégories d’élites (notamment les élites politiques, économiques, intellectuelles, militaires, religieuses, rurales, commerciales, etc.) qui se définissent comme des personnes ou des groupes de personnes dont l’action est significative pour une collectivité ou un groupe et qui y exercent une influence, soit par le pouvoir ou l’autorité dont ils jouissent, soit par les idées, les sentiments ou les émotions qu’ils expriment ou qu’ils symbolisent.

II) DES ELITES PREDATRICES, OMNIPOTENTES ET LA FAILLITE DE L'ETAT

Malheureusement pour l’Afrique et la Guinée après l’indépendance viendra le temps des reniements de ses élites.

Pour le critique, philosophe et écrivain français Julien Benda (1867-1956) « l'intellectuel est un esprit désintéressé, une véritable mauvaise conscience du monde, il ne doit consentir à entrer dans l'arène politique que pour défendre des valeurs universelles telles l'humanité, la justice ». En 1927, il fustigea la démission des intellectuels dans un pamphlet qui marqua les esprits en son temps : « La Trahison des clercs » (Les Cahiers rouges, éd. Grasset, 2003).

« La plus insupportable trahison, c’est tout de même celle de ces prophètes qui, las de promettre l’avènement d’une Cité qui ne vient pas, las d’entendre surtout la plainte et la protestation des hommes, finissent un jour ou l’autre dans l’uniforme des fusilleurs » fustigeait le philosophe Bernard-Henri Lévy.

En fait, les élites et cadres qui ont reçu les éléments d'une culture universelle les ont utilisés pour la satisfaction de leurs propres besoins personnels, abandonnent les analphabètes et les ignorants à leur sort. C'est ainsi que nos élites et nos cadres en sont arrivés à abandonner leur idéologie première et leurs sentiments d'humanisme puisés, pour certains, au « bord de la Seine » pour s'installer en Afrique dans le fauteuil moelleux laissé par le colonisateur, devenant ainsi « bourgeois et autocrate en Afrique » pour le plus grand mal de leur pays.

1) La stratégie de consolidation des pouvoirs des élites au sein de l'Etat

Au sein de l'Etat, du parti dominant, la nomenclature des postes de direction, des organes décisionnaires, des entreprises économiques et des organisations sociales et la liste des personnes susceptibles d'occuper ces postes sont établies discrétionnairement. Les nominations, les promotions au sein des élites se sont faites toujours sur des critères subjectifs et non sur la valeur intrinsèque des postulants.

On voit se constituer au sein de l'Etat des réseaux d'élites mafieuses.

Dans son célèbre ouvrage « La Nomenklatura, les privilégiés en URSS », publié en France en 1980, Mikhaïl Voslenski (1920-1997) évoquait l'élite, la classe dirigeante soviétique bénéficiant d'importants privilèges. Cette consolidation de la Nomenklatura guinéenne au sein de l'Etat s'est faite également au détriment de :

- L'élite combattante et avant-gardiste de la société civile, avec les syndicats en tète, qui s'était illustrée lors des mouvements sociaux en mars et juin 2006, en janvier-février 2007; mais cette élite s'est « normalisée » aujourd'hui malgré la persistance de la pauvreté et la cherté de la vie. Le pouvoir s'est même félicité de sa « sagesse » (sic !), sa « compréhension » (sic !).

- L'élite au sein de « partis politiques patrimoniaux » qui est également aux ordres de ses leaders-financiers qui paient, commandent et décident de tout, par exemple aux postes internes de décision et/ou d'éligibilité pour les élections nationales. D'où l'absence de démocratie interne et la désaffection des militants.

2) L’Etat ou le lieu privilégié d’accaparement patrimonial des élites

La République de Guinée, connue pour ses potentialités économiques, ses immenses ressources naturelles, aurait dû connaître un niveau de développement plus élevé si la gestion de ses ressources avait été saine, honnête, rigoureuse et transparente. Malheureusement on y assiste à la recherche obstinée du confort digestif et du rang social, l’Etat étant devenu une propriété en viager pour des élites rentières. On note la persistance de la captation des actifs et des biens de l'Etat au profit du pouvoir et de ses proches, les détournements de deniers publics, le bradage des ressources minières sans appel d'offre dans l'opacité avec des marchés de gré à gré. On peut citer des exemples de relations incestueuses entre le pouvoir politique et l'affairisme : les 25 millions $ de Palladino Capital du Sud-africain Walter Henning, les 32 millions $ de Guinomar, les 700 millions $ payés par Rio Tinto.

