Un demi-siècle de désunion africaine. Par Vincent Hugeux

Y a-t-il vraiment de quoi sortir cotillons, djembés et balafons? Est-il d’usage de fêter l’échec, qu’on l’affublât ou pas du préfixe minoratif « demi » ? Ce dimanche, les cadors du continent noir célèbrent à Addis-Abeba (Ethiopie) le 50e anniversaire de la naissance de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), suppléée depuis 2002 par l’Union africaine (UA). A l’heure de moucher les cinquante bougies, les chefs d’Etat qui ne manquent pas d’air épauleront utilement leurs pairs à bout de souffle.

Nul doute que les plus lyriques d’entre eux et leurs griots de cour invoqueront, des trémolos dans la voix, les mânes des glorieux pionniers de l’idéal panafricain. Hommage au visionnaire ghanéen Kwame Nkrumah, au rugueux guinéen Ahmed Sékou Touré et au tenace franc-tireur congolais Patrice Lumumba. Puis tous entonneront en chœur l’hymne à la concorde qui vient.

Bien sûr, il est dans la nature des rêves d’ici-bas de s’ensabler au fil des ans. Gageons que les pères fondateurs de l’épopée américaine peineraient à se reconnaître dans les Etats-Unis d’aujourd’hui. Et que dirait Jean Monnet des querelles d’égos et de clochers de l’Europe des Vingt-Sept ? Le fameux « Combien de divisions ? » de Staline s’acclimate fort bien sous toutes les latitudes.

Bien sûr, des vigies africaines dignes de foi décèlent des progrès sur les fronts de la gouvernance et de la cohésion régionale, qu’il s’agisse de commerce ou de sécurité. Encore faut-il mesurer ces timides embellies à l’aune de la proverbiale aphasie de la défunte OUA, ce colosse assoupi qui, en perdant son « O », ne s’est hélas pas délesté de ses travers bureaucratiques. Quand on part de si loin… Bref, on a vu quinqua plus fringant.

En une décennie, claironnent les Candide, l’UA a suspendu huit de ses membres, coupables d’avoir cédé à la tentation du coup d’Etat, fut-il institutionnel. La belle affaire : les châtiés, pourvu qu’ils pèsent un peu et jurent de rentrer dans le rang, peuvent miser sur une absolution. Quant aux potentats enclins à trafiquer les scrutins, bricoler les constitutions et martyriser les droits de l’homme, ils risquent au pire de vaines admonestations.

Il y a plus grave : la tragique faillite de l’instance continentale face aux convulsions et aux conflits armés qui ont secoué voilà peu le berceau de l’humanité. Les printemps arabes ? Elle fut aux abonnés absents. La Libye ? Inaudible, tant la fascination résiduelle qu’exerçaient le culot et les largesses de Mouammar Kadhafi, faussaire panafricain, tétanisèrent les obligés d’hier. Le bourbier ivoirien? On la vit déchirée entre les adeptes du souverainisme frelaté de Laurent Gbagbo et les partisans d’Alassane Ouattara Le Mali ? Néant. Réduite à louanger l’intrusion française, l’UA se sera bornée à parrainer un leurre : une force panafricaine passée de facto sous pavillon onusien avant même que de s’être déployée. Et le Darfour ? Et la Somalie ?, objecteront les avocats du « Machin » d’Addis. Soit. A condition d’oublier que ces exceptions-là, financées pour l’essentiel par l’Occident, doivent davantage à l’abnégation de quelques contingents nationaux -rwandais, ougandais, burundais ou éthiopien notamment- qu’aux vertus de l’effort commun. Voilà d’ailleurs dix ans que la fameuse « Force en attente », censée prévenir ou enrayer les guerres interafricaines, se fait attendre.

Et que dire de la complaisance envers le Soudanais Omar el-Béchir ? De l’injonction adressée aux Etats-membres, priés de snober la Cour pénale internationale, reléguée au rang d’instrument d’une « justice des Blancs » ? Que dire de la guérilla archaïque entre le Gabonais et francophone Jean Ping, président sortant de le Commission -l’exécutif permanent de l’UA-, et son heureuse rivale sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma ? La monnaie unique ? Virtuelle depuis des lustres. Le Parlement panafricain logé à Midrand (Afrique du Sud) ? Un théâtre d’ombres procédurier et dispendieux.

La vieille Europe l’a appris à ses dépens : qu’elle soit ou non plombée par les arrière-pensées et les égoïsmes nationaux, l’union des chefs ne fait pas le bonheur des peuples. Lorsque s’éteindront les lampions de la fête, restera cette question : est-il un Africain, une Africaine, de la brousse ou des bas-quartiers, dont l’UA aurait allégé le fardeau quotidien ?

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