La chasse aux sorcières, une tradition guinéenne

C’est un classique en Guinée. Après chaque putsch déjoué, des représailles à caractère ethnique sont orchestrées contre des opposants. Le dernier attentat contre le domicile du président Alpha Condé, qui a imprimé un tour de vis sécuritaire à son régime, n’échappe pas à cette sinistre tradition.
Deux semaines après l’attentat qui a visé son domicile dans la nuit du 18 au 19 juillet, Alpha Condé est plus que jamais déterminé à faire payer cher ce «coup» qui n’a pas encore révélé tous ses mystères. Et les premières mesures prises par le pouvoir indiquent que les autorités guinéennes ne feront pas dans la dentelle pour sécuriser le régime.

Tout porte à croire que malgré leurs dénégations, les partisans d’Alpha Condé sont toujours sur la piste du «complot peul». En effet, sur les seize personnes accusées d’avoir ourdi l’attentat —dont la liste a été rendue publique par le procureur de la République—, la quasi totalité des patronymes ont une consonance peule, qui est aussi l’ethnie de Cellou Dalein Diallo, principal rival de Condé et qui a été son adversaire malheureux lors de la dernière présidentielle.

Après l’attaque contre Condé, des chasseurs traditionnels malinkés appelés «dozos» (qui ont aussi joué un rôle actif pendant la crise en Côte d’Ivoire) et réputés être de grands féticheurs, ont fait une apparition spectaculaire dans les rues de Conakry. Le but de leur démonstration de force? «Sécuriser» et «blinder» mystiquement le président qui, en tant que malinké, est considéré comme un des leurs.

Putsch raté = chasse aux Peuls
Déjà dans les foras animés par des Peuls, très nombreux dans la diaspora, on n’hésite plus à comparer le président Alpha Condé à l’ancien dictateur Sékou Touré. Après la tentative ratée de mercenaires de renverser son pouvoir en 1970, le premier président guinéen avait sombré dans une véritable paranoïa, en prenant principalement comme cible des cadres de la communauté peule.

Ainsi des pendaisons publiques avaient été organisées à Conakry, et ceux qui avaient échappé à ces exécutions avaient été envoyés dans la prison-mouroir du camp Boiro. L’une des plus célèbres victimes de ce «premier complot peul» sera d’ailleurs le charismatique Tély Diallo, premier secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (remplacée par l’Union africaine en 2002) qui décèdera dans ce bagne après avoir succombé à une «diète noire».

Pour fuir le régime autoritaire de Sékou Touré, des centaines de milliers de Peuls guinéens s’installent alors dans les pays voisins, notamment au Sénégal. D’ailleurs, Sékou Touré entretiendra des rapports exécrables avec le premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, accusé de donner le gîte et le couvert à ses opposants en le dénigrant systématiquement sur les ondes de Radio Conakry. Mais les Peuls n’ont pas été les seules victimes de la répression politique en Guinée.

Après un autre coup d’Etat raté, celui organisé par Diarra Traoré contre le colonel Lansana Conté, des représailles sanglantes avaient été orchestrées contres plusieurs personnalités malinkés. Ismaïl Touré, demi-frère de Sékou Touré, ainsi que d’autres dignitaires déchus de l’ancien régime seront passés par les armes.

Menaces sur les libertés publiques
Cette longue et sinistre tradition de règlements de comptes interethniques, après chaque putsch déjoué, fait planer les pires menaces contre les libertés publiques, malgré la levée de l’interdiction faite aux journaux guinéens d’évoquer l’attentat contre le président Condé. Beaucoup de leaders de l’opposition craignent ouvertement pour leur vie.

Ainsi, dans un entretien accordé au journal La Lance, Mouctar Diallo, leader des Nouvelles forces démocratiques, ne cache pas ses inquiétudes:

«Depuis l’attaque perpétrée contre le domicile du chef de l’Etat, le 19 juillet dernier, nos vies sont en danger. Vous savez qu’en Guinée, on a l’habitude de profiter de certaines situations pour procéder à des répressions systématiques, à des arrestations arbitraires, à des règlements de compte.

Le domicile du vice président de l’UFDG [Union des Forces Démocratiques de Guinée, opposition, ndlr], M. Bah Oury a été saccagé par des hommes en uniforme. Le domicile du beau-frère de Cellou Dalein Diallo a été envahi des hommes en uniforme.

Nos réseaux, nos contacts nous informent de l’existence d’un commando chargé de liquider physiquement certains leaders politiques.

On nous a parlé d’une liste sur laquelle figure M. Bah Oury (porté disparu depuis l’événement), Dr Oussou Fofana, Dr Faya Millimono, Etienne Soropogui et moi-même. Nous recevons des appels de menaces anonymes».

Pour l’heure, malgré la situation tendue à Conakry, Alpha Condé, en dépit de son tour de vis sécuritaire, a touché le Graal: une visite d’Etat à la Maison-Blanche la semaine dernière, le 30 juillet, pour rencontrer le président américain Barack Obama.

Barka Ba

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