Mais le record de la prédation a été battu entre 2008 et 2010 sous la transition militaire avec le CNDD.


3) La faillite de l'Etat endetté, autoritaire, déliquescent, partial et non régulateur

La corruption a un impact énorme sur l'Etat des services publics et continue de siphonner de manière dramatique les ressources affectées notamment à l’éducation, à la santé, aux hôpitaux, au réseau de distribution d’eau potable et aux infrastructures, aux équipements structurants vitaux pour le développement d’un pays ; ceci conduit inévitablement à une situation humanitaire désastreuse.

Dans le rapport de Transparency International publié en décembre 2011 sur l'Indice de perception de la corruption des Etats les plus véreux, la Guinée occupe le rang de 164e sur 183 pays avec un score de 2.1.

Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) a publié le classement, les résultats de l'indice de développement humain (IDH) pour 2011 : 46 pays ont un IDH considéré comme faible (c'est-à-dire inférieur à 0,52) dont 36 sont situés en Afrique sub-saharienne. Parmi ces derniers, 11 Etats (dont la Guinée avec 0,344 et le 178e rang) ont un IDH inférieur à 0,35.

Au lieu d’adopter des politiques économiques capables de renforcer la liberté économique et la libre concurrence, ces élites prédatrices se sont contentées d’être une distributrice de rentes, ont encouragé la fuite des capitaux, se sont spécialisées dans la recherche de l’aide publique internationale et l’endettement massif ; construisant ainsi, naturellement, l’insolvabilité de notre Etat et sa mise au ban de la communauté internationale. Ces élites prédatrices ont installé la Guinée dans la trappe à pauvreté, le piège à pauvreté.

Avec l'atteinte du point d'achèvement de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), validée par la Banque mondiale et le FMI, la Guinée a obtenu le 26 septembre une réduction de dette de 2,1 milliards de dollars (soit 66% de ses emprunts à l’étranger sur une période de 40 ans) et va pouvoir économiser chaque année 141 millions € qui devraient redéployés et utilisés à bon escient. Elle est le 34e pays à atteindre le PPTE et, en conséquence, à bénéficier d’une réduction de sa dette publique extérieure.

4) Les élites sont au centre des réseaux et conflits identitaires

Alors que la citoyenneté s’inscrit dans une démarche inclusive, l’ethnocentrisme est une dérive mortifère, une imposture électoraliste, le fonds de commerce des opportunistes et des médiocres atteints de cécité morale et intellectuelle dont l’unique but est d’assurer à leurs auteurs une promotion sociale, professionnelle et /ou politique au détriment le plus souvent de ceux qu’ils sont « censés » défendre.

Pour les élites, c’est la primauté de la carrière administrative, politique, des prébendes sur l’unité nationale. Elles ne jurent que par leur ethnie pour se faire élire, ne s’identifient plus, ne se singularisent plus en fonction de projets, ni d’idées mais plutôt en termes identitaires.Tout ceci au détriment de l’intérêt général, de l’unité nationale qui en est affectée.

Par conséquence, la Guinée est devenue un cocktail explosif, un baril de poudre et l’ethnocentrisme en est la mèche, un sujet autour duquel se cristallise les contradictions, les passions de notre société.

III) ENJEU ET DEFI POUR LES ELITES GUINEENNES : REVEILLER UN GEANT ASSOUPI

Nos élites sont maintenant face à l’impératif du développement économique, intégral.

Quelles stratégies faudra-t-il adopter ? Ce sera au prix de réformes urgentes et drastiques que la Guinée pourra devenir un pôle de développement attractif tant pour les investisseurs nationaux qu’étrangers. Et que l’ethnocentrisme, l'analphabétisme, l'obscurantisme et la pauvreté seront éradiqués, que la citoyenneté pourra s’ébrouer dans notre futur champ démocratique.


1) La Guinée est un géant assoupi

Notre pays, malgré ses potentialités naturelles et humaines incommensurables, fait partie des pays les plus corrompus et les plus pauvres du monde. D’autre part, il demeure dans la sous-région, dans la zone Mano River, l’épicentre du trafic d’êtres humains, des armes, de la drogue et de la fausse monnaie.

Ses atouts sont énormes mais son économie repose essentiellement sur le secteur minier qui lui assure 80% des recettes d'exportation du pays, 67% des recettes fiscales de l'Etat et 25% de son PIB. Il détient 2/3 des réserves mondiales de bauxite, en est le deuxième producteur et exportateur mondial après l'Australie. Le potentiel en minerai de fer est estimé à prés de 7 milliards de tonnes de réserves.

L'or est de bonne qualité (de 20 à 23,5 carats) ; les réserves de diamant sont estimées entre 25 et 30 millions de carats ; le plomb, le zinc et l'uranium qui ne sont pas encore exploités, complètent une panoplie d'autant plus intéressante que le potentiel hydroélectrique est impressionnant.

La Guinée rurale est aussi diverse que ses milieux naturels. La frange littorale est le domaine de peuples riziculteurs ; il y a du café, du coton, des arachides. Le troupeau bovin est estimé à 2,7 millions de têtes et la forêt produit 4,7 millions de m³ de bois.

2) Comment impliquer nos élites dans le processus du développement intégral ?

La question intégrante qui se pose est comment sortir de l'impasse ce géant assoupi, comment capitaliser ses potentialités naturelles et humaines, quelles sont les voies idoines pour transformer ces potentialités en production, en richesses et en mieux-être pour nos populations en proie à la pauvreté et à la désespérance sociale.


a) Le dialogue est une vertu cardinale, un antidépresseur social au niveau des rapports entre le pouvoir politique et ses opposants. La raison fondamentale du regain de tension en Guinée est la rupture de confiance entre le pouvoir et l'opposition sur l'élaboration et la mise en place des mécanismes d'accès aux instances du pouvoir ; notamment sur l’opération de révision du fichier électoral qui est l’épine dorsale du processus électoral et aussi sur le rôle de la CENI qui est l'organe principal de régulation des élections.

b) La cohésion sociale est un impératif de survie pour toute nation : « Là où deux éléphants se battent c'est l'herbe qui périt ». Ce proverbe rwandais n'a pas empêché le génocide rwandais de 1994 qui a fait plus de 800 000 victimes et altéré le tissu social jusqu'à nos jours.

Toutes les élites guinéennes doivent s'approprier cet axiome pour assurer la concorde et l'osmose dans notre pays qui est notre bien le plus précieux, notre point d'ancrage à nous tous quel que soit notre lieu de résidence.


c) Promouvoir la citoyenneté face au péril ethnocentrique et communautariste

Cela passe par :
  • la réappropriation de l'Etat par tous les éléments de la nation, et non par un seul groupement humain ;
  • l'affranchissement dans l'action publique de toute tutelle familiale, ethnique, villageoise, régionaliste ; Il est urgent de favoriser, participer activement à une opération de désaffiliation ethnique de salubrité publique.
  • l'effectivité du principe d'égalité des chances entre tous les citoyens ;
  • le rôle de « redistributeur » équitable et de régulateur social de l'Etat déliquescent et partial : « L’Etat doit assurer la régulation sociale sinon il génère des crises ; l’harmonie sociale se fait au prix d’une régulation, d’une redistribution équitable ».

Sinon, s’opérera le dangereux, le périlleux réflexe qualifié en anthropologie de « cercles concentriques et mouvants » : privilégier la famille et l’ethnie d’abord, le village ensuite et la région au final, au détriment de l’Etat en faillite.

L’ethnie et la religion sont faciles à instrumentaliser, à manipuler : la faillite de l’Etat, la faiblesse de l’opposition et la corruption des élites étant leur terreau favori.

Lorsque la Guinée aura une administration compétente, non corrompue, avec des services publics viables au service de tous nos concitoyens, l’hydre de l’ethnocentrisme sera vaincue, terrassée.

Par ailleurs, « Le savoir est la sève nourricière du progrès et de tout système de développement », nous enseigne-t-on. Le monde est dominé par le savoir qui « est un héritage pour demain », dit-on. Il est urgent de redynamiser le système éducatif car l’école demeure le substratum, le fondement, le lieu d’épanouissement par excellence du citoyen, des future élites pour vaincre l’analphabétisme et l’obscurantisme qui sont les alliés naturels de l’ethnicité. Il faudra la réformer, favoriser une synergie entre elle, la recherche et l’entreprise, une adéquation entre un système éducatif performant et le monde du travail. Mais le préalable à la réforme de la politique éducative, pour combattre les ténèbres de l'ignorance par la diffusion du savoir, est la revalorisation de la condition enseignante en Guinée.

Grâce à une économie saine et productrice d’emplois, notre jeunesse ne servira plus d’applaudimètre et ni de « chair à canon » pour des leaders qui les manipulent en exaltant leur appartenance ethnique commune.

L’effectivité du principe d’égalité des chances pourra dans ce contexte favorable pallier, suppléer les « réseaux identitaires » de promotion sociale, économique et professionnelle des élites.

d) La vulgarisation et la garantie des principes démocratiques. Pour cela, il faudra assurer certaines valeurs, entre autres :
  • la promotion et la garantie de l'Etat de droit ;
  • une véritable réforme des forces de sécurité qui sont les principaux producteurs de violence politique en Guinée depuis des décennies, d'une part, et de surcroit grèvent le budget de l'Etat (plus de 30 %) au détriment de secteurs-clés telles la justice et l'éducation nationale, d'autre part ;
  • la lutte contre l'impunité par une justice indépendante, réparatrice et surtout restauratrice ; c'est le seul gage d'une réconciliation sincère pour exorciser les nombreuses frustrations de bon nombre de nos concitoyens ;
  • la liberté de la presse, celle de l'expression et le libre accès aux médias publics de tous les Guinéens ;
  • le droit de manifestation et de cortège reconnu par l'article 10, alinéa 1er, de la constitution du 07 mai 2010 ; il ne doit pas être perçu comme un acte de subversion, ni de déstabilisation à l'encontre du pouvoir en place ;
  • institutionnaliser un véritable statut de l'opposition, à l'instar des autres Etats démocratiques et même de certains Etats africains. Une démocratie ne se juge-t-elle pas à l'aune de ses contre-pouvoirs et de la garantie des libertés individuelles et collectives ?

e) Revaloriser la place des femmes au sein des élites. Les différentes catégories d’élite sont, à leur écrasante majorité, masculines, .les élites féminines n’étant plus souvent que des appendices des élites mâles, servant, par exemple, dans les mouvements féminins des partis politiques.


f) Retisser les liens distendus entre le pouvoir et les élites de la diaspora

Mettre fin à la crise, à la dichotomie entre Guinéens résidant à l'extérieur et ceux de l'intérieur ; accorder une offre politique pour la représentation des élites de la diaspora qui est la 1ère région numériquement et le 1er opérateur économique.

Il faudrait mettre en réseau et mutualiser toutes les élites actuelles et en devenir pour le salut de la Guinée qui est notre point d'ancrage à nous tous quel que soit notre lieu de résidence.


g) La jeunesse est l'avenir, le ferment de la nation : l’Association des Jeunes Guinéens de France (AJGF) et le Ministère de l’Emploi, de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle (MEETFP) représenté par l’Agence Guinéenne pour la Promotion de l’Emploi (AGUIPE) organisent le premier forum d’emploi guinéen en France dénommé « Talents Guinée 2012 » les 9 et 10 Novembre 2012. L’idée de ce forum est née de la volonté de l’AJGF de faciliter le retour au pays des guinéens formés, des élites de la diaspora en Europe.

Cette initiative est salutaire et à renforcer.

CONCLUSION : Mettre nos élites au service de la promotion de l'intérêt général

En conclusion, il est indéniable de reconnaître que les élites guinéennes et africaines ont joué un rôle primordial, aussi bien auprès des masses populaires que des instances internationales, dans la lutte pour la souveraineté des Etats africains. Cet objectif a été atteint non sans beaucoup de sacrifices de la part de ces élites. En réalité, il ne pouvait en être autrement car, dans tous les pays du monde, les élites ont toujours été des éclaireurs, des guides de leurs peuples pour faire sortir leurs pays de l’impasse. Mais hélas ! ces élites n’ont pas toujours été à la hauteur de leur mission, s’étant mises, par opportunisme le plus souvent, au service de mauvaises causes responsables de la faillite de l’Etat.

Ces élites dirigeantes ont adopté des comportements et des attitudes irresponsables pour mieux servir leurs intérêts égoïstes au détriment de l’intérêt général. Du coup, le développement socio-économique et la souveraineté de notre pays ont été compromis pour bien longtemps.

C’est pourquoi le changement des mentalités à travers l’éducation des jeunes, la gestion rationnelle du temps et des ressources nationales ainsi que l’accroissement de la productivité sont, à mon avis, des stratégies primordiales à adopter afin de résoudre les problèmes qui nous assaillent.

Et le rôle des élites devrait, désormais, être décisif dans l’accomplissement de cette remise en cause. Il est grand temps, enfin, que nos populations ne soient plus condamnées à subir continuellement de la violence politique, des maladies endémiques et la misère chronique à cause du comportement égoïste et criminel de nos élites dirigeantes. Afin que la Guinée puisse se relever, sortir de sa léthargie, son assoupissement et être la locomotive de la sous-région.

Que Dieu préserve la Guinée !

Montpellier, le 29 septembre 2012

Nabbie Ibrahim « Baby » Soumah
Juriste et anthropologue guinéen

